Le 16 juillet 1945, le premier essai nucléaire, Trinity, a lieu au Nouveau-Mexique dans le cadre du projet Manhattan. Les États-Unis développent la bombe atomique pour mettre fin à la guerre du Pacifique. Les bombes larguées sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945 entraînent la capitulation du Japon, marquant le début de l'ère nucléaire et de la guerre froide.
Il y a 80 ans – 16 juillet 1945, Trinity, What an explosion! (T 1727)
Transport de Jumbo jusque sur le site de l'essai Trinity (Federal government of the United States, Public domain, via Wikimedia Commons)
80 years ago —16th July 1945, Trinity, What an explosion!
On July 16, 1945, the first nuclear test, Trinity, took place in New Mexico as part of the Manhattan Project. The United States developed the atomic bomb to end the Pacific War. The bombs dropped on Hiroshima and Nagasaki in August 1945 led to the surrender of Japan, marking the beginning of the nuclear age and the Cold War.
Nouveau-Mexique, désert de Jornado del Muerto, Alamogordo. Au sommet d’une tour métallique de 30 mètres de haut, une sphère métallique. L’objet est chargé de plutonium. Nous sommes le 16 juil-let 1945, il est 5 heures du matin. À plus de 12 000 kilomètres de là, le 8 mai, l’Allemagne hitlérienne a capitulé, mettant un terme en Europe aux combats de la seconde guerre mondiale. Pourtant, la guerre se poursuit dans le Pacifique. Le Japon tient toujours face aux bombardements des Boeing B-29 Superfortress sur les villes japonaises et la population a été mobilisée dans l’attente de l’invasion terrestre. Tokyo n’est plus que cendres après le raid du 10 mars qui entraîne dans la mort 100 000 Japonais.
L’arme nucléaire, une course contre la montre
Ce 16 juillet, le président Harry Truman est à Potsdam. Il a succédé en avril à Franklin Roossevelt. Alors vice-président, il avait été mis à l’écart du programme Manhattan entrepris pour développer la bombe atomique. Désormais, il sait qu’il doit tenir tête aux ambitions de Staline qui vient déjà de se saisir de plus d’un million de kilomètres carrés à l’est de l’Europe. Dans Diplomacy (1994), Henri Kissinger restitue très bien l’ambiance tendue qui règne alors autour de la table des Grands dans cette petite ville d’Allemagne en zone contrôlée par l’Armée soviétique.
La machine infernale est arrivée le 12 juillet sur le polygone d’essai. L’objet est issu de la filière au plutonium, l’un des deux axes technologiques déployés par le programme Manhattan. Son mandat est impératif : concevoir et fabriquer une arme atomique, avant que les puissances de l’Axe puissent y parvenir. Le président des États-Unis, les scientifiques du projet attendent de cet objet le dégagement d’une puissance apte à raser une ville en l’espace d’une seconde. L’effet de la bombe atomique nous renvoie à la première expérience de fission réalisée par le chimiste allemand Otto Hahn en 1938, phénomène que vérifie quelques semaines plus tard le physicien et chimiste Frédéric Joliot-Curie au Collège de France. L’équation opérationnelle de l’arme atomique est simple : un avion, une bombe, une ville. De fait, en juillet 1945, l’équipe d’Oppenheimer est parvenue à développer deux filières, l’arme à uranium et l’arme au plutonium, objet de l’essai monté au Nouveau-Mexique. Le 2 décembre 1942, à Chicago, le physicien italien Enrico Fermi était parvenu à maintenir une réaction en chaîne contrôlé, démontrant ainsi que l’on peut produire du plutonium 239 dans un réacteur nucléaire. Son laboratoire ouvre sur la seconde filière.
Pour sa part, l’arme à uranium a la forme d’une torpille trapue. Les scientifiques de Los Alamos les baptisent Fat Man et Little Boy. L’arme à uranium abrite un canon horizontal qui va projeter une charge d’uranium dans une autre, créant ainsi la masse critique explosive. C’est tellement simple que les scientifiques de Los Alamos sont persuadés que Little Boy fonctionnera du premier coup. On peut donc se passer d’un essai. Observant les caractéristiques du plutonium, la bombe aura la silhouette d’un gros œuf, un empennage aérodynamique carré étant ajouté à une extrémité. L’arme au plutonium est complexe. C’est un ensemble imbriqué de lentilles d’explosif classique dont l’objet est de compresser brutalement une sphère de matière fissile. La technique de l’implosoir vient d’ainsi d’être inaugurée, avec un défi : un déclenchement parfaitement synchronisé des éléments d’explosif. Une équipe en charge « des éléments non nucléaires de l’arme » a travaillé sur le schéma électrique en amont du processus, d’où l’essai Trinity. Le gabari des deux armes est dessiné pour tenir dans le fuselage du B-29, le bombardier choisi pour frapper le Japon.
Les enjeux de l’expérience d’Alamogordo sont multiples. Dans le registre stratégique, la nouvelle industrie annonce une nouvelle ère, une révolution radicale dans les affaires militaires et un système international inédit. D’un point de vue technologique, il s’agit prosaïquement de valider l’architecture d’arme conçue par le Manhattan District. Ensuite, dans le jeu politique de l’instant, soutenir la politique des États-Unis dans la gouvernance mondiale la paix revenue. L’expérience réussie du 16 août, par son succès, donne au président Harry Truman une carte maîtresse dans la partie qui se joue à la Conférence de Potsdam. Dans l’immédiateté, Trinity ouvre sur la rédaction d’un ultimatum au gouvernement du Japon. Dès lors, au moyen de l’explosif nucléaire ainsi validé, il y a l’espoir d’achever la guerre en comptant sur le choc psychologique de la bombe atomique. Le 1er juin, Harry Truman prend sa décision : lancer les bombes atomiques sur le Japon, sans l’en avertir.
L’explosion
Dans le désert du Nouveau-Mexique, le dispositif au plutonium du District Manhattan, est arrivé sur le site le 12 juillet. Les ingénieurs lui ont donné le nom de Gadget. Le nom de code de l’opération est Trinity, en référence à l’Histoire Sainte. On hisse l’objet au sommet de la tour. Au total, 435 ingénieurs, techniciens et militaires sont déployés. Des caméras ultrarapides ont été disposées pour saisir le processus.
Pour assister au spectacle nocturne, dans l’« espace VIP » : Robert Oppenheimer, le professeur Ernest Lawrence – le scientifique de l’Université de Californie qui a mis en évidence le plutonium –, et le général Leslie Groves, directeur du projet Manhattan. Enrico Fermi, concepteur de la première pile à uranium est venu de Chicago tout exprès. Wannevar Bush, le conseiller scientifique de la Maison-Blanche s’est invité, ainsi que James Conant, le directeur du National Defense Research Committe. Ernest Chadwick, le chef de la délégation scientifique britannique affectée à Los Alamos est présent. Deux chars Sherman bardés de capteurs sont installés à proximité de la tour. Tout est en place. Un violent orage suivi d’une pluie diluvienne oblige à reporter l’expérience que l’on veut de nuit, l’obscurité devant révéler les effets lumineux de l’explosion. À 5 h 10, le compte à rebours est relancé pour 20 minutes.
3, 2, 1, 0, un éclair, une boule de feu. Enrico Fermi écrit : « Ma première impression de l’explosion a été une lueur fulgurante et une sensation de chaleur sur les parties exposées de mon corps. Je regardais alors dans la direction de l’explosion à travers le verre fumé et je vis quelque chose qui ressemblait à un conglomérat de flammes qui se mirent bientôt à jaillir. Quelques secondes après, les flammes perdirent leur luminosité et prirent la forme d’une immense colonne de fumée surmontée d’une large tête comme un gigantesque champignon qui s’éleva rapidement au-dessus des nuages ». Le général Groves transmet à Henry Stimson, secrétaire à la Guerre : « Pour la première fois dans l’histoire, il y a eu une explosion nucléaire. Et quelle explosion ! […] La puissance est estimée entre 15 et 20 kilotonnes, l’éclair a été vu dans un rayon de 180 miles jusqu’à Albuquerque, Santa Fe, Silver City, El Paso […] L’acier de la tour s’est évaporé. […] Des vitres ont été brisées à 125 miles de là. […] Un immense nuage s’est formé et s’est élevé vers la stratosphère jusqu’à 12 km de hauteur. ». Oppenheimer est submergé : il aurait eu cette formule « je suis devenu l’ange de la mort, le destructeur des mondes ». À 5 h 29, le 16 juillet, la première explosion nucléaire de l’histoire a dégagé 21 kt (c’est l’énergie qui sera fournie par le même dispositif le 9 août sur Nagasaki. L’essai Trinity reste un secret absolu. Pour ne pas éveiller la curiosité, un communiqué annonce l’explosion accidentelle d’un dépôt de munitions.
L’histoire s’emballe. À Potsdam, Harry Truman est immédiatement informé. Il s’approche de Staline, lui déclare que son pays a réussi à développer la bombe. Comme le raconte Henry Kissinger, le Soviétique feint l’indifférence, mais de retour à Moscou, il décide d’emblée d’accélérer son programme nucléaire, mission confiée à Kourtchatov. Il est vrai qu’il suit les progrès de Los Alamos via un réseau d’espions piloté par Béria, le chef du NKVD. Deux sources, au moins, seront identifiées : les physiciens allemand Klaus Fuchs et américain Ted Hall. La guerre froide vient de commencer, alors que les combats se poursuivent encore dans le Pacifique. Les Alliés envoient l’ultimatum qui est transmis au Premier ministre Kantaro Suzuki et rédigé comme suit : « Le Japon est sommé de se rendre sans condition sans quoi il subirait une rapide et grave destruction ». Le document est reçu le 26 juillet, l’injonction ne reçoit que mépris, les dirigeant japonais préférant un hara-kiri à l’échelle de l’empire que de capituler. Des villes japonaises seront détruites dans les jours qui vont suivre ; sur la liste qui fut établie le 11 mai par un comité de ciblage : Hiroshima et Nagasaki, mais aussi Nigata et Kokura.
Dès le 16, le croiseur USS Indianapolis quitte San Francisco avec à son bord les composants des deux bombes. Cap sur l’île de Tinian où attendent les B-29 du colonel Paul Tibbets. Dans un hangar isolé, cinquante ingénieurs et techniciens se mettent au travail et assemblent les deux armes module par module, ce qui mobilise deux journées complètes. Une fois dans le B-29, le décollage doit se faire dans la foulée, car les batteries nécessaire au déclenchement n’ont que deux jours d’autonomie. Pour Hiroshima, le B-29 Enola Gay de l’US Army Air Force (USAAF) emporte la bombe à uranium Little Boy, mission réalisée le 6 août.
Le projet Manhattan valide une forme inédite de gestion de projet au niveau national par une organisation intégrée multidisciplinaire. La méthode sera reprise notamment par l’Administration nationale [américaine] de l’aéronautique et de l’Espace (NASA) sur le programme Apollo. L’exercice des rapports de force s’en trouve bouleversé. À la Conférence de Potsdam, le président Harry Truman trouve dans l’arme nucléaire l’instrument majeur d’une nouvelle politique dite d’endiguement, avec comme objectif de fixer l’hégémonie soviétique. Ce nouveau principe directeur de la politique occidentale devait le rester pendant quarante ans, estime Henry Kissinger en 1994. En 2025, le principe reste toujours central dans l’action militaire et diplomatique américaine, y compris tout récemment. Telle est la lecture que l’on peut avoir de l’opération Midnight Hammer lancée dans la nuit du 21 au 22 juin 2025, en complément des raids israéliens sur les installations du programme nucléaire iranien soupçonnées de préparer une nouvelle bombe atomique. Les frappes américaines n’ont a priori visé que des installations industrielles.
Le programme Manhattan a coûté 2 milliards de dollars, chiffre dévoilé par le président Truman dans son annonce à la radio le 6 août 1945. À destination des opinions, un document est publié le 12 août, le rapport Smith, quelques jours après les deux raids atomiques. Il fournit une information sur le programme Manhattan, sans rien dévoiler de la formule technique. Le National Museum of Nuclear Science and History d’Albuquerque raconte dans le détail ces journées historiques, objet d’époque à l’appui. Les États-Unis sortent vainqueurs de la première guerre nucléaire. C’est par une brutalité inédite qui parachève la Seconde Guerre mondiale que l’humanité apprend qu’elle est entrée dans l’ère nucléaire, il y a 80 ans, le 16 juillet 1945. ♦