Asie - Sri Lanka : la gauche prend le pouvoir
Des élections législatives anticipées, exceptionnellement calmes pour ce pays, ont eu lieu le 16 août 1994. Pour les 225 sièges au Parlement, 1 400 candidats représentant 39 partis se sont présentés au suffrage des électeurs. En fait, la compétition opposait principalement le Parti Sri Lankais de la liberté (SLFP), conduisant une coalition de 9 partis de gauche, au Parti national unifié (UNP) qui lui avait ravi le pouvoir en 1977. La majorité électorale étant de dix-huit ans, les jeunes, votant pour la première fois, n’avaient connu, de leur vie, que le règne de l’UNP. L’issue était incertaine, bien que de nombreux analystes aient prédit la victoire du SLFP dont la pression était de plus en plus forte après sa percée aux élections provinciales du 24 mars 1994 dans le sud du pays, fief de l’UNP. L’Alliance populaire, conduite par le SLFP, a remporté la victoire avec un total de 113 sièges contre 94 à l’UNP. Des accords avec de petits partis indépendants devraient assurer une majorité d’environ 121 députés.
Deux facteurs ont été déterminants dans le choix des électeurs : la situation économique et la guerre des séparatistes tamouls qui ravage le nord et l’est du pays depuis douze ans. Bien que les deux formations n’aient pas de programmes vraiment opposés sur ces questions, les électeurs, qui sont allés aux urnes à 80 %, fatigués de violence et de corruption, ont simplement confié à une autre équipe leur espoir de solution. L’économie du Sri Lanka connaît depuis plusieurs années une croissance moyenne de 5 %, grâce à une forte progression des exportations (+ 28,1 % en 1993), mais aussi une inflation de plus de 10 %. Le budget de l’État n’est équilibré que par une aide internationale massive, fixée chaque année par le « groupe de Paris », couvrant en moyenne 40 % des dépenses. La guerre civile, au prix d’un million de dollars par jour, sans compter les pertes humaines et les biens détruits, absorbe environ 20 % du budget national.
Dans son discours du 1er mai, le président D.B. Wijetunga n’avait fait que des promesses électorales vagues et démagogiques à une population encore rurale à 78 % : salaire minimal garanti de 2 000 roupies dans les secteurs public et privé à partir du 1er janvier 1995, baisse des impôts sur les revenus pour les classes moyennes, distribution d’engrais pour les fermiers, repas libres pour les étudiants, projet d’assurances sociales pour les fermiers et les artisans… sans mentionner les effets inflationnistes que représenterait la mise en œuvre de telles mesures. Le problème du SLFP a surtout été de faire oublier son dirigisme d’antan (l’île porte toujours officiellement le nom de république populaire du Sri Lanka) et de rassurer les classes moyennes qui ont largement profité de la libération progressive de l’économie sous les deux dernières présidences de l’UNP. Conduisant la campagne de l’Alliance populaire, Mme Chandrika Kumaranatunga, ancienne étudiante sur les barricades parisiennes en 1968, a promis la poursuite de la politique de liberté économique tout en s’engageant à des « ajustements structurels à visage humain » qu’elle s’est abstenue de définir avec précision. Les candidats de l’UNP ont eu beau jeu d’ironiser sur ce « visage humain » plutôt flou. Si le SLFP a pu déclarer sans risque vouloir mettre fin à la corruption et au népotisme, l’UNP, que certains ont surnommé le Uncle Nephew Party, a rétorqué en condamnant la mainmise dynastique de la famille Bandaranaïke sur le SLFP, qualifié par lui de Sri Lanka Family Party, et en annonçant le chaos si ce parti l’emportait.
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