Selon notre thèse principale, la probabilité d’une guerre ou la préservation de la paix dépend aussi des coûts et des gains symboliques associés à l’option « belliqueuse ». Plus l’image de soi des unités politiques est valorisée, plus l’hétérogénéité « idéologique » et le déni de reconnaissance sont forts et plus la probabilité d’une guerre est élevée. La guerre américaine contre l’Irak (2003) en est une illustration parfaite. L’image idéalisée de la Nation (phare des libertés mondiales) rendait les autorités américaines vulnérables aux provocations que Saddam Hussein n’a pas manqué de faire, notamment au lendemain du 11 septembre.
Enfin, il n’existait aucune identité partagée entre l’État irakien « tyrannique » et la « démocratie » américaine. Notre thèse sur les origines symboliques de la guerre américaine contre l’Irak ne prétend pas que toutes les guerres sont désormais dues à la volonté de ne pas perdre la face. La recherche de la reconnaissance peut être la cause primordiale dans le déclenchement d’une guerre (la guerre américaine contre l’État taliban) ou un facteur secondaire servant juste à sa justification. Toutefois, même dans cette dernière éventualité, le désir minimal de reconnaissance peut être un obstacle pour le déclenchement d’une guerre « pour le profit ». Ainsi, il a sans doute fallu le 11 septembre et le refus des autorités irakiennes de coopérer pleinement avec les inspecteurs de l’AIEA, pour que les faucons de l’Administration Bush soient en mesure de promouvoir efficacement l’option belliqueuse contre l’Irak.
New wars for honour: the US intervention in Iraq
This argument on the symbolic origins of the US war against Iraq does not claim that all wars are now down to a determination not to lose face. A desire for gratitude may be the main reason why a war (like the American war against Taliban-ruled Afghanistan) is sparked off, or a secondary factor that merely serves to justify it. However, even in the latter case, the minimal desire for gratitude may be an obstacle in the way of starting a war for profit. There is little doubt that it took 11 September and the refusal of the Iraqi authorities to cooperate fully with the IAEA inspectors for the hawks in the Bush administration to be able to push the option of war against Iraq effectively
La guerre américaine en Irak de 2003 est souvent ramenée à des motivations purement matérielles comme la recherche de l’hégémonie, la quête de sécurité, l’approvisionnement énergétique ou les bénéfices du groupe militaro-industriel. Deux raisons principales militent selon nous pour une meilleure prise en compte de la problématique de la reconnaissance, comprise comme la quête d’une image valorisée de soi auprès des autres dans le déclenchement de ce conflit. Premièrement, à notre sens, la guerre correspond plus à une rationalité identitaire qu’à une rationalité visant à maximiser des ressources matérielles. La rentabilité politique et économique de cette guerre peut être contestée. En revanche, ses bénéfices symboliques — l’humiliation de Saddam Hussein — sont indéniables.
L’identité idéalisée (« phare des libertés mondiales ») et virile (l’image de soi-même comme « fort ») de la puissance américaine pouvait être confirmée par une intervention armée contre l’Irak. La confirmation de cette identité importait pour des raisons émotionnelles. Les décideurs américains préservaient l’estime de soi en éliminant le régime qui mettait en question l’image de la puissance américaine. La préservation d’une bonne image a aussi compté dans le calcul stratégique des décideurs américains. Même les décideurs, animés par la recherche du profit, devaient faire en sorte que la guerre contre l’Irak paraisse moralement acceptable. Deuxièmement, la guerre est née des humiliations réciproques durant la crise. Loin d’être préméditée, la décision définitive d’intervenir contre l’Irak a été probablement prise par l’Administration américaine en décembre 2002 ; en aucun cas, antérieurement au 11 septembre 2001.
Nous exposerons dans un premier temps en quoi les identités des responsables de l’Administration américaine ont pu favoriser l’affrontement armé. Ensuite, nous verrons comment les provocations irakiennes durant la crise ont pu favoriser le déclenchement des hostilités comme une sorte de prophétie autoréalisatrice.
Identités non reconnues et guerre américaine contre l’Irak
La guerre comme prophétie autoréalisatrice
Conclusion
Irak, États-Unis, Bush, Saddam Hussein