Loin du misérabilisme et du pessimisme ambiants, voici un témoignage tonique sur la modernité de nos armées. En effet, malgré les contraintes politiques, sociales et budgétaires, cet ouvrage qui est le fruit d’une réflexion commune entre militaires de tous grades, politiques, entrepreneurs et experts, montre combien l’institution militaire a su ces dernières années, se remettre en cause et se transformer pour être en phase avec le monde en marche tout en conservant et en valorisant ses traditions et ses valeurs.

C’est d’abord le paradoxe de la condition militaire dont les valeurs de cohésion et solidarité, notamment, s’opposent à l’individualisme croissant de nos sociétés. L’évolution du contexte général et stratégique, qui a vu la professionnalisation et l’affaiblissement du lien entre défense du territoire national et engagement des forces, aurait pu avoir pour conséquences un isolement des militaires dans la société française et une antinomie entre valeurs de culture militaire et individualisme. Or, paradoxalement ces valeurs font un retour en force dans nos sociétés et renforcent l’enracinement des militaires. Les témoignages passionnants apportés pendant ces entretiens montrent, quelles que soient les motivations initiales, un sens de l’engagement élevé et mettent en évidence l’irréductible singularité du métier militaire, liée à la question de la mort reçue ou donnée et donc au fait que la mission des armées est d’abord et avant tout le combat.

Cet ouvrage aborde ensuite plusieurs sujets fondamentaux.

L’adaptation des besoins opérationnels aux réalités budgétaires. Vaste sujet jamais résolu qui pose en définitive la question de la mission et des moyens et au-delà du rapport au politique et aux hommes politiques. Entre l’ambition du Livre blanc et la réalité des casernes et des théâtres d’opérations, il y a un gouffre qui ne sera sans doute jamais franchi ; mais qui n’empêche cependant pas de réfléchir à l’avenir stratégique. Celui-ci est-il réductible au théâtre afghan. Quid du cyberterrorisme ? Quelle place pour la maîtrise du milieu maritime, aérien et spatial ? Mais aussi quelles sont les conséquences morales, politiques et opérationnelles de la virtualisation dans la conduite des missions ? Quelle attitude face à l’intrusion du juge dans la conduite tactique des opérations ?

Enfin, puisqu’un changement profond est survenu dans la condition militaire, celui de la précarité, cet aspect a été largement abordé ; 63 % des militaires sont des contractuels. Chaque année le ministère de la Défense doit gérer 28 000 départs et 22 000 entrées. La reconversion est donc un aspect crucial de la gestion humaine du personnel militaire. C’est un véritable saut culturel que doit faire celui-ci et les différents intervenants ont souligné la nécessité d’un processus de reconversion normé et bien sûr efficace.

En conclusion l’intérêt majeur de cet ouvrage réside dans le fait qu’il est le fruit de témoignages en situation, provenant d’horizons divers, loin de toute langue de bois.

Il est un témoignage vivant et dynamique de la rénovation profonde qu’ont entrepris les Armées ces dernières années pour être ouvertes au monde moderne malgré les contraintes inhérentes au statut des militaires et malgré les difficultés budgétaires. En particulier il montre que les valeurs d’engagement qui fondent l’institution militaire sont des valeurs modernes, l’homme est au cœur de son dispositif, tout en affirmant la singularité du métier des armes. Bien sûr il était impossible de faire en si peu de temps le tour de toutes les questions, aussi tout en félicitant le CEPS pour l’organisation de ces entretiens et la rédaction de cet ouvrage, il ne reste plus qu’à attendre avec impatience l’organisation des prochains « Entretiens de Gouvieux ». ♦