L’Érythrée est devenue, à l’issue du référendum du 25 avril 1993, le 52^e État indépendant d’Afrique. Depuis les années 1960, époque des indépendances d’un grand nombre de pays du continent, c’est la première fois qu’une lutte armée sécessionniste débouche sur la création d’un nouvel État. L’événement est d’une grande importance en Afrique, où depuis une trentaine d’années, tout le monde s’est acharné à faire respecter le dogme de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Les luttes indépendantistes suscitent toujours d’ailleurs chez la plupart des dirigeants africains méfiance et inquiétude. De fait, les Érythréens ont bénéficié ces dernières années d’un concours de circonstances favorables exceptionnel. Il n’est pas du tout sûr, en tout cas, que leur réussite ouvre la voie du succès à d’autres tentatives indépendantistes.

C’est bien sûr la crise de l’empire soviétique à la fin des années 1980 qui a modifié irrémédiablement les données de l’équation érythréenne. Après avoir été soutenue et armée par les Occidentaux, et en particulier par les Américains, jusqu’à la chute du Négus, l’Éthiopie marxiste-léniniste a reçu un soutien décisif du camp soviétique à partir de 1977 : plus de 11 000 soldats cubains, des centaines de conseillers soviétiques et est-allemands ont été déployés dans le pays. Des quantités considérables d’armes modernes ont été fournies par Moscou. Ce soutien a permis à la junte militaire dirigée par le colonel Mengistu Haile Mariam de résister aux offensives des indépendantistes érythréens. Mikhaïl Gorbatchev avait entrepris, peu après son accession au pouvoir, un mouvement significatif de désengagement. Le non-renouvellement des accords soviéto-éthiopiens qui arrivaient à échéance en 1991 fut fatal à Mengistu, qui abandonnait le pouvoir et fuyait au Zimbabwe en mai 1991.

C’est au Caire, en 1961, qu’un groupe de jeunes musulmans créait le Front de libération de l’Érythrée, qui allait trouver alliés et financements auprès de nombreux pays arabes. Celle-ci, ancienne colonie italienne, avait été rattachée à l’Éthiopie en 1952 dans le cadre d’une fédération et sous les auspices des Nations unies. En 1961, l’empereur Hailé Sélassié décidait unilatéralement de mettre un terme au cadre fédéral et de conférer à l’Érythrée le statut d’une simple province de l’Éthiopie. C’est cette décision qui déclencha la création du FLE et le début d’une lutte armée acharnée qui aura duré trente années et provoqué près de cent mille morts. À l’époque, les Nations unies et la communauté internationale ne réagirent pas à la décision du négus, considérant qu’il s’agissait d’une affaire politique intérieure de l’Éthiopie.