L’arme atomique, facteur de paix ? (janvier 1955)
Les armes atomiques constituent désormais le facteur de force le plus puissant dans le monde, bien qu’il ne soit à la disposition que d’un petit nombre de grandes puissances. Il existe dès maintenant des quantités importantes et rapidement croissantes de ces armes, qui représentent un potentiel de destruction en augmentation constante. Jusqu’à la réussite des essais thermonucléaires américains et soviétiques, on pouvait supposer que cette augmentation serait limitée par un goulot d’étranglement : la production d’uranium naturel. On pouvait, en effet, estimer qu’étant donné les ressources probables en minerais de ce métal, il serait possible de produire au total dans le monde, environ 2 500 bombes atomiques de fission par an, ce qui n’était pas négligeable et aurait conduit au bout de quelques années à l’accumulation de stocks déjà respectables. Certes, ce chiffre était susceptible de s’accroître largement dans l’avenir par application du principe du breeding et par l’utilisation comme matière explosive de l’isotope de masse 233 de l’uranium obtenu, dans les réacteurs, à partir du thorium.
Quelque élevé que fût le stock mondial de bombes à considérer comme disponible dans un avenir immédiat, sa puissance destructrice apparaissait cependant comme ne pouvant être développée à volonté. Or, les essais thermonucléaires ont réussi et d’une manière telle que la mise au point des engins « de fusion » paraît maintenant permettre de multiplier à peu de frais la puissance totale de destruction du stock de bombes de fission. Il semble bien, en effet, résulter de l’étude de la littérature, si discrète soit-elle, relative aux bombes thermonucléaires que ces engins doivent être réalisables commodément et sans que soit nécessaire ni la mise en œuvre en quantités importantes de corps très coûteux tels que le tritium, ni la réalisation de dispositifs très compliqués. Si l’hypothèse couramment admise aujourd’hui est exacte, en vertu de laquelle il suffirait pour construire une bombe thermonucléaire d’utiliser des corps relativement courants tels que le deutérium et l’isotope de masse 6 du lithium, et d’amorcer leur réaction au moyen d’un détonateur constitué par une bombe de fission, on est amené à en déduire qu’il devient possible de remplacer à peu de frais chaque bombe de fission par une bombe plusieurs centaines de fois plus puissante.
Si le nombre total des engins ne doit pas en être augmenté, leur puissance globale deviendrait ainsi d’un autre ordre de grandeur par le passage du stade « atomique » au stade « thermonucléaire » (1). Il n’est donc pas douteux que, sinon dès maintenant au moins dans un avenir très proche, les grands pays « atomiques » seront en mesure de déclencher dans le monde des dévastations qui n’ont aucune commune mesure avec les destructions les plus terribles dont on pouvait avoir idée jusqu’ici.
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