La pensée stratégique Outre-Manche reflète la complexité et les paradoxes qui caractérisent la société britannique. Cette pensée, fruit d'un étroit processus de concertation au sein de Whitehall, repose sur deux principes fondamentaux qui demeurent le réflexe de survie et la volonté d'influence. Elle sous-tend une politique étrangère bien plus procédurière qu'il n'y paraît. Elle définit un catalogue de risques sensiblement différent du nôtre. Elle vise surtout à tout faire pour n'avoir jamais à choisir entre l'Europe et les États-Unis. Paradoxalement, ses préoccupations immédiates relèvent essentiellement de considérations de politique intérieure.
Nos voisins britanniques ont-ils une stratégie ?
Alors que la France et la Grande-Bretagne s’apprêtent à commémorer le centenaire de l’Entente cordiale et que nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les raisons profondes qui ont guidé nos amis britanniques dans leurs choix décisifs de ces derniers mois, il n’est pas inutile d’analyser le processus de réflexion stratégique qui prévaut de l’autre côté de la Manche. Ces choix, parfois contradictoires en apparence, ne sont que le reflet d’une société complexe et paradoxale ; car si la société britannique présente bien des similitudes avec la nôtre, elle reste, néanmoins, profondément marquée par un caractère insulaire, par une monarchie solidement enracinée, et par un refus farouche de se laisser dicter sa conduite par qui que ce soit.
Société de classes, profondément conservatrice, qui ignore les notions d’égalité, de fraternité et de gratuité, elle demeure un parangon de démocratie et sa réelle capacité à se réformer ferait pâlir d’envie bien des dirigeants du Vieux Continent ! Société hyper-individualiste et matérialiste, elle n’hésite pas à s’engager pour la défense de grands principes. Élitiste et ouverte sur le monde, elle encense la BBC, mais s’intoxique à la lecture des tabloïds. Puritaine et disciplinée, elle tolère l’alcoolisme et le hooliganisme tout en acceptant la faillite de certains services publics. Cynique et fataliste, elle défend les droits des animaux, multiplie les associations caritatives, mais refuse de rembourser aux humains la plupart de leurs soins après l’âge de soixante-cinq ans. Nostalgique de son Empire et peu soucieuse de son image, elle s’évertue sans cesse de convaincre ses partenaires qu’elle a raison. Tolérante et flegmatique, elle souffre néanmoins d’un véritable déficit de communication entre individus.
De manière évidente, il est impossible d’appréhender la pensée stratégique britannique sans intégrer l’ensemble de ces paradoxes. S’interroger sur le contenu de cette pensée implique en outre d’expliquer comment et par qui celle-ci est élaborée, puis véhiculée. Ayant préalablement évoqué le cas des Think Tanks (1), il nous a semblé pertinent de présenter la sphère étatique chargée de définir la « grande stratégie » d’Albion, puis de l’appliquer en bonne intelligence avec les sphères économiques et financières de la City, au nom d’une philosophie libérale qui sert plus que jamais de référence à l’establishment régnant sur Whitehall.
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