L’expérimentation nucléaire pratiquée par la Corée du Nord et les tensions qui règnent autour du programme nucléaire iranien montrent que la question de l’atome, loin de disparaître du champ des relations internationales avec la fin de la guerre froide, se révèle plus que jamais d’actualité. Les instruments de contrôle de la dissémination nucléaire sont-ils toujours adaptés, ou bien ne reflètent-ils qu’un état du monde dépassé, en totale discordance avec une nouvelle situation stratégique dont nous n’aurions toujours pas pris la pleine mesure ? L’objet de cet article est de montrer que le TNP, malgré ses archaïsmes, doit être conservé car il représente l’ultime rempart contre une prolifération désordonnée qui serait dangereuse pour le monde ; il doit cependant impérativement être rénové et complété, en particulier par des accords régionaux et des mesures internationales d’approvisionnement en combustible.
Splendeurs et misères du TNP : comment enrayer aujourd'hui la prolifération nucléaire ?
Successes and failures of the NPT: how can nuclear proliferation be curbed?
The nuclear experimentation indulged in by North Korea and the tensions surrounding Iran’s nuclear programme show that the nuclear question, far from having disappeared from the field of international relations with the end of the Cold War, is more than ever in the news. Are the tools for the control of nuclear dissemination still appropriate, or do they merely reflect a vanished world, totally out of kilter with a new strategic situation with which we have not yet come fully to terms? The aim of this article is to show that the NPT, despite its dated aspects, should be retained because it represents the ultimate barrier against uncontrolled proliferation, which would be dangerous for the world. It must, however, be renewed and complemented, in particular by regional agreements and international measures governing fuel supplies.
La prolifération nucléaire fait peser une menace mortelle sur l’espèce humaine. Il est donc nécessaire d’être particulièrement attentif à l’évolution des données dont nous disposons à ce sujet, pour désamorcer à l’avance le malencontreux enchaînement d’événements qui pourrait plonger l’humanité dans un conflit nucléaire, qui serait extrêmement meurtrier. Or, tout concourt à montrer que la prolifération nucléaire se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Rappelons tout d’abord quelques éléments fondamentaux. Premier point, plus il existe de détenteurs de l’arme atomique, plus grande est la probabilité qu’il en soit fait usage. Deuxième point, on peut affirmer que la prolifération nucléaire est un processus quasi irréversible : il n’est guère que l’Afrique du Sud qui a renoncé à l’arme atomique, et ce dans le contexte bien particulier de la situation sud-africaine de 1990 : une crise intérieure, dernier soubresaut d’un régime moribond, accompagnée d’une situation extérieure très dégradée (1). Il faut donc avoir à l’esprit que la dissémination nucléaire, et donc la probabilité que survienne un emploi effectif de cette arme, ne peut globalement que progresser.
Troisième point, la stabilité de l’ordre nucléaire a jusqu’à maintenant été garantie par le quasi-universel Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP), dont la prorogation pour une durée indéfinie a été décidée en 1995. La dernière conférence d’examen de ce traité, en mai 2005, n’a pas été un succès, en particulier parce que les principales puissances nucléaires répugnaient à se lier les mains par des engagements trop contraignants. Mentionnons que les trois États non-signataires du TNP se sont dotés d’armes nucléaires, l’Inde et le Pakistan ayant pratiqué des essais sur leur territoire, à la différence d’Israël qui n’a jamais reconnu publiquement détenir la bombe. D’autre part — et c’est important pour comprendre la situation iranienne — ce traité n’interdit pas le développement de programme nucléaire civil, quelle que soit la technique à laquelle il est fait appel, mais au contraire consacre le droit inaliénable des pays non-nucléaires à accéder à l’énergie atomique civile ; il fait même un devoir aux États dotés de l’arme nucléaire (Edan) de les y aider !
Quatrième élément : le dispositif qui permet de freiner la prolifération nucléaire mondiale est par nature fragile et toujours menacé d’obsolescence en particulier du fait de l’évolution technologique ou économique. Ainsi, même si collectivement chaque pays signataire a intérêt au respect des traités qui endiguent la prolifération, au cas où l’applicabilité ou bien la crédibilité du traité est ébranlée, chacun de ces pays peut imaginer qu’il existe des signataires qui trahissent leur parole. Il peut alors apparaître rationnel pour un État de contourner discrètement la règle internationale tout en profitant de l’éventuel respect du traité par ses homologues pour prendre de l’avance dans la course à la prolifération. C’est là un phénomène classique dit de « passager clandestin ». Dans le meilleur des cas, les États peuvent être tentés de profiter au maximum du droit à développer un programme civil que leur reconnaît le TNP, en ne dévoilant leur intérêt pour les applications militaires de l’atome qu’au moment où leur accès à l’arme nucléaire est devenu quasi-irréversible (2). C’est dans cette brèche que s’est engouffré l’Iran, qui de longue date mûrit le projet de se doter de l’arme nucléaire ; et ce d’autant plus facilement que la technologie moderne améliore la furtivité d’un programme nucléaire secret et la capacité à détourner un programme civil vers un programme militaire.
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