L'histoire a voulu que les bouleversements en Europe de l'Est et la question de la réunification de l'Allemagne surgissent à la veille de la célébration du centenaire de la naissance du général de Gaulle : c'est l'occasion pour l'auteur de rappeler les jugements prononcés à cet égard par le fondateur de la Ve République. Il nous montre, en particulier, que pour celui-ci, le problème de l'unité allemande comportait trois aspects essentiels : celui du droit du peuple allemand, comme de tout autre, à l'autodétermination, avec « l'anomalie » que représentait sa division ; celui des rapports de l'Allemagne avec des voisins qu'elle a si longtemps menacés, avec la nécessaire intangibilité des frontières issues de la guerre ; celui enfin de la sécurité de l'Europe, avec la question centrale de la renonciation par l'Allemagne « à la possession et à la fabrication d'armes atomiques ».
Sur l'Allemagne, relire de Gaulle
Dans une allocution radiodiffusée en date du 25 avril 1945, quelques jours avant la capitulation sans conditions du IIIe Reich, l’homme du 18 juin et le chef du GPRF déclarait à propos de l’Allemagne : « Les philosophes et les historiens discuteront plus tard des raisons de cet acharnement qui mène à la ruine complète un grand peuple, coupable certes, et dont la justice exige qu’il soit châtié, mais dont la raison supérieure de l’Europe déplorerait qu’il fût détruit ». Quarante-cinq ans plus tard, non seulement le peuple allemand n’est pas « détruit », mais il est sur le point de procéder à sa réunification (ou unification), c’est-à-dire de retrouver son unité politique nationale. L’automne des peuples et le souffle de la liberté qui ont bouleversé l’Europe centrale et orientale en 1989 — année du bicentenaire de la Révolution française — font resurgir au premier plan la fameuse « Europe des nations » ou des « patries », chère au général de Gaulle, celle qui s’étend « de l’Atlantique à l’Oural ».
Les hasards de l’histoire sont parfois particulièrement symboliques. L’année 1990 sera en effet placée sous des auspices gaulliens, puisqu’on célébrera le centenaire de la naissance du fondateur de la Ve République (le 12 novembre), le cinquantième anniversaire de l’appel du 18 juin 1940 et le vingtième de la mort de l’auteur du Fil de l’épée (le 9 novembre 1970).
Sur la « question allemande », il n’est pas inutile de relire ce qu’écrivait ou disait le général, d’autant plus qu’il en était un remarquable connaisseur et qu’il a eu l’occasion à deux reprises de se battre contre ce « grand peuple ». N’est-ce pas non plus à Colombey-les-Deux-Églises, dès son retour au pouvoir, qu’il reçut, les 14 et 15 septembre 1958, Konrad Adenauer, ce Rhénan patriote, « pénétré du sentiment de ce que Gaulois et Germains ont entre eux de complémentaire » : « Il me semble, écrit de Gaulle dans ses Mémoires d’espoir, qu’il convient de donner à la rencontre une marque exceptionnelle et que pour l’explication historique que vont avoir entre eux, au nom de leurs deux peuples, ce vieux Français et ce très vieil Allemand, le cadre d’une maison familiale a plus de signification que n’en aurait le décor d’un palais. Ma femme et moi faisons donc au chancelier les modestes honneurs de La Boisserie ». Privilège unique auquel aucun autre homme d’État n’aura droit pendant toute la durée de la présidence. Enfin, comment ne pas rappeler que c’est entre ces deux mêmes personnages historiques qu’a été signé, à l’Élysée cette fois — et en grande pompe — le traité franco-allemand d’amitié et de coopération, le 22 janvier 1963, qui a donné naissance au couple du même nom, tant sont devenues étroites les relations politiques entre les deux États voisins. Il n’est pas exagéré d’affirmer aujourd’hui qu’une communauté de destin réunit ces deux peuples et que le Rhin constitue désormais non plus une frontière, mais un trait d’union entre Paris et Bonn. Pour toutes ces raisons, relisons donc de Gaulle pour bien comprendre « la chose allemande », et mieux maîtriser les « anomalies allemandes » qui bloquent l’entente entre l’Est et l’Ouest.
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