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  • Revue n° 583 Janvier 1997
  • Logiques nouvelles, nouvelle marine

Logiques nouvelles, nouvelle marine

Jean-Charles Lefebvre, « Logiques nouvelles, nouvelle marine  » Revue n° 583 Janvier 1997 - p. 11-24

Allocution du Chef d’état-major de la Marine, le 26 novembre 1996, devant les auditeurs de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).

C’est avec grand plaisir que j’ai, pour la troisième fois, l’honneur de venir m’exprimer devant votre Institut. Je suis venu vous parler de la marine que j’ai la responsabilité de mettre en condition et de préparer aux défis futurs. Sans doute, la marine ne vous est pas complètement étrangère, tout d’abord parce que vous constituez un public averti dont la présence ici témoigne de l’intérêt que vous portez aux questions de défense. De plus, vous avez déjà pu vous faire une idée assez précise de nos missions, de notre organisation et de nos moyens, par les visites que vous avez effectuées, et grâce aux présentations que vos camarades marins ont pu vous faire.

Mon propos d’aujourd’hui sera donc d’aller au-delà d’un descriptif et de vous faire partager ma vision de la marine nationale et de ses perspectives d’avenir dans un contexte profondément changé. En effet, cette année n’est pas tout à fait comme les autres. Vous savez que de grandes décisions ont été prises pour notre dispositif de défense afin de le mettre en mesure de répondre à des enjeux nouveaux. La mer en est un.

Au cours de son histoire, notre pays, se suffisant de ses richesses internes, a toujours eu du mal à mettre en avant ses ambitions maritimes, et comme écrit Régis Debray de façon lapidaire, « l’empire de l’anisette ne tenait pas la mer face à celui du whisky-soda » (1). De ce fait, la marine française a souvent été perçue comme accessoire d’un système de défense focalisé sur des menaces continentales et accaparé par des craintes de nature obsidionale.

Aujourd’hui je suis convaincu, et je veux convaincre, que cette perception a notablement changé et que les aspects maritimes de la stratégie prennent une importance nouvelle. Plus que jamais la mer est omniprésente dans l’environnement géopolitique et géo-économique du monde moderne. Espace d’échanges des influences et des cultures, espace de manœuvre stratégique, espace de liberté, frontière naturelle, réservoir de richesses, la mer, malgré l’extraordinaire développement des moyens de communication et d’information modernes, reste ce « sixième continent » qui relie et alimente les cinq autres et qui, selon la formule de Pierre Papon, à qui notre association d’anciens auditeurs vient tout juste de remettre le prix Vauban 1996, « a profondément contribué à former l’identité de l’Europe » (2).

La mer demeure, évidemment, un enjeu politique pour les grandes nations dont une large part de l’économie et de la stratégie continue à s’exprimer à travers les océans, mais elle devient aussi un enjeu politique pour des nations plus modestes qui, libérées du poids des antagonismes antérieurs, trouvent dans l’aventure maritime une voie nouvelle d’accroissement de leur influence régionale et d’affirmation de leur place sur la scène internationale. Je veux voir dans ce nouvel essor maritime, que sous-tendait déjà la négociation de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, l’une des conséquences du changement d’un monde devenu beaucoup plus complexe.

Il est d’usage de dire que les termes binaires de la « guerre froide », qui a duré plus de quarante ans, nous plaçaient dans un confort intellectuel relatif. Nous étions dans un système où, comme l’écrit l’ambassadeur François de Rose, « l’équation de sécurité ne posait guère d’inconnues » (3). Pourtant, nous avons vécu, en mer, une confrontation permanente dont l’histoire est trop mal connue. Il faut bien comprendre que, pendant des années, les grandes marines occidentales ont dû s’opposer aux flottes soviétiques dont les capacités de destruction et la doctrine d’emploi faisaient qu’elles étaient prêtes, à tout moment, au choc frontal qui nous aurait causé d’immenses dégâts.

Chassés, pistés, espionnés, nous avons dû, sans relâche, déployer des trésors de tactiques pour nous démarquer de l’Eskadra, pour assurer la liberté de déploiement de nos sous-marins stratégiques, la liberté de manœuvre des forces navales engagées dans les crises, en Méditerranée en particulier. Chasseurs, pisteurs à notre tour, nous n’avons eu de cesse de contrer les avancées, sur la mer et sous la mer, d’une flotte porteuse d’une menace dont on semble déjà avoir oublié l’ampleur.

Les choses ont bien changé, en mer. Nous n’avons plus devant nous d’adversaire qui puisse, de façon durable, contester aux marines de l’Alliance atlantique la maîtrise de la mer. Au début de cette décennie, des prédicateurs avisés, tirant parti de ce changement, avaient escompté un « retour d’investissement » en termes de paix internationale, et de nombreux pays en Europe, dans cet état d’esprit, s’étaient engagés aussitôt dans une baisse significative de leur effort de défense. La France, considérant que ces fameux « dividendes » n’étaient pas franchement avérés, était restée plus longtemps dans l’expectative, voulant préserver l’avenir en approfondissant l’analyse du nouveau contexte géostratégique.

Certes, la tension du « vertige nucléaire » s’est estompée, du moins à horizon prévisible. Pourtant, le stock d’armes de destruction massive, associé à un parc de vecteurs navals encore très performant, reste considérable, et la prolifération constitue une menace réelle contre laquelle il est impératif de maintenir une pression soutenue ; les deux puissances nucléaires européennes ont là un champ de réflexion à explorer en commun pour l’avenir d’une manœuvre de dissuasion dont les termes sont devenus plus complexes du fait, comme l’a exprimé le chef de l’État, de « l’imbrication croissante des intérêts vitaux des Européens » (4). À l’évidence, la place des marines est au cœur de ce débat.

L’Europe a cependant compris que son unité dépassait son seul intérêt économique et qu’il lui fallait prendre en compte aussi bien une puissance américaine désormais sans partage que les débordements d’un monde perturbé. Le président de la République a déclaré récemment, devant votre Institut, que « l’Europe peut et doit s’affirmer comme l’un des grands centres de décision et d’action du monde » (5). Ce projet de bâtir ensemble un système de sécurité efficace au sein d’une Alliance dont la rénovation est engagée, est l’une des manifestations de cette volonté affirmée d’assumer notre communauté de destin. C’est une entreprise difficile, surtout quand le nombre de partenaires s’accroît ; elle n’est pas insurmontable.

L’analyse stratégique, entreprise dans les travaux du Livre blanc de 1994, s’est poursuivie au sein du comité stratégique et s’est traduite en février dernier par des décisions concrètes, entérinées par le Parlement, qui transforment en profondeur notre appareil de défense et ses conditions d’emploi. Dans ces décisions, je veux voir l’amorce d’une ouverture de la stratégie maritime, pour laquelle nous devons construire une nouvelle marine.

Une stratégie maritime plus ouverte

La mer voit son importance stratégique prendre une ampleur nouvelle.

Une nouvelle dissuasion

Il ne s’agit plus pour le pays de devoir subir brutalement et soudainement un choc frontal à l’est. Notre territoire n’est plus directement menacé. Il faut pourtant continuer à préserver l’avenir de toute résurgence d’une menace de destruction massive. Du débat philosophique entre le probable et le possible, et de l’indétermination mathématique du produit d’un risque quasi infini par une probabilité quasi nulle, est sortie la décision de réduire le volume du système de dissuasion, tout en le modernisant pour lui conserver, dans la durée, sa suffisance et sa crédibilité.

C’est chose faite, vous le savez, et la composante sous-marine des forces stratégiques, qui a d’ores et déjà atteint son nouveau format, reste l’élément essentiel du dispositif.

De nouvelles capacités d’action

Il nous faut désormais disposer, à l’échelle de l’Europe, d’une capacité de porter au loin, vers d’autres terres, les moyens d’une politique, active et réactive, de prévention et de contrôle des crises, là où elles menacent notre sécurité, et là où l’exigence d’humanité impose à la communauté internationale d’intervenir. Il faut donc porter l’effort sur des forces classiques capables de réagir à l’événement de façon plus immédiate. Mobilité, rapidité, disponibilité, réactivité sont ainsi des mots-clés de la nouvelle architecture de notre concept de défense qui évolue vers celui plus vaste de sécurité.

La prévention des crises se joue désormais au large de nos frontières. La marine retrouve là, avec une nouvelle intensité, une fonction qu’elle a toujours assumée. En effet, et ce n’est paradoxal qu’en apparence, dans un environnement politique, stratégique et militaire profondément changé, les grandes tâches de la marine ne changent pas fondamentalement de nature. Dissuasion, protection, prévention et projection ont toujours été au cœur de ses missions.

Aujourd’hui, c’est le poids relatif de ces tâches qui évolue sensiblement. La mission de dissuasion n’a pas perdu sa priorité ; elle nécessite cependant, pour la mise en œuvre des moyens qui lui sont désormais affectés, un environnement de sûreté moins contraignant. Les forces aéronavales sont ainsi plus disponibles et retrouvent une place privilégiée dans un dispositif opérationnel nouveau. Elles peuvent exploiter de façon plus large un espace maritime qui leur offre la libre mobilité, les capacités de recueil de renseignements et de prépositionnement. Leur liberté d’évolution en mer permet de faire peser des menaces, discrètes ou ostensibles, et, si la situation l’exige, de projeter sans contraintes, et sans impliquer des tiers, des forces vers la terre, au cœur des crises. Cette manœuvre stratégique, tournée vers la terre, a évidemment de plus en plus un caractère interarmées marqué, et le groupe aéronaval ou le groupe amphibie sont des vecteurs privilégiés de projection, d’appui et de soutien des forces aéroterrestres.

L’Europe puissance navale

La stratégie maritime, ainsi réorientée, offre aux Européens une chance de développer en commun un dispositif naval à la hauteur de la puissance d’une Europe très largement ouverte sur la mer et dont l’identité de défense a été réaffirmée récemment à Berlin par les institutions politiques de l’Alliance atlantique. Dans ce contexte, les marines d’Europe peuvent dès maintenant chercher à exploiter davantage leur interopérabilité et leurs complémentarités.

Nous avons des flottes sous-marines importantes et modernes ; la France entretient un groupe aéronaval puissant et les cinq porte-aéronefs des autres marines d’Europe peuvent le compléter ; nous pouvons apporter notre compétence dans de nombreux domaines d’excellence comme, par exemple, la lutte anti-sous-marine ou la chasse aux mines. Les moyens amphibies de nos différentes marines, essentiels à la projection de forces terrestres, sont globalement de bonne qualité. Les cinq grandes marines d’Europe rassemblent aujourd’hui plus de 250 000 marins.

Bien sûr, tout cela n’est pas simple à organiser, et tous ces moyens sont pour beaucoup très disparates dans leurs capacités et leurs niveaux d’entraînement. De même, la cohérence d’ensemble n’est pas optimale dans la mesure où chaque marine est naturellement portée à conserver de façon autonome une large panoplie de capacités. Nous n’en sommes pas encore au partage des tâches. Pourtant, il y a là un fonds commun, servi par des habitudes anciennes de travailler ensemble selon les procédures et des méthodes de l’Otan, et c’est avec ce fonds que nous pourrons donner à l’Europe une véritable puissance navale.

C’est le sens des premières opérations conjointes conduites sous le pavillon de l’UEO en Adriatique. C’est aussi le sens de la mise sur pied de forces maritimes européennes préplanifiées que nous avons constituées avec nos voisins méditerranéens. C’est la raison des contacts privilégiés que j’entretiens avec mes homologues européens, et des accords que nous passons avec eux en ce qui concerne l’entraînement, l’échange d’officiers ou les formations croisées.

C’est enfin, bien sûr, la raison d’être des programmes d’équipement que nous voulons conduire en coopération. Dans le passé, nous avons déjà mené à bien de tels programmes comme l’Atlantic, l’hélicoptère Lynx, ou les chasseurs de mines. Aujourd’hui, nous passons à des programmes d’une plus grande ampleur, en particulier avec le projet Horizon qui vise à donner à trois grandes marines d’Europe une capacité de protection antiaérienne à la mer beaucoup plus moderne. Si cette coopération est vitale pour nos industries d’armement en Europe, elle l’est aussi pour nos marines qui ne pourront plus faire face, seules, à des coûts de développement devenus prohibitifs.

Ce sera sans doute aussi l’occasion pour les marines d’Europe de s’engager davantage, ensemble, dans le contrôle des approches maritimes européennes, dans des missions de service public en mer, ou dans des missions de lutte contre de nouvelles formes de criminalité et de trafics inacceptables, que le statut de liberté des espaces maritimes favorise. Les textes juridiques existent ; les moyens matériels aussi ; il reste à nous organiser.

L’apparition de nouvelles marines

Dans le reste du monde, nous ne pouvons que constater l’importance nouvelle de beaucoup de marines qui, jusqu’à présent, ne pouvaient exprimer une ambition réellement autonome. Aujourd’hui, elles sont impliquées directement dans des enjeux régionaux importants, notamment en océan Indien et dans le Sud-Est asiatique. J’ai coutume de dire qu’il n’y a plus aujourd’hui de petites marines, tant le « pouvoir égalisateur » des armes navales modernes est réel. Nous n’avons pas fini de mesurer l’impact du développement de technologies modernes, comme celles du sous-marin ou du missile, sur les capacités de marines jusque-là considérées, de façon un peu péjorative, comme « côtières ». Rappelons-nous cependant qu’en mer, c’est à proximité des côtes que les tensions sont les plus fortes, et que nous devons maîtriser des techniques de combat adaptées à cet environnement particulier dans lequel les menaces sont soudaines et diversifiées.

Ainsi, dans le contexte géostratégique profondément renouvelé que nous connaissons, il y a sans doute un grand nombre de convergences à exploiter pour une Europe dont la géographie et l’économie nous montrent qu’elle est profondément et naturellement maritime. La marine nationale aborde cette perspective avec détermination.

Construire une nouvelle marine

Adolphe Thiers, en 1846, devant la Chambre des députés, déclarait : « Qui dit marine dit suite, temps, volonté. De toutes les choses, celles qui se passent le moins d’une forte volonté de la part du gouvernement, d’une grande suite dans les idées, c’est la marine ».

La nouvelle loi de programmation prend la suite de l’actuelle, fondée sur l’analyse du Livre blanc. Elle porte sur six ans, et vise un modèle à vingt ans : c’est un temps appréciable. Pour la première fois, le chef de l’État lui-même s’est engagé, la volonté existe. Quant à la suite dans les idées, elle devra s’appuyer sur une quadruple logique, qui porte sur la réduction de format, la professionnalisation, la modernisation des forces et la réforme du secteur industriel.

Une logique de réduction de format

Elle correspond à la fois à la réévaluation stratégique et à l’effort de maîtrise des dépenses publiques. Nous allons vers quatre-vingts bâtiments de combat et de soutien (au lieu de cent aujourd’hui), et nos effectifs seront également réduits d’un cinquième. Toutes les composantes de la marine sont touchées par cette réduction.

La force océanique stratégique est désormais établie à quatre SNLE, à terme tous de nouvelle génération, permettant d’en tenir, si nécessaire, deux à la mer en permanence. Le groupe aéronaval, et c’est sans doute là une des difficultés majeures auxquelles nous sommes confrontés, va perdre sa disponibilité permanente. Nous allons en effet, avec le désarmement du Clemenceau en 1997, nous configurer dans un système à un porte-avions. Le Foch, à l’entrée en service du Charles de Gaulle, sera « mis en sommeil » et réactivé pour faire face à la première période d’indisponibilité de ce dernier.

Reste la question lancinante du deuxième porte-avions. Sa construction selon la présente loi aurait compromis d’autres programmes et la cohérence d’ensemble de la marine en aurait été gravement affectée. Aussi, je me suis résolu, sans joie, à proposer de reporter cette décision dans la loi de programmation suivante. À l’évidence, le besoin demeure entier.

Les forces sous-marines et les forces de surface seront également réduites en désarmant les bâtiments les plus anciens, dont tous les sous-marins diesels. De même l’aéronautique navale verra son parc diminuer.

Corrélativement, la marine va perdre 13 500 personnes sur la durée d’exécution de la loi. Nous allons connaître une diminution sensible du nombre de nos officiers mariniers, et une forte augmentation du personnel civil destinée à pallier, en partie, l’abandon du service militaire qui va faire perdre les 18 000 appelés qui sont présents dans toutes les unités de la marine et sont, aujourd’hui encore, indispensables à son fonctionnement.

Une logique de professionnalisation

Elle pose plusieurs problèmes. Tout d’abord, il faut maintenir aux unités leur disponibilité opérationnelle immédiate. Vous savez qu’à l’occasion de la crise du Golfe en 1991, le chef de l’État avait décidé de ne pas autoriser la participation d’appelés aux opérations, ce qui avait conduit à organiser, dans des conditions acrobatiques, une professionnalisation de circonstance des bâtiments déployés ou susceptibles d’être envoyés dans le Golfe.

C’est une des raisons pour lesquelles nous organiserons la professionnalisation en commençant par les unités appartenant aux forces pouvant être engagées dans des opérations de projection. Il est clair que nous sommes devant un problème différent de celui auquel nous étions confrontés en 1991. À l’époque, nous avions pu régler la question en proposant des contrats d’engagement aux appelés embarqués : plus de la moitié de ceux déjà sur zone avait signé dans l’heure. Pour certains emplois qui n’ouvrent pas de perspectives de carrière, nous ne pouvons pas remplacer les appelés par des engagés de type classique. Nous avons en conséquence proposé un contrat de courte durée, deux ans en principe non renouvelables. Aurons-nous la ressource suffisante en quantité et en qualité ? C’est probable, et nous travaillons en liaison avec les institutions chargées de l’insertion des jeunes pour mettre au point ce type de contrat en mettant en avant l’intérêt d’une première expérience professionnelle valorisante.

La même question se pose pour le volontariat au sein d’un service national rénové, dont on ne connaît pas encore les modalités avec précision. Portant sur un petit nombre de volontaires — moins de deux mille — il devrait permettre d’armer les bâtiments n’appartenant pas aux forces de projection, et de remplir certains emplois à caractère militaire dans les unités à terre.

Le dernier grand changement est bien sûr le quasi-doublement du personnel civil. Nous en aurons besoin pour remplacer des militaires dans des unités à terre, et souvent dans des postes jusque-là tenus par des appelés, qui ne nécessitent pas de qualifications très élevées. Le problème de l’adéquation de la ressource aux besoins se pose là aussi, surtout si nous n’avons pas la liberté d’embauche et si nous sommes tenus d’absorber les sureffectifs des industries d’armement, et notamment de la direction des constructions navales.

Ces choix pour accomplir la professionnalisation — contrats de courte durée, volontariat, accroissement sensible du personnel civil y compris dans des unités militaires — sont délibérés. Ils visent à préserver la régularité des flux de recrutement « normaux » — 2 500 par an pour des engagements de quatre et huit ans — à un niveau raisonnable permettant de préserver une moyenne d’âge suffisamment jeune pour la marine, et de ne pas perturber l’équilibre, toujours fragile, de la pyramide des grades.

Les flux de personnel à l’engagement pour des carrières d’une certaine durée ne pourront être maintenus que s’ils s’accompagnent d’une gestion des flux de sortie dynamisée par un effort très actif de reconversion vers le secteur civil, car il y a un bouclage réel entre la qualité du recrutement et les performances de la reconversion. C’est dans cette optique que nous négocions des accords de reclassement avec de grandes entreprises ou des organisations socioprofessionnelles.

Parallèlement, le nombre d’officiers augmentera légèrement, d’une part pour compenser la perte des officiers du service national, d’autre part pour pouvoir être en mesure de faire face à la montée en puissance des nouveaux programmes et à l’accroissement des besoins en officiers dans les structures interarmées ou les organisations internationales.

La troisième logique est celle de la modernisation des forces

La modernisation des forces, déjà engagée depuis un certain nombre d’années, ne pourra compenser qu’en partie la diminution du volume global de la marine.

De nos jours, la puissance des bâtiments de combat n’est plus directement liée à leur tonnage et leur efficacité militaire s’est largement améliorée, notamment avec le missile, l’hélicoptère embarqué et les systèmes de combat intégrés. Pour autant, le nombre d’unités reste une caractéristique importante dans la mesure où il autorise la simultanéité d’engagements dans des théâtres d’opérations différents. La voie dans laquelle nous sommes engagés est en conséquence un compromis entre la valeur et le nombre.

Je voudrais, à ce propos, faire quelques commentaires. Le premier portera sur la cohérence interne de la marine. L’action des forces navales s’exerce dans de très nombreux domaines de lutte : lutte sous la mer, lutte de surface, lutte antiaérienne, frappe contre la terre, lutte contre les mines, débarquement de forces. La caractéristique d’une grande marine moderne est de pouvoir dominer, loin et dans la durée, un tel éventail de capacités. La loi de programmation a maintenu tous les grands programmes et préserve la cohérence d’ensemble des forces aéronavales.

Le deuxième commentaire concerne la modernisation des moyens. Elle porte sur la quasi-totalité des capacités de la marine. Sur la capacité de dissuasion, bien sûr, avec la nouvelle génération de SNLE dont les performances sont à la hauteur de ce que nous avons voulu. Elle porte sur les capacités de projection avec un groupe aéronaval disposant bientôt d’un porte-avions nouveau et qui mettra en œuvre des appareils comme le Rafale ou le Hawkeye, dont les capacités sont sans commune mesure avec leurs prédécesseurs ; nous aurons cependant un problème de recouvrement, vous le savez, pour la défense antiaérienne du porte-avions qui sera amoindrie pour un temps entre 1999 et 2002. Elle porte aussi sur les capacités de protection et de prévention avec l’entrée en service des frégates La Fayette dont les caractéristiques sont particulièrement innovantes et adaptées aux conditions d’emploi en zone de crise. En 2004, nous pourrons normalement disposer de la première frégate de type Horizon qui marquera le renouvellement de la composante antiaérienne dont toute force navale d’importance ne peut se dispenser. La patrouille maritime est réduite mais rénovée avec l’Atlantique, avion très performant qui répond parfaitement aux besoins. L’hélicoptère NH 90, quant à lui, équipera à terme les frégates. L’action sous-marine verra l’entrée en service des techniques de détection active à très basse fréquence et les études des spécifications du sous-marin d’attaque futur.

Enfin, il faut bien comprendre que nous changeons de dimension avec le développement de systèmes de combat, d’information et de commandement, dont l’intégration dans des systèmes de forces complexes, aujourd’hui presque toujours interarmées, impose de repenser la formation de nos officiers pour les rendre capables de conduire ces « systèmes de systèmes ». Le développement de ces technologies de l’information est de nature à renforcer sensiblement notre interopérabilité avec les marines alliées.

Le troisième commentaire concerne la concomitance des programmes. La modernisation de nos forces est une chance importante pour la marine, qui n’en a pas connu d’une telle ampleur depuis bien longtemps, mais aussi une source de difficultés car de nombreux programmes arrivent à échéance simultanément. Cette convergence n’est pas entièrement voulue et résulte surtout d’un héritage de lois de programmation successives imparfaitement appliquées. La conduite simultanée des grands programmes, comme des plus modestes qui conditionnent souvent la cohérence d’ensemble du dispositif, exige un effort permanent de rationalisation et ne pourra être réalisée sans une profonde adaptation du secteur industriel.

Une logique de réforme du secteur industriel

Parallèlement à la réforme de notre appareil de défense, le gouvernement a décidé d’engager une restructuration en profondeur de nos industries d’armement et en particulier de la DGA, dont la DCN est la principale composante industrielle. L’objectif principal est de réduire les coûts et les délais des programmes d’armement, et les coûts d’intervention de la DGA elle-même.

La marine, qui ne peut assurer, seule, le plan de charge d’une DCN désormais surdimensionnée, ne peut que se féliciter de cette mutation qui exigera des relations d’un nouveau type entre industriels, ingénieurs de l’armement et états-majors. Les équipes de programmes devront être plus fortement intégrées pour fixer de façon conjointe des objectifs ambitieux en termes de coûts, de délais, et de qualité des prestations. Avec des mécanismes de contrôle stricts, ce sera sans doute l’occasion de mettre fin aux dérives du passé qui nous ont parfois entraînés, à torts partagés, dans une spirale technologique effrénée et ruineuse.

La DCN actuelle s’engage résolument dans cette mutation qui sera l’aboutissement d’une démarche entamée voici trois ans. À court terme, il conviendra de réaliser la répartition du personnel entre les deux entités étatique et industrielle, la séparation comptable entre zone budgétaire et compte de commerce, et le partage des actifs entre les deux entités. Il reste cependant à mener à bien la résorption des sureffectifs des services industriels actuels. C’est à l’évidence l’opération la plus délicate à conduire, notamment dans le domaine social, et dont la réussite sera déterminante pour le succès de la professionnalisation de la marine.

Pour conclure

Ainsi, il nous est demandé de nous placer dans une perspective nouvelle qui n’est plus celle de l’affrontement majeur en Europe. Nos missions ont été clairement reformulées, le volume des forces s’en est déduit : ne soyons pas obnubilés par le côté réducteur de la réforme de nos armées. Il n’est pas possible, évidemment, de faire table rase, heureusement d’ailleurs car une défense ne se construit pas ex nihilo ! Cependant, c’est bien d’une logique de construction qu’il s’agit, et non d’une simple réduction de format pour laquelle l’application de la règle de trois aurait suffi.

Il se trouve que les principales missions et tâches de la marine ont été confirmées, puisque la force océanique stratégique — la dissuasion — et les forces de projection aéronavales et amphibies — l’action —, qui constituent depuis maintenant vingt-cinq ans les « deux bras armés de la marine », restent les termes essentiels et déterminent les dimensions de notre dispositif naval. Néanmoins, la réduction de leur volume, imposée elle-même par celle des ressources, n’est pas sans risque et exigera une gestion serrée.

Notre personnel, qui est le bien le plus précieux de l’héritage, appréhende la réduction de format des forces, tout pénétré qu’il est de l’importance et de l’utilité des tâches qu’il accomplit tous les jours. Aujourd’hui même, 26 novembre 1996, 78 bâtiments sont déployés hors de leur port base, la plupart à la mer. Combien en faudra-t-il demain ?

J’ai évidemment quelques préoccupations… sur la possibilité d’adapter le volume des activités à celui des forces sans faillir aux missions prioritaires, mais aussi sans alourdir les contraintes d’un personnel qui fait déjà beaucoup ; sur le maintien indispensable des relations entre la marine et la nation qu’il faudra coûte que coûte préserver grâce au nouveau rendez-vous citoyen, au nouveau volontariat, aux nouvelles réserves, car il y va de notre vitalité, de notre efficacité, j’allais dire de notre légitimité ; sur la réussite de la restructuration de nos industries d’armement, au premier rang desquelles la DCN, car c’est sur elle que reposent la possibilité de construire, au meilleur prix, les armes dont la France a besoin, et la réussite de la professionnalisation des équipages de la flotte.

J’ai aussi des certitudes… sur la place éminente que joue, et que continuera de jouer, la marine dans une stratégie renouvelée, plus ouverte, plus large ; sur le renforcement de l’identité européenne de défense et la vocation de nos armées à en constituer le noyau ; certitude enfin sur la valeur, la qualité et le dévouement de notre personnel, à qui il revient maintenant de bâtir une nouvelle marine prête à affronter les défis de demain. ♦


(1) Régis Debray : Tous azimuts ; Éditions Odile Jacob, 1989 ; cité par Pierre Papon (infra note 2).
(2) Pierre Papon : Le sixième continent - Géopolitique des océans ; Éditions Odile Jacob, 1996 ; p. 169.
(3) François de Rose : La troisième guerre mondiale n’a pas eu lieu ; Éditions Desclées de Brouwer, 1995 ; p. 23.
(4) et (5) Discours du président de la République devant l’IHEDN le 8 juin 1996 ; Défense Nationale n° 9/1996.

France, Marine nationale, dissuasion, professionnalisation, DCN

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