L'auteur, spécialiste des questions nucléaires, traite de la menace plus générale que fait peser la prolifération des armes de destruction massive, nucléaires en particulier, sur l'Europe.
L'Europe est-elle menacée par la prolifération ?
Il s’agit, bien entendu, de la prolifération des « armes de destruction massive », mais aussi des missiles balistiques, puisqu’ils sont les vecteurs les mieux appropriés à leur emploi. Nous considérerons surtout la menace provenant des armes nucléaires, estimant que celle des armes chimiques et biologiques relève d’une logique assez différente. On peut s’étonner que nous abordions ce problème actuellement, alors que l’affaire du Kosovo constitue pour l’Europe une menace beaucoup plus immédiate, et aussi beaucoup plus évidente. Notre justification est que nous avions entrepris de rédiger cet article avant la décision prise par l’Otan de forcer la Serbie à composition en lui administrant des « frappes aériennes ». Alors que notre réflexion se situait dans la perspective du sommet de l’Otan à Washington, au cours duquel, après avoir célébré son cinquantenaire, l’Alliance devait réviser son Concept stratégique, qui date de 1991, pour y inclure, avec une haute priorité avait annoncé en décembre dernier le secrétaire d’État américain, la prise en considération des menaces provenant des armes de destruction massive. C’est donc l’importance et les conséquences de ces menaces pour l’Europe que nous nous proposons d’examiner ici.
La prolifération : une obsession américaine
Il faut d’abord rappeler que, depuis Hiroshima, la prolifération nucléaire a été une obsession constante pour les États-Unis, au point que ce sont eux qui ont été les initiateurs ou les animateurs de tous les dispositifs internationaux mis en place pour l’empêcher. C’est à cette fin déjà que, dès 1946, le président Truman avait promulgué la loi dite McMahon, qui interdit aux citoyens américains tout transfert de connaissances en la matière à des étrangers. Ensuite, en 1956, le président Eisenhower, pour encadrer son initiative « atomes pour la paix », obtint la création de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), chargée de vérifier que les transferts de technologies nucléaires civiles ne soient pas détournés vers des usages militaires. Puis, en 1960, le président Kennedy entra en campagne pour que soit conclu un traité interdisant les essais nucléaires dans l’atmosphère, les seuls pratiqués à l’époque et jugés alors indispensables pour la mise au point d’une arme nucléaire ; et un traité à cet effet sera effectivement signé à Moscou en 1963. Toujours sous l’impulsion américaine, fut alors élaboré le traité de non-prolifération (TNP), qui limite aux cinq déjà existants le statut d’« État doté d’armes nucléaires », et interdit aux autres d’essayer de s’en doter ; traité qui sera signé en 1968 et entrera en vigueur en 1970 sous l’Administration Nixon. C’est sous l’impulsion plus que jamais active des États-Unis que ce traité, conclu à l’origine pour vingt-cinq ans, fut prolongé indéfiniment en 1995, réunissant maintenant 187 signataires, soit la quasi-totalité de la communauté internationale. Depuis, ils ont réussi à faire adopter en 1996 un traité interdisant totalement les essais nucléaires (CTBT), et ils pressent la conclusion d’un autre interdisant la fabrication de matières fissiles à usage militaire (Cut off T).
Dans le même temps, les États-Unis se sont de plus en plus préoccupés de la défense, contre les armes de destruction massive, de leur territoire et de leurs forces outre-mer. Il y eut d’abord en 1983 la Strategic Defense Initiative (SDI), lancée par le président Reagan, qui visait à protéger l’ensemble du territoire américain contre les frappes de missiles balistiques nucléaires ; ce qui aurait été contraire aux dispositions du traité ABM conclu en 1972 avec l’Union soviétique, puisque, pour ne pas entraver leurs stratégies de dissuasion mutuelle, il limitait à un seul site la mise en place d’un dispositif antimissiles. Puis, après la fin de la guerre froide et à la suite des découvertes faites, à l’issue de la guerre du Golfe, du programme nucléaire clandestin de l’Irak, le président Bush pressa l’adoption par le Conseil de sécurité de l’Onu, en juin 1992, d’une déclaration proclamant que « la prolifération des armes de destruction massive constituait une menace pour la paix et la sécurité internationale », formulation qui peut légitimer désormais l’emploi de la force pour y parer, par application des dispositions du chapitre VII de la Charte des Nations unies.
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