L’Unmanned Combat Air Vehicule (UCAV) français, furtif et autonome, accompagnera le Rafale F5 pour renforcer le combat collaboratif. Capable d’opérer dans des zones contestées, il jouera un rôle clé dans la supériorité aérienne future. Son intégration au programme NGWS/Scaf créera un système de systèmes optimisé pour frapper, saturer et s’adapter face à des menaces de plus en plus sophistiquées.
L’ascendant opérationnel par le combat collaboratif, les évolutions de l’aviation de combat
Operational Superiority Through Collaborative Combat: Developments in Combat Aviation
Together with the Rafale F5, the stealthy and autonomous French UCAV will contribute to boosting collaborative combat. It is capable of operating in contested environments and will play a key role in air superiority in the future. Its integration into the future combat air system (FCAS) programme will create an optimised system of systems to strike, saturate and adapt in the face of ever more sophisticated threats.
Un UCAV couplé au Rafale F5
Mardi 8 octobre 2024, sur la base aérienne de Saint-Dizier, Sébastien Lecornu, ministre des Armées et des Anciens combattants, annonce le lancement du développement d’un drone de combat qui viendra compléter le futur standard F5 du Rafale (1). Le projet d’Unmanned Combat Air Vehicule (UCAV) français est ainsi révélé officiellement au grand public plus de 20 ans après le lancement du premier démonstrateur de drone de combat furtif, le Dassault Neuron. Cette annonce marque un tournant dans l’histoire de l’aéronautique française et démontre la volonté de la France et de l’AAE à rester dans la course à la supériorité aérienne.
L’UCAV : la réponse française aux menaces à l’horizon 2035
La dernière décennie a été marquée par le développement et la prolifération de menaces de plus en plus complexes et redoutables chez nos principaux compétiteurs. Les stratégies de Déni d’accès et d’interdiction de zone (A2/AD) mettant en œuvre des systèmes sol-air longue portée, des brouilleurs sur tout le spectre électromagnétique mais aussi des chasseurs furtifs, posent un véritable défi aux aviations de chasse des puissances occidentales. L’US Air Force (USAF) articule une partie de sa réponse autour du chasseur F-35 Lightning II capable de pénétrer ces zones A2/AD fortement contestées grâce à sa furtivité intrinsèque. Les Américains avaient déjà pris une longueur d’avance dans le développement de technologies furtives avec certains appareils déjà mis en œuvre : F-117 Nighthawk, B-2 Spirit, F-22 Raptor. Ils ont poursuivi leurs efforts en généralisant cette technologie sur F-35 et sans nul doute sur le futur F-47 qui devraient constituer à eux deux une bonne partie de la flotte de chasseurs de l’USAF à l’horizon 2030-2040.
À la différence de ces vecteurs, le Rafale développé dans les années 1990, n’a pas été conçu autour du concept de furtivité. Malgré des capacités d’évolution et d’adaptation aux menaces qui ne sont plus à démontrer, le Rafale reste – par nature – plus contraint dans ses tactiques de pénétration et atteint certaines limites face aux futures menaces de dernière génération. En attendant le Next Generation Fighter (NGF), avion furtif de la génération la plus avancée à l’horizon 2040-2045, les capacités de l’AAE risqueraient d’être de plus en plus bridées réduisant ainsi la liberté d’action des armées françaises, à moins de développer des capacités de furtivité déportée qui compléteraient au plus tôt celles du Rafale : c’est la naissance du projet d’UCAV.
Quel rôle pour l’UCAV ?
Le terme UCAV désigne un aéronef sans pilote doté d’un certain niveau d’autonomisation et capable d’effectuer un large panel de missions au même titre que les avions de chasse qu’il accompagne. En fonction des capteurs et des armements qu’il emporte, un UCAV pourra donc contribuer directement à des missions de supériorité aérienne (Defensive Counter Air & Offensive Counter Air), à la collecte d’informations (combat Intelligence Surveillance and Reconnaissance), à la Suppression des défenses aériennes (SEAD) et également aux missions d’attaque de navire (Anti Surface Warfare).
L’UCAV développé par la France est conçu pour être furtif, lui permettant de se rapprocher plus près des menaces et/ou des objectifs militaires qu’un avion de chasse. Il peut donc rapporter davantage de renseignements d’origine image (ROIM ou Imagery Intelligence) ou électronique (ROEM ou Electronic Intelligence) afin de détecter et reconnaître des cibles d’intérêt, désigner plus précisément des cibles aériennes comme terrestres (au profit d’autres effecteurs ou au sien). Il sera capable d’engager si besoin ces cibles lui-même à l’aide de son armement intégré en soute et d’effectuer l’Évaluation des dommages réalisés (BDA, Battle Damage Assessment) par l’attaque afin de mettre à jour la situation tactique. Plus globalement, il peut donc être capable (selon ses emports) d’adresser tout ou partie de la chaîne de létalité (2). Cet UCAV furtif constitue donc un réel atout pour l’aviation de chasse française en créant ou en améliorant certains effets.
Intégration homme-système : quelle place pour l’homme ?
Même si les UCAV présentent des niveaux d’autonomisation plus élevés que les drones actuellement en service et n’auront probablement pas besoin d’être « pilotés » en boucle courte, ils resteront néanmoins dépendants d’un opérateur humain qui fixera les objectifs et le cadre de la mission (cibles, règles d’engagement, niveau de risque), orientera le vecteur et ses capteurs mais surtout assumera l’ensemble des décisions qui mèneront à l’engagement du feu (classification et engagement) (3).
L’humain sera donc intégré au processus décisionnel selon l’importance et la criticité des actions envisagées : nous parlons alors de concept d’homme « dans la boucle », pour celles nécessitant la validation d’un humain (comme la classification et l’engagement) ; d’homme « sur la boucle », pour celles moins critiques qui pourraient être corrigées si besoin par l’opérateur (pilotage, gestion des capteurs…) ; et d’homme « hors de la boucle », si la machine est autorisée à prendre des décisions seule sans attendre de validation humaine. Ce dernier concept, bien que permettant d’accélérer la boucle décisionnelle, ne peut aujourd’hui s’appliquer aux fonctions les plus critiques au regard de nos dispositions d’ordre éthique (4). Ce point est lui-même intrinsèquement lié à la confiance que l’humain aura envers ces nouveaux « outils ».
Ainsi, un certain nombre de missions nécessiteront encore un homme à bord pour des raisons de responsabilité majeure et/ou de confiance dans le cas des modes les plus dégradés (ex : secours apporté à un avion en détresse ou résilience face à une attaque cyber). En France, la première génération d’UCAV sera donc nécessairement liée à l’humain, en cohérence avec un spectre de missions défini.
Le Rafale F5, évolution en leader d’un équipier de choix : l’UCAV
Pour jouir de l’ensemble des capacités opérationnelles d’un UCAV, il faudra donc bénéficier d’une communication robuste au brouillage, cyber-résiliente et offrant un débit suffisamment important entre l’UCAV et son opérateur. Or, comme nous pouvons déjà le constater sur de multiples théâtres d’opérations, le champ électromagnétique est de plus en plus contesté et massivement brouillé, gênant ainsi l’ensemble des communications y compris celles qui passent par satellites. À l’horizon 2030-2035, seules des antennes dites « directives » permettront de couvrir ce besoin tout en s’affranchissant des menaces à venir. Au regard des portées accessibles par ce type d’antenne, le Rafale est la seule plateforme capable de maintenir et garantir des communications avec l’UCAV en zone fortement contestée. L’UCAV sera donc relié au Rafale par un lien invisible. Le couple Rafale F5-UCAV formera ainsi un duo létal, fournissant de nouveaux avantages au Rafale tout en permettant à la France d’entrer dans le cercle fermé des nations mettant en œuvre des plateformes furtives. L’ambition est de faire de cet UCAV un véritable équipier obéissant aux directives du pilote de Rafale, tout en possédant un niveau d’autonomie suffisamment avancé pour ne pas surcharger ce dernier. Le standard F5 du Rafale apportera de fait des outils d’aide à la décision et à la conduite de la mission pour optimiser la charge cognitive du pilote sous un seuil acceptable, maintenant une parfaite symbiose entre les deux vecteurs.
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L’UCAV français peut être comparé aux deux CCA (Collaborative Combat Aircraft) développés par General Atomics et Anduril dans le cadre du programme américain NGAD (Next Generation Air Dominance). A priori différents sur certains choix technologiques et capacitaires, ces trois plateformes tendent néanmoins à répondre à la même volonté : garantir la supériorité aérienne sur l’adversaire ! Bien que l’approche française sur l’UCAV permette de regagner en liberté d’action, elle devra être complétée dans le Système de combat aérien du futur (Scaf) par des objets plus petits et donc moins onéreux pour améliorer la concentration des efforts, par saturation et/ou par déception, tout en économisant des moyens : les RC (Remote Carriers).
Les Remote Carriers : un multiplicateur de force pour le Scaf
Le programme NGWS (Next Generation Weapon System), plus communément appelé Scaf, porté par la France, l’Allemagne et l’Espagne, a pour ambition de doter l’Europe d’un système de combat aérien de nouvelle génération d’ici 2040. Au cœur de ce dispositif, les Remote Carriers (RC), des drones collaboratifs et modulaires, sont appelés à jouer un rôle clé en complétant les capacités opérationnelles des futurs chasseurs de nouvelle génération, les New Generation Fighters (NGF). Ces vecteurs, interconnectés par l’intermédiaire du Cloud de combat, constitueront alors un véritable multiplicateur de force, apportant une agilité tactique inédite face aux menaces émergentes.
Pourquoi intégrer des Remote Carriers au NGWS ?
Le NGF, futur chasseur de dernière génération et pierre angulaire du NGWS, vise à remplacer les chasseurs actuels en offrant des performances accrues en matière de furtivité, de connectivité et de puissance de feu. Toutefois, dans un environnement opérationnel toujours plus contesté, où les systèmes de défense anti-aérienne et les capacités de guerre électromagnétique continueront de se renforcer et de se coordonner, l’apport des RC et le combat collaboratif s’avéreront déterminants.
Les RC, par la diversité des capacités opérationnelles mises en œuvre, ont pour objectif de décupler les effets que pourra produire le NGF et d’augmenter la masse de combat. En agissant comme des capteurs avancés, ils permettront avant tout d’étendre la bulle de détection et d’améliorer la connaissance de la situation tactique. Ils permettront ainsi au NGF de réduire ses émissions et donc de rester discret. En tant qu’effecteurs déportés, ils seront en mesure de réaliser les missions les plus exigeantes et les plus dangereuses, limitant de fait l’exposition des avions pilotés. Enfin, leur modularité facilitera une rapide adaptation des capacités employées en fonction de la mission, assurant une flexibilité accrue dans la planification et l’exécution des opérations.
Dans le cadre du programme NGWS, deux grandes catégories de RC sont étudiées : des drones « consommables », par nature légers et déployés en grand nombre pour saturer les défenses adverses, et des drones récupérables, plus lourds et capables de produire des effets militaires plus importants.
L’intégration de ces RC dans le programme NGWS permet de concevoir un système de systèmes fondé sur le combat collaboratif, maximisant l’efficacité des plateformes pilotées et non pilotées pour acquérir et maintenir la supériorité aérienne et opérationnelle, gage de la liberté d’action des armées, en particulier dans les environnements les plus contestés.
Augmenter la masse de combat à coûts maîtrisés
Face à un environnement adverse toujours plus dense et difficile à pénétrer, la question de la masse de combat est essentielle. Elle ne saurait être compensée par les seules capacités opérationnelles d’un chasseur, aussi significatives soient-elles.
Les RC offrent une solution pragmatique à cette contrainte. En complétant les avions pilotés par des drones plus abordables et pour certains réutilisables, ils offrent une augmentation de la masse de combat sans voir les coûts s’envoler. Ces drones peuvent être produits en plus grand nombre et déployés de manière flexible en fonction des besoins, sans nécessiter le même niveau d’investissement que des chasseurs habités. De plus, leur caractère modulaire et potentiellement consommable favorise l’adaptation de la stratégie d’engagement en fonction des risques, évitant ainsi d’exposer des avions pilotés à des missions particulièrement dangereuses.
L’étendue du spectre d’étude des RC au sein du programme NGWS, du plus gros au plus léger, doit permettre d’identifier le meilleur compromis coût/effets opérationnels afin de répondre à cet objectif : obtenir une masse de combat importante et efficace tout en maîtrisant les coûts d’acquisition et de mise en œuvre.
De l’enjeu du combat collaboratif
Les RC ne se limitent pas à remplir des rôles opérationnels d’appui, de reconnaissance ou encore de défense aérienne, mais augurent d’une voie vers le développement du combat collaboratif qui redéfinira profondément l’engagement aérien. Le système de systèmes NGWS constitué de NGF et de RC sera complété d’un Cloud de combat, véritable colonne vertébrale des capacités collaboratives qui conféreront aux RC toute leur puissance.
Les RC pourront ainsi être équipés de capteurs qui viendront augmenter les capacités de détection et d’élaboration de la situation opérationnelle des NGF, tout en leur permettant de conserver leur furtivité. Ils pourront être équipés de systèmes de guerre électromagnétique avancés pour brouiller et perturber les capteurs adverses, contribuant ainsi à la suprématie informationnelle des forces alliées. Ils pourront également être utilisés comme leurre pour simuler des raids aériens et saturer les défenses, attirant les tirs ennemis et exposant les vulnérabilités adverses. Enfin, les RC les plus lourds pourraient être dotés d’armements air-air et de capacités de frappe autonome, avec des armements de précision pour des attaques ciblées. Ces nouvelles capacités offriront aux forces aériennes une flexibilité inégalée dans la conduite des opérations, en combinant vitesse d’exécution, résilience et diversification des menaces.
L’intégration des RC dans le NGWS repose sur la maîtrise de technologies en pleine expansion, au premier rang desquelles l’autonomie décisionnelle, intégrant de l’Intelligence artificielle (IA) de confiance, qui devra garantir une coopération efficace avec les avions pilotés tout en respectant les règles d’engagement. La connectivité et la cybersécurité seront également cruciales pour assurer la résilience du réseau de combat face aux tentatives d’interception, de brouillage ou d’attaque informatique.
Vers une coopération entre alliés garante des enjeux futurs d’interopérabilité
Les RC suscitent un intérêt grandissant au-delà du seul cadre européen du projet NGWS. Aux États-Unis, le concept des Collaborative Combat Aircraft (CCA) s’inscrit dans une logique similaire et vise à explorer ces nouvelles capacités opérationnelles. De leur côté, d’autres puissances, notamment la Chine et la Russie, investissent également dans des systèmes de drones de combat autonomes, témoignant de l’importance stratégique de ces technologies. La montée en puissance de ces programmes souligne la nécessité pour l’Europe de ne pas prendre de retard et de renforcer ses efforts de développement et d’intégration.
Dans ce contexte, la coopération entre alliés est une priorité stratégique pour assurer l’interopérabilité future des systèmes de combat, qu’il s’agisse des chasseurs, des RC ou des différents types de plateformes autonomes. Un dialogue élargi sur les standards de communication, les protocoles d’engagement et les doctrines d’emploi est essentiel pour garantir une compatibilité entre les différentes plateformes, évitant ainsi une fragmentation des capacités alliées. L’enjeu est double : maintenir une avance technologique face aux compétiteurs et s’assurer que ces nouveaux vecteurs s’intègrent efficacement dans un environnement multinational de plus en plus interconnecté, aux complémentarités croisées.♦
(1) Lecornu Sébastien, « Déclaration du ministre des Armées et des Anciens Combattants sur les Forces aériennes stratégiques (FAS) », Saint-Dizier, le 8 octobre 2024 (https://www.vie-publique.fr/).
(2) Kill Chain - F2T2EA : Find, Fix, Track, Target, Engage & Assess.
(3) Pappalardo David, « L’intelligence artificielle au service des aviateurs ou comment l’intelligence humaine est l’avenir de l’IA », Cahier de la RDN « Salon du Bourget 2019 - L’Air et l’Espace, enjeux de souveraineté et de liberté d’action de la France », juin 2019, p. 195-202 (https://www.defnat.com/).
(4) Comité d’éthique de la Défense, « Avis sur l’intégration de l’autonomie dans les systèmes d’armes létaux », 29 avril 2021 (https://archives.defense.gouv.fr/).