Politique et diplomatie - Après le sommet manqué
Les événements de mai comportent un certain nombre de leçons qu’il est intéressant de rassembler. On peut les grouper sous deux rubriques : d’abord l’interprétation du comportement des principaux personnages du « rendez-vous manqué » de Paris. Ensuite les perspectives d’avenir que l’interprétation de ce passé encore chaud laisse entrevoir. Si le comportement de M. Khrouchtchev entre le 1er et le 16 mai soulève bon nombre de questions, le comportement de l’administration américaine pendant cette période est, à certains égards, difficilement explicable.
La première question que l’on est en droit de se poser est la suivante : des vols de reconnaissance aérienne étant effectués par des appareils américains au-dessus du territoire soviétique depuis près de quatre ans, l’éventualité fut-elle envisagée de suspendre ces vols en raison de la proximité de la rencontre au sommet ? Sur ce point, les premiers résultats de la Commission d’enquête du Sénat, présidée par M. Fullbright, sont formels : cette éventualité ne fut pas évoquée aux plus hauts échelons de l’administration américaine. Le vol de l’U-2 du 1er mai fut un vol de routine. Et l’on peut penser que ni le Président des États-Unis, ni le Secrétaire d’État n’en furent informés. Les événements ont montré que ce fut une erreur ; la présence de l’U-2 au-dessus de Sverdlosk, le 1er mai, à quinze jours de la conférence au sommet, étant « pour le moins intempestive ». Cependant, les organes intéressés de l’administration américaine font sans doute valoir que de nombreuses conférences internationales s’étaient tenues depuis que de tels vols étaient organisés, sans qu’il n’y ait jamais eu interférence entre l’activité de la Central Intelligence Agency, menée sous le couvert de l’Organisation nationale de recherches aéronautiques et spatiales (N.A.S.A.) et les activités diplomatiques du gouvernement des États-Unis.
Un autre point paraît difficilement explicable. Le samedi 7 mai, l’administration américaine, admettant que l’U-2 effectuait une mission de reconnaissance sur le territoire soviétique, déclarait qu’« en ce qui concerne les autorités de Washington, elles n’avaient pas eu à autoriser le vol auquel M. Khrouchtchev fait allusion ». Mais le lundi 9 mai, un nouveau communiqué déclarait que de tels vols étaient effectués sur l’ordre du Président, et donnait à penser que ces vols seraient continués. Comment expliquer cette attitude contradictoire et la confusion qu’elle révèle. Il semble que l’une des raisons de ce « flottement » soit l’absence du Secrétaire d’État qui, après dix jours passés en Iran, en Turquie et en Grèce, ne regagna Washington que le vendredi 6 mai dans la soirée. Quant au Président des États-Unis, il se trouvait absent de Washington pour le week-end et c’est par téléphone que M. Herter s’entretint avec lui de l’affaire, après la publication du communiqué du 7 mai. C’est donc par téléphone qu’il fut décidé, peut-être hâtivement, entre Washington et Gettysburg de modifier la position adoptée par l’Administration le 7 mai et de faire endosser par le Président des États-Unis la responsabilité des vols d’espionnage. On discerne assez facilement les raisons qui ont conduit le Président Eisenhower à endosser cette responsabilité. Le supérieur hiérarchique a voulu couvrir ses subordonnés qui en organisant et en exécutant la mission de l’U-2 n’avaient fait qu’exécuter les ordres antérieurement donnés par lui sous une forme générale. Mais, ce faisant, le Président Eisenhower, peut-être sans s’en rendre compte, modifiait la nature des vols de reconnaissance. Il leur faisait une place dans la politique délibérée et avouée des États-Unis. Sans y prendre garde, il lançait ainsi une sorte de défi au gouvernement et à l’opinion soviétiques, en même temps qu’il plaçait le gouvernement américain sur un terrain difficile à tenir au point de vue du droit international.
Il reste 74 % de l'article à lire