La situation s'est tendue, ces dernières semaines, au Moyen-Orient. À l'approche de l'Assemblée générale des Nations unies, lors de laquelle le président de la République prévoit de reconnaître officiellement l'État de Palestine, et 48 heures après les bombardements israéliens au Qatar, l'ambassadeur Bertrand Besancenot analyse la situation en cette rentrée qui voit s'éloigner toute résolution diplomatique du conflit.
Chroniques du Moyen-Orient – Reconnaissance de la Palestine par la France et bombardements israéliens au Qatar (T 1748)
Middle East Chronicles —Recognition of Palestine by France and Israeli bombings in Qatar
The situation in the Middle East has become tense in recent weeks. As the United Nations General Assembly approaches, where the President Emmanuel Macron plans to officially recognize the State of Palestine, and 48 hours after the Israeli bombing of Qatar, Ambassador Bertrand Besancenot analyzes the situation as the new term begins, with any diplomatic resolution to the conflict ebbing away.
Quelles perspectives pour l’initiative franco-saoudienne sur la Palestine ?
La situation au Moyen-Orient est actuellement très difficile et pleine d’incertitude : le Premier ministre israélien poursuit sa politique de fuite en avant dans la région, le président Donald Trump donne le sentiment de le laisser faire, les négociations américano-iraniennes sont dans l’impasse, les pays arabes paraissent peu actifs face au carnage à Gaza et les situations, tant au Liban qu’en Syrie, sont fragiles. On voit donc mal la lumière au bout du tunnel et on ne peut pas exclure une reprise de la confrontation.
Dans ce contexte peu favorable, l’initiative franco-saoudienne sur la solution à deux États reste un élément d’espoir pour tenter de sortir de la crise actuelle, malgré la difficulté évidente de l’exercice. Pourquoi ?
L’annonce par le président de la République que la France reconnaîtrait un État palestinien lors de l’Assemblée générale des Nations unies redonne de la crédibilité à notre diplomatie dans la région et crée une dynamique nouvelle. En effet, notre position face au drame humanitaire à Gaza était mal comprise et perçue comme de la tergiversation ; alors que la France a toujours été en faveur de la solution à deux États – conformément aux résolutions pertinentes des Nations unies – et que la visite à El Arich du président de la République avait manifesté la préoccupation française devant ce drame. Désormais les choses sont claires : la France s’engage, de concert notamment avec l’Arabie saoudite, dans la recherche d’un règlement durable et équitable de la question palestinienne. Cela signifie qu’il faut, sans délai, arrêter la guerre et libérer les otages israéliens, mais aussi qu’il convient de créer enfin les conditions d’une coexistence pacifique des peuples israélien et palestinien. Après le pogrom du 7-Octobre, la solution passe par des garanties de sécurité pour Israël, mais il faut également rendre justice au peuple palestinien en reconnaissant son droit à l’auto-détermination : c’est la meilleure garantie de sécurité pour Israël !
La prochaine reconnaissance par la France d’un État palestinien est un geste fort qui devrait entraîner notamment d’autres États européens à en faire autant. La Belgique, par exemple, a annoncé suivre la France dans cette initiative. Il est, en effet, important de créer une dynamique montrant que la solution à deux États est non seulement possible mais indispensable pour, en même temps, mettre un terme à une injustice inacceptable envers le peuple palestinien et permettre la reconnaissance par les pays du monde arabo-musulman de l’État d’Israël.
L’initiative franco-saoudienne sur la solution à deux États est de ce point de vue significative. Elle montrera la quasi-unanimité de la communauté internationale pour reconnaître un État palestinien. Par ailleurs, l’Arabie saoudite est un acteur majeur au Moyen-Orient et Donald Trump considère que la reconnaissance par Riyad d’Israël est une priorité pour la diplomatie américaine, qui souhaite créer une coalition entre les États du Golfe et Israël pour contenir les ambitions iraniennes. Le prince héritier saoudien est, toutefois, clair sur le fait qu’un tel mouvement ne pourrait intervenir que dans le cadre d’un processus contraignant vers la création d’un État palestinien. Naturellement la définition des modalités et des étapes de la mise en œuvre de la solution à deux États ne sera pas aisée, mais il faut enfin créer une perspective de paix et de coopération entre Israël et ses voisins arabes pour stabiliser le Moyen-Orient.
Certes, le gouvernement de Benyamin Netanyahou a réagi très négativement à l’annonce française d’une prochaine reconnaissance d’un État palestinien. Cela était prévisible quand on connaît le refus de ce gouvernement de reconnaître une identité palestinienne. Cependant, lui, ou son successeur, devrait normalement tenir compte des désidératas des États-Unis dont Israël dépend très largement sur les plans militaire et financier. Or, Donald Trump, dont la diplomatie n’a pas connu de grands succès sur les conflits majeurs dans le monde (Ukraine et Moyen-Orient), souhaite ardemment obtenir le prix Nobel de la paix mais aussi des contrats juteux dans le Golfe pour les sociétés américaines et son groupe familial. Il est donc possible, qu’à un certain stade, il soit amené à faire des pressions sur Israël pour parvenir à ses objectifs. Par ailleurs, ce serait l’intérêt même d’Israël de s’intégrer vraiment dans la région alors que l’hybris actuelle de Benyamin Netanyahou inquiète ses voisins.
La position du président Trump ne paraît, actuellement, pas encore clairement définie, même s’il y a eu récemment une réunion dans le Bureau ovale de la Maison Blanche consacrée à l’avenir de la bande de Gaza, dont on ne connaît cependant pas vraiment les conclusions.
De son côté, l’Égypte a commencé à former plusieurs centaines de Palestiniens – loyaux à l’Autorité palestinienne – pour constituer une force de 10 000 hommes chargés d’assurer la sécurité de l’enclave après la guerre.
Quant aux Européens, leur position n’est pas unifiée, mais face au drame humanitaire de Gaza, certains pays préconisent un accroissement de la pression sur le gouvernement israélien : suspendre le chapitre commercial de l’accord d’association UE-Israël, sanctions visant certains ministres et colons impliqués dans les violences en Cisjordanie…
Bref, les consultations menant à la prochaine Assemblée générale des Nations unies à New York devraient clarifier les positions des uns et des autres, en espérant qu’une nouvelle confrontation dans la région ne viendra pas perturber ces efforts. Il est néanmoins clair que si le positionnement du président Donald Trump est déterminant, l’initiative franco-saoudienne a le mérite de rappeler l’importance de trouver un règlement durable et équitable de la question palestinienne dans le cadre de la solution à deux États, sans laquelle il n’y aura pas de vraie stabilisation au Moyen-Orient.
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Après l’attaque israélienne au Qatar, le président Trump est-il en train de perdre le Golfe ?
Tout le monde se souvient de la tournée triomphale du Président des États-Unis dans le Golfe en mai dernier : il y avait été reçu royalement par les dirigeants de la région et avait annoncé des centaines de milliards de contrats à venir pour les entreprises américaines. Toutefois, lors du sommet du Conseil de coopération des États arabes du Golfe qui s’était tenu à Riyad à cette occasion, il avait entendu les doléances de ses interlocuteurs : pas de confrontation dans la région (qui ferait fuir les investisseurs internationaux) et un geste significatif en faveur des Palestiniens avant toute reconnaissance d’Israël par l’Arabie saoudite.
Quatre mois après, l’image est totalement différente : l’affaiblissement de la présence iranienne au Moyen- Orient est naturellement bien accueilli, mais le carnage en cours à Gaza – avec la complaisance des États-Unis – crispe les opinions publiques arabes et gêne leurs gouvernements. Le « deal » envisagé – reconnaissance par Riyad d’Israël en échange d’un engagement contraignant d’un processus menant à la création d’un État palestinien – n’avance pas du tout à cause de l’absence claire de pression de Donald Trump sur Benyamin Netanyahou, qui poursuit sa politique de fuite en avant dans la région. L’incapacité du Président américain de délivrer sa part du contrat est donc perçue dans le Golfe, au mieux, comme une faiblesse du chef de la première puissance mondiale (qui se fait manipuler par le dirigeant d’un petit pays pourtant aidé financièrement et militairement par Washington) et, au pire, comme un complice du boucher des Palestiniens.
En réalité, le doute sur la fiabilité des engagements de Donald Trump date de son inaction en 2019 lors des frappes iraniennes sur les installations de l’ARAMCO en Arabie saoudite. Cependant, les pays du Golfe, qui n’avaient pas – à l’exception du Qatar – des relations très confiantes avec l’administration Biden, ont accueilli avec faveur la réélection de Donald Trump et espéraient recréer, avec les États-Unis, leur relation stratégique traditionnelle.
Ce qui vient de se passer, avec l’attaque israélienne au Qatar contre les logements des dirigeants du Hamas, est la goutte d’eau qui risque de faire déborder le vase. En effet, soit les Américains ont fermé les yeux sur cette opération – et la crédibilité de la protection américaine est mise en cause –, soit ils ont donné un feu vert implicite et c’est une trahison à l’égard d’un membre du CCEAG. La réaction dans ces pays, dans le monde arabe (et même partout dans le monde), témoigne de la condamnation unanime de cette attaque chez un allié du monde occidental et un médiateur en action pour tenter de libérer les otages israéliens détenus par le Hamas. Donald Trump s’est d’ailleurs rendu compte de l’ampleur de cette faute politique en appelant, immédiatement après, l’émir du Qatar pour tenter de s’expliquer ; mais, le mal est fait, comme le montrent les réactions indignées de Doha et des autres capitales du Golfe, y compris d’Abou Dabi pourtant parrain des « accords d’Abraham », le supposé grand succès diplomatique du président Trump.
En réalité, il faudra du temps et des gestes américains pour prouver aux pays du Golfe que Trump n’est pas manipulé par Netanyahou et qu’il a encore la capacité, ou l’intention, de faciliter une sortie de crise équitable et durable de la guerre à Gaza. Certes, les membres du CCEAG sont pragmatiques et réalistes : ils savent qu’ils ont toujours besoin d’une protection américaine et que seuls les États-Unis ont les moyens de faire pression sur Israël pour obtenir des concessions en faveur des Palestiniens. Les relations avec Washington sont, en outre, profondes sur les plans humain, culturel, économique, politique et sécuritaire. Toutefois, dans cette partie du monde, la confiance et le respect de la parole donnée sont des valeurs sacrées, et l’attaque au Qatar tolérée par Donald Trump est un sérieux coup de canif dans le pacte avec Washington. Il est clair que la Chine saura en profiter en avançant ses pions dans la région…
Toutefois, la France – et peut-être l’Europe – a également une opportunité à saisir dans le Golfe. Notre pays a eu, en effet, la bonne idée de lancer conjointement avec l’Arabie saoudite l’initiative de convoquer à New York à la fin de ce mois une conférence internationale sur la solution à deux États. Même si elle a été fortement critiquée par Benyamin Netanyahou et Donald Trump, l’annonce de la reconnaissance à cette occasion par la France d’un État palestinien a créé une dynamique en Europe et au-delà. Par ailleurs, les Saoudiens sont les seuls qui permettraient à Donald Trump d’obtenir un succès diplomatique – la reconnaissance d’Israël par le « gardien des lieux saints » de l’islam – si naturellement il faisait les pressions indispensables sur Israël. Or, le Président américain rêve d’obtenir le prix Nobel de la paix, mais aussi de réaliser les contrats juteux pour les entreprises américaines (et son groupe…) envisagés dans le Golfe. On ne peut donc pas exclure que, pour rattraper son erreur dans l’affaire de l’attaque israélienne au Qatar, il soit amené à faire un geste lors de la prochaine Assemblée générale des Nations unies. C’est en tout cas une opportunité que la France doit saisir. Certes, notre image internationale est dégradée du fait de notre instabilité politique et de notre endettement, mais nous sommes à l’origine de cette initiative franco-saoudienne – avec le bon partenaire – et nous demeurons le pays européen le plus actif politiquement au Moyen-Orient. Sachons donc profiter de l’occasion que nous offre la nouvelle donne créée par l’attaque israélienne au Qatar !