Les élections législatives de décembre 2007, comme la présidentielle du 2 mars, ont donné lieu à une floraison d’ouvrages sur la Russie, dont le retour sur la scène mondiale est désormais observé avec la plus grande minutie, tant dans les chancelleries, qu’au sein des divers think tanks ou centres de recherche et universités du monde entier. En un sens, ces divers écrits s’efforcent de répondre, chacun à leur façon, au fameux mot de Winston Churchill, « la Russie, une charade, enveloppée dans un mystère à l’intérieur d’une énigme ».
Parmi les livres - La nouvelle Russie
Deux ouvrages, de facture assez semblable, présentent principalement du point de vue de la géographie humaine et économique un panorama fort complet de la Fédération russe, laquelle couvre le huitième des terres émergées (17 075 400 km2), avec une population actuelle de 141 millions d’habitants, répartie en 160 nationalités ou groupes ethniques (1), inférieure à bon nombre de géants démographiques comme l’Indonésie, le Brésil, le Pakistan et le Bengladesh.
Professeur des universités à l’Inalco et directeur de l’Observatoire des États post-soviétiques, auteur de nombreux ouvrages sur la Russie, Jean Radvanyi, dresse le tableau absolument complet de La nouvelle Russie, dans son livre, désormais classique (2). Dans un style dense, qui s’appuie sur une connaissance approfondie des faits et des chiffres, comme des mentalités et du fonctionnement des entreprises et des grands secteurs d’activité, il fait le point le plus actuel des atouts et contraintes de ce grand territoire russe, qu’il qualifie de « meurtri ». Que la Russie soit un État-continent, marqué par le froid, qu’elle dépende de ses matières premières énergétiques et minérales qui fournissent près de 80 % de ses exportations totales, nous le savions bien. Mais il ajoute ici des développements novateurs sur l’apparition encore timide d’un mouvement écologique, présente le secteur forestier le plus important du monde. Le chapitre qu’il consacre au peuplement et aux peuples de la Russie fait le point d’une des questions les plus préoccupantes du pouvoir, sachant que la Russie perd actuellement 700 000 habitants par an, d’où l’attention que n’a cessé de porter à cette question Vladimir Poutine, ainsi que Dimitri Medvedev, chargé des grands projets nationaux, dont celui de la santé. La Russie, du fait de sa faible densité moyenne (8,7 habitants au km2) ne compte que deux mégapoles : Moscou, 10,5 millions et Saint-Pétersbourg, 4,5 millions ; elles bénéficient d’un statut spécial faisant d’elles deux des 83 sujets constituant la Fédération de Russie. À leurs côtés figurent moins de 10 villes millionnaires, la plupart situées à l’ouest de l’Oural, en dehors des deux premières de la liste Novossibirsk et Iekaterinbourg (Sverdlovsk), ainsi que Tcheliabinsk. Au passage, il s’est interrogé sur l’identité du pays : Russes ou Russiens ? Les premiers (rousskoe) au sens ethnique et linguistique constituent 81,5 % de la population, alors que 86,6 % des habitants déclaraient avoir le russe comme langue maternelle, tout en étant citoyens de Russie (rossïïskoe). Jean Radvanyi consacre des développements fournis à ce qu’il désigne « la douloureuse expérimentation du modèle libéral en Russie », utile bilan des réformes économiques introduites depuis le 1er janvier 2002, avec leurs nombreuses variantes. Il passe en revue les principaux secteurs de production. L’agriculture, en premier lieu, qui servira de véritable test de la réussite de la modernisation en cours de l’ensemble de la société et de l’économie russes, tant il est vrai que celle-ci doit faire face à un triple défi : organisationnel et technique, commercial et financier, problème devenu planétaire, mais enjeu de société aussi, et même surtout, car il s’agit enfin de sortir les campagnes, l’esprit rural, du moule communautaire dans lequel elles ont vécu durant des siècles. Plus stimulantes encore sont ses descriptions de l’industrie qui a subi les effets du libéralisme sauvage, mais a été restructurée depuis 2000 au sein d’une sorte de capitalisme d’État et de « champions nationaux », destinés à être les leaders, sinon les quasi-monopoles, de leurs secteurs respectifs (aluminium, acier, métallurgie, hydrocarbures, électricité, chemins de fer). En tout cas la tâche a été immense et reste grandiose, la part de l’industrie étant tombée de 38 % du PIB en 1990 à 31,2 % en 2005. N’oublions jamais qu’aucun pays au monde n’a sur son sol un tel ensemble d’industries extractives et de première transformation. Nous ne pouvons guère entrer dans le détail, mentionnons toutefois que Jean Radvanyi ne néglige aucun aspect. Le complexe militaro-industriel à la recherche d’un nouveau souffle, la machine-outil en perdition, l’électronique et l’électroménager sous la pression étrangère. Tertiaire, banques, et assurances, goulet traditionnel des transports, sont passés au peigne fin. Ainsi que sur les échanges extérieurs qui eux aussi ont dû subir une réorientation totale. Si l’URSS assurait 4,5 % des échanges mondiaux durant les années 80, la Russie, en 2005, n’en représentait plus que 2,1 % et était au 14e rang, s’élevant tout de même d’année en année.
La deuxième partie porte sur les régions et territoires. Elle est fort précieuse, car elle permettra au lecteur, d’une part de mieux s’y retrouver dans la nouvelle donne régionale, les différents « sujets » « égaux en droit » selon l’article 5 de la Constitution, étant désormais au nombre de 83 (3). Chacune des grandes régions géographiques et économiques fait l’objet d’un descriptif fouillé : Moscou et les régions centrales ; entre Baltique et mer Blanche, une fenêtre maritime en plein essor ; les terres noires et le Caucase, des marges méridionales turbulentes ; la double région charnière de la Volga et de l’Oural, qui ne culmine pourtant qu’à 410 mètres ; la Sibériade, où règne le vertige de l’immensité ; et l’Extrême-Orient, où la façade Pacifique, après avoir manifesté des velléités d’autonomie, redevient la nouvelle frontière, avec les ressources de gaz et de pétrole de la Sakhaline et la montée en puissance de la Flotte du Pacifique, appelée à devenir, la plus importante des cinq de l’ancienne Eskadra. Bien des problèmes géopolitiques sont abordés, chemin faisant, comme la question des Kouriles, les « territoires du Nord », les relations frontalières russo-chinoises, qui oscillent entre crainte et renouveau, sans compter les développements consacrés au Caucase.
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