
S’il existait jusqu’à présent des livres sur les Français de l’État islamique (EI), il n’y avait encore rien de publié en français sur ses recrues locales. Tous les déserteurs que les auteurs ont interrogés pour ce livre ont été exfiltrés de Syrie par une organisation appelée Thuwar Raqqa (au parcours sinueux), affiliée aux Forces démocratiques syriennes.
Le préambule permet de présenter les méthodes utilisées par cette organisation et certaines conditions d’entretien (un soir d’attentat en Europe, p. 14, par exemple).
Les six premiers chapitres permettent aux auteurs d’esquisser un portrait de l’organisation qui exfiltre des déserteurs de l’EI. Le dernier chapitre de cette partie donne un avant-goût des témoignages, avec parfois des informations que l’on ne retrouvera pas par la suite. L’admiration des deux auteurs (dont au moins un est arabophone) transparaît.
La seconde partie rassemble les témoignages, au nombre de onze. Le premier est celui d’un dénommé Abou Ali. Jordanien mais ayant étudié en Syrie, il passe assez facilement la frontière pour rejoindre l’EI. Il est envoyé en formation théologique, où dès le premier jour on lui demande s’il veut participer à une mission suicide. Brancardier puis gardien de prison, il déserte depuis Alep.
Le deuxième témoignage est celui d’Abou Oussama. Il rejoint l’EI parce que ce sont eux qui ont rétabli l’ordre à Raqqa et qu’il est attiré par le jihad. Puis suivent Abou Hozeifa (il est resté quatre ans et demi) qui a été le chef d’un check-point et Abou Maria, un cuisinier aux premières loges de la corruption des émirs. Kaswara avait encore quatorze ans quand il est devenu un agent de la sécurité intérieure de l’EI. Il a égorgé et fait égorger mais est parti après avoir subi un viol. L’instituteur Abou Fourat n’a pas été membre de l’EI mais a dû s’enfuir. Il a peut-être connu Moussa et Youssef, deux enfants-soldats. Leur oncle fait aussi le récit, très pessimiste, de comment les enfants sont attirés et formatés par Daesh, ce que confirme Abou Ahmad dans le chapitre suivant. Abou al-Abbas a quant à lui été chanteur pour l’EI et, dans le dernier témoignage, Rayan raconte comment il s’est retrouvé dans Al-Qaïda puis l’EI parce qu’il avait été refusé par d’autres groupes rebelles.
La forme du livre est quelque peu dérangeante. Sont présentés des témoignages très retravaillés qui ne permettent pas de pouvoir retrouver les formulations originales (et encore moins les questions des deux auteurs). Et des questions il y en a sûrement eu, comme presque chaque témoignage s’achève sur une exhortation à ne pas se joindre à l’EI. Il y avait sans doute moyen de mieux respecter les paroles d’origine.
Dans leur insincérité, ces témoignages montrent néanmoins bien la prise en main de la société syrienne par l’EI et son utilisation des enfants, comme d’autres totalitarismes avant eux (p. 167 par exemple). Ces récits donnent une idée assez précise de l’attrait qu’a pu avoir ou que peut encore avoir cette organisation, avec ces parcours divers qui conduisent à l’engagement. Pour beaucoup de témoins adultes cependant, l’idée de départ n’était pas mauvaise mais l’EI a tout gâché, surtout en invitant des combattants étrangers. Aller combattre en Birmanie pour les Rohingyas est même évoqué par l’un d’entre eux (p. 104), signe que si l’expérience a été ratée, il n’y a pas forcément pour ses observateurs invalidation du protocole.
Un livre limité tant sur la forme que sur le fond mais qui a le mérite de porter le regard sur les recrues locales et leur société.