La professionnalisation des armées et l'Europe
Max Weber voit dans le processus de professionnalisation le passage d’un ordre social traditionnel à un autre, où le statut de chacun dépend des tâches qu’il accomplit et où il est alloué selon des critères rationnels de compétence et de spécialisation, la profession non point héritée comme un destin, mais voulue et assumée comme une tâche. Pour sa part, Durkeim est à la recherche d’une autorité légitime, capable d’apaiser les conflits d’intérêts qui déchirent la société industrielle et de restaurer un minimum de cohésion entre ses membres. Aussi voit-il dans chaque « profession » une activité régie par une déontologie spéciale qui développe chez ses membres une discipline et les détache de l’égoïsme individualiste.
Sans entrer dans un débat sémantique, il est possible de retenir, comme définition de la professionnalisation, celle plus connue de « l’institutionnalisation d’une profession, conséquence d’une complexification d’une société et d’une division du travail qui s’accentue » (1). D’autres ont même pu avancer que la « professionnalisation conduisait à la déprofessionnalisation » (2), c’est-à-dire que l’introduction et la généralisation de la notion de métier dans les armées aboutissaient à la perte de spécificité de la fonction traditionnelle des militaires. Autrement dit, on passe ainsi du concept de « métier de militaire » à celui de « militaire, un métier comme les autres ». Dans cette approche, la professionnalisation est perçue comme un mouvement d’individualisation et d’autonomisation par rapport à l’emploi.
Dans le processus de professionnalisation, plusieurs notions distinctes sont à l’œuvre : d’abord, une tendance à la qualification qui va de pair avec le développement de la scolarisation ; puis, la recherche du statut et de la sécurité (qui lui est liée). Cette professionnalisation est cohérente avec le déclin prononcé de l’armée de masse depuis la fin de la guerre d’Algérie. Le volume global des forces françaises était de 1 153 000 hommes en 1957, 675 000 en 1964, 520 000 en 1993. Même si elle obéit à une logique institutionnelle, la création en 1984 de la force d’action rapide (Far) peut être considérée comme un indice de l’incorporation de la dynamique professionnelle dans les structures de l’organisation.
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