Pensée militaire - Pensée stratégique française et langue française
L’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem) a marqué son lancement par l’organisation d’Assises de la pensée stratégique, qui ont eu lieu les 5 et 6 octobre 2009. À cette occasion, deux conceptions du rayonnement international de la pensée stratégique française se sont affrontées. La thèse dominante prend acte du déclin inéluctable de la langue française et en tire la seule conclusion qui lui paraît logique : il faut dorénavant s’exprimer dans la nouvelle lingua franca c’est-à-dire l’anglais. En face, la thèse minoritaire, puisqu’elle n’a guère été défendue que par l’auteur de la présente chronique, refuse cette fatalité ou cet abandon et soutient qu’il est encore possible, et surtout nécessaire, de s’exprimer en français. L’enjeu est suffisamment important pour qu’il vaille la peine d’exposer les arguments en ce sens dans le cadre d’une chronique d’humeur, que d’aucuns risquent évidemment de qualifier de chronique de mauvaise humeur.
Que le français soit aujourd’hui une langue déclinante sur la scène internationale, c’est là un fait sociologique que, malheureusement, personne ne peut nier : ce n’est que la dernière victime d’un impérialisme de la langue anglaise qui a déjà éliminé les autres concurrents et notamment l’allemand, qui fut une langue scientifique importante dans la première moitié du XXe siècle, même dominante avant 1914, lorsque la moitié des brevets déposés provenait d’Allemagne. Le français a résisté un peu plus longtemps que les autres, en raison du prestige de ses écrivains et du poids démographique et politique des pays francophones, mais il ne fait que s’aligner sur le lot commun des autres langues, pour céder la place à une uniformisation du monde conforme à la logique et aux intérêts de la globalisation. On s’en apitoie, plus ou moins sincèrement, comme ce participant aux assises qui a expliqué, d’un air navré, qu’il regrettait profondément ce déclin du français, mais qu’il ne fallait pas mélanger les genres et bien distinguer la cause de la langue française de celle de la pensée française.
On pourrait faire remarquer qu’on ne voit pas très bien ce que pourrait être une pensée déconnectée du langage. Contrairement à l’affirmation de notre honorable interlocuteur, il est impératif de comprendre que la pensée française et la langue française sont intrinsèquement liées et que l’idée d’une pensée qui resterait française tout en s’exprimant en anglais relève de l’oxymore : la langue suggère une logique, une tournure d’esprit, elle n’est pas neutre. Changer de langue, c’est entrer dans une autre logique, jusqu’au moment où celle d’origine ne subsiste plus qu’à l’état de substrat résiduel, sans grande portée. Il est permis de refuser une telle perspective. À supposer même que le français soit condamné à terme, ce n’est pas une raison pour hâter sa fin. En bon catholique, fidèle aux enseignements de notre sainte mère l’Église, je désapprouve l’euthanasie. Cette affirmation de principe étant posée, il est possible de l’appuyer par quelques éléments empiriques.
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