Politique et diplomatie - Johnson choisit la paix
Imaginons que le Président Johnson, au cours des mois de février ou mars, ait confié à l’un de ses ordinateurs, sans lesquels, nous dit-on, il est aujourd’hui difficile de gouverner, les données des deux questions fondamentales et solidaires auxquelles le Président des États-Unis devait fournir une réponse. Ces deux questions, il les eût formulées de la manière suivante : a) comment assurer la réélection du Président Johnson et la victoire du Parti Démocrate à l’échéance, déjà marquée dans le calendrier, des élections présidentielles de novembre prochain ? b) comment assurer une fin honorable à la guerre du Vietnam dans des conditions qui permettent de prétendre que les intérêts vitaux des États-Unis sont sauvegardés ? Ces deux problèmes, je le répète, sont interdépendants. Ils l’étaient probablement depuis longtemps et l’on pouvait prévoir que les élections présidentielles se joueraient sur la guerre du Vietnam. Mais il est également vrai que cette interdépendance se présente sous une forme nouvelle depuis deux mois.
Depuis deux mois en effet, l’opinion publique aux États-Unis et non plus seulement une minorité infime — quoique influente — de professeurs et d’étudiants a pris une conscience plus nette de la situation réelle au Vietnam. Le « révélateur » de cette situation a été l’offensive du Têt déclenchée le 29 janvier. Celle-ci a démontré, à l’évidence, que les perspectives optimistes constamment ouvertes par les communiqués du Pentagone et les commentaires du Département d’État n’étaient pas justifiées par la situation réelle. Elle a démontré que dans le milieu sud-vietnamien, le commandement américain était « aveugle et sourd », que le Front National de Libération était en mesure de porter son offensive dans les villes, de les tenir et de s’implanter d’une manière plus profonde encore dans les campagnes. Elle a enfin manifesté que, quantitativement et qualitativement, l’armement dont dispose le Front s’améliore au même rythme que se développe l’effort militaire américain au Vietnam. En d’autres termes, cette offensive a fait la preuve que, militairement, l’affaire vietnamienne est pour Washington une impasse.
Du coup, l’opinion américaine a commencé à bouger. Les sondages ont enregistré une baisse de popularité du Président Johnson. Les élections primaires du New Hampshire ont donné au sénateur McCarthy une consécration inespérée. Ce succès du candidat de la paix a, à son tour, déterminé le sénateur Robert Kennedy à annoncer officiellement sa candidature en défiant ouvertement le Président Johnson. Entre Richard Nixon, qui apparaît de plus en plus comme le candidat incontesté des Républicains, et Robert Kennedy ou Eugène McCarthy qui se présentent comme les candidats de la paix par la négociation, la réélection du Président Johnson paraissait singulièrement compromise. S’il continuait la politique de l’escalade en augmentant encore la mise américaine dans le jeu vietnamien, il allait nécessairement augmenter le mécontentement d’un nombre croissant d’électeurs sans espoir raisonnable de voir les opérations militaires contraindre l’ennemi à une négociation dictée par Washington. Mais si, choisissant de renverser la vapeur, il décidait d’interdire inconditionnellement les bombardements sur le Nord-Vietnam, il remettait en quelque sorte son propre sort politique entre les mains de Hanoï. En effet, si le Nord-Vietnam souhaitait la défaite de Johnson, il lui suffisait sans doute de ne pas répondre à l’offre du Président. Du coup, ses adversaires, démocrates et républicains, auraient fait valoir qu’incapable de gagner la guerre il l’était aussi de faire la paix.
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