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  • Revue n° 584 Février 1997
  • Défense : rompre avec les routines et les préjugés !

Défense : rompre avec les routines et les préjugés !

Charles Millon, « Défense : rompre avec les routines et les préjugés !  » Revue n° 584 Février 1997 - p. 7-20

Allocution du ministre de la Défense à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), le 16 décembre 1996

L’effondrement de l’empire soviétique a produit une onde de choc qui a ébranlé tous les systèmes établis, et remis en cause les habitudes et les équilibres les mieux assis. Elle a révélé crûment le décalage entre les institutions de sécurité et la nouvelle donne géopolitique, et accusé le retard entre la configuration de notre dispositif militaire et les nouveaux défis de la défense.

Il est vrai que la réunification de l’Europe, souhaitée si ardemment mais réalisée si soudainement, nous a pratiquement pris de court. Tout a été du jour au lendemain à repenser, à redéfinir, à inventer pour que l’Europe devienne enfin maîtresse de son destin, pour accueillir des peuples naguère opprimés et séparés sur le chemin de la liberté et de la démocratie, pour surmonter les résurgences d’une histoire complexe et tragique. La fin de la confrontation Est-Ouest a également posé la question du partenariat entre l’Europe et les États-Unis en termes radicalement nouveaux. L’histoire, l’amitié et une indéfectible solidarité lient profondément Européens et Américains. Comment transformer cette relation si étroite en partenariat pour le XXIe siècle ? Le bouleversement stratégique a en outre rendu nécessaire une réflexion exigeante sur le rôle, la mission et l’ambition de notre pays dans ce nouveau contexte.

Tout cela a abouti à une rénovation sans précédent de notre dispositif militaire, car il fallait concevoir une réponse à la mesure de l’enjeu. Il fallait trancher enfin les questions, essentielles pour notre défense, qui avaient été si longtemps réservées. Cela nous a par ailleurs amenés à engager une refonte complète de notre industrie de défense. Enfin, ce bouleversement complet des anciennes références nous conduit à prendre une part active au débat historique sur les structures de sécurité en Europe. J’ai tenu, aujourd’hui, à dresser devant vous l’état des lieux dans ces trois domaines fondamentaux, en vous présentant les acquis réalisés depuis plus d’un an et demi et le chemin qui reste à parcourir.

La rénovation de notre dispositif militaire

Pour relever le défi stratégique de la fin de la guerre froide, il était hors de question de se contenter d’une approche en demi-teinte où le verbe tient lieu d’action. C’est pourquoi le président de la République a pris, depuis maintenant plus de dix-huit mois, une série de décisions politiques majeures à partir d’une mobilisation inégalée de tous les grands acteurs de notre défense.

L’avenir de notre dissuasion

L’élection présidentielle a, en cette matière, sonné l’heure des choix. C’est en effet un véritable dilemme qui se posait à la France, entre la perspective éminemment souhaitable d’un engagement international d’interdiction définitive des essais et un moratoire décidé à la hâte par le président de la République précédent. Le risque encouru était de voir, à terme, nos moyens de dissuasion condamnés à l’obsolescence. C’est précisément pour pouvoir signer le CTBT dans les délais requis, tout en garantissant la pérennité de notre dissuasion pour le siècle prochain, que le président de la République a décidé de procéder à une ultime campagne d’essais nucléaires. Réalisée du 5 septembre 1995 au 27 janvier 1996, elle a permis d’accumuler les données scientifiques nécessaires et suffisantes pour passer à la simulation.

Affirmant la primauté de l’intérêt supérieur de la nation sur toute autre considération, le chef de l’État a su faire front au mélange de démagogie et de désinformation qui a caractérisé, dans une certaine opinion ou dans certains médias, la campagne contre nos essais. Le général de Gaulle avait coutume de dire « qu’il ne faut jamais sacrifier l’avenir pour surmonter un embarras du présent ». Or ce qui était en jeu, c’était l’avenir de la France, c’était l’avenir de l’Europe, dans la perspective d’une dissuasion concertée qui, un jour, permettra de combiner la solidarité avec nos alliés et notre autonomie de décision.

En effet, la fin de la confrontation Est-Ouest n’a pas marqué d’un coup de baguette magique, comme certains l’ont suggéré, la fin de l’ère nucléaire. L’existence, pour de très nombreuses années encore, d’arsenaux nucléaires surdimensionnés datant de la guerre froide en témoigne. En outre, le risque de prolifération d’armes nucléaires et de destruction massive est une réalité que nul ne peut ignorer. La dissuasion nucléaire continuera, dans ces conditions, à jouer un rôle clé pour la sécurité et la paix de nos pays.

Ce constat n’implique nullement l’immobilisme. C’est pourquoi la France a mis à profit la pause stratégique que nous connaissons pour redéfinir sa posture nucléaire avec la fermeture du site d’Albion et l’abandon du système Hadès. Sur le plan international, elle a œuvré activement pour la reconduction immédiate et inconditionnelle du TNP, et elle a signé le traité d’interdiction définitive des essais nucléaires ou CTBT.

Quelle armée pour le XXIe siècle ?

Au début des années 60, le général de Gaulle a mis en œuvre une réforme destinée à « retremper l’armée dans la nation » après les pages douloureuses de l’Indochine et de l’Algérie. Aujourd’hui, le bouleversement géopolitique consécutif à la disparition de l’empire soviétique a conduit le président de la République à décider de construire une armée nouvelle qui réponde à trois exigences d’ordre stratégique, économique et humain.

Le nouveau modèle d’armée répond à une exigence stratégique énoncée dès le Livre blanc de 1994. À l’inverse du concept de 1972 où les forces classiques s’intégraient dans la manœuvre générale de la dissuasion et se destinaient, ensuite seulement, à la défense de nos intérêts et de nos engagements dans le monde, les moyens classiques sont aujourd’hui appelés à jouer un rôle stratégique en propre autour des fonctions de prévention, de projection et de protection. C’est véritablement un nouvel équilibre des grandes fonctions opérationnelles que définit la réforme.

C’est pourquoi cette réforme mène à son terme, avec la professionnalisation et la réduction du format des forces, la démarche inachevée du Livre blanc, et accomplit, plus de 60 ans après la parution de Vers l’armée de métier, l’option stratégique exprimée en 1934 par le colonel de Gaulle.

Cependant, l’armée nouvelle répond également à une nécessité économique profondément liée à la redéfinition du rôle de l’État et à son recentrage sur ses missions régaliennes. L’objectif d’une défense plus efficace et moins coûteuse s’inscrit en effet dans la lutte pour la maîtrise des dépenses publiques et contre le développement des déficits.

Comme vous le savez, l’enveloppe financière annuelle arrêtée par la loi de programmation militaire pour les années 1997-2002 est de 185 milliards de francs constants. Elle est en retrait de près d’une vingtaine de milliards par rapport à celle retenue par la précédente programmation, ce qui constitue un effort sans précédent de contribution à la maîtrise des dépenses publiques et de la lutte contre les déficits.

En contrepartie, la loi que le Parlement a approuvée en juin dernier garantit à nos forces les ressources budgétaires constantes qui leur permettront de s’adapter sans heurt au nouveau modèle d’armée. Cette loi innove parce qu’elle s’inscrit dans un exercice de prévision conjuguant l’éclairage géostratégique du Livre blanc de 1994 et une planification à vingt ans. Elle innove parce qu’elle prévoit l’évolution de la totalité des moyens humains et financiers du ministère de la Défense. Elle innove parce que ces moyens financiers ne sont plus constitués que de crédits budgétaires inscrits dans la loi de finances initiale. Elle innove, enfin, parce qu’elle s’accompagne de l’engagement solennel du président de la République de veiller à ce qu’elle soit respectée.

« Victoire sur les routines et les préjugés », la professionnalisation engage la communauté de défense dans son entier, car sa réussite dépend de la remise en cause personnelle de chacun. Je tiens à rendre hommage ici au courage et au sens de l’intérêt national des militaires et des civils de la défense, car il n’est pas facile de rompre avec ses habitudes pour se tourner résolument vers l’avenir. La défense montre l’exemple de ce qui se fera un jour inévitablement dans d’autres corps sociaux.

La professionnalisation entraîne également une redéfinition du lien armée-nation. Elle amène à renouer, dans une perspective radicalement nouvelle, avec la réflexion du maréchal Lyautey sur le rôle social de l’officier. Rares sont les pays où l’armée reste aussi reconnue et appréciée qu’aujourd’hui par l’ensemble des Français. Témoins, la quasi-disparition du vieil antimilitarisme traditionnel, la fierté de ce qu’accomplissent nos soldats dans les opérations extérieures, le courage avec lequel nos concitoyens ont accepté le sacrifice de 55 militaires français en Bosnie.

La question de la place d’une armée professionnelle dans la nation se pose d’autant moins en termes de repli sur soi que le développement de carrières courtes, le doublement du nombre d’engagés avec la création de 7 500 emplois supplémentaires pendant chacune des six années de la programmation, vont dans le sens d’échanges particulièrement denses et fréquents entre le monde militaire et le monde civil. Cette imbrication se vérifiera aussi dans la nouvelle politique des réserves qui fera l’objet d’un projet de loi dans les semaines qui viennent. La signature de 89 conventions armée-entreprises et armée-institutions témoigne, s’il en était besoin, de l’écho que rencontre d’ores et déjà ce renforcement du rôle et de la mission des réservistes dans l’ensemble de la société française. Quant au lien entre l’armée et la jeunesse, il continuera à être assuré dans le nouveau service national, car les militaires participeront au rendez-vous citoyen et auront naturellement la responsabilité du volontariat défense.

Une nouvelle rencontre entre la nation et sa jeunesse

C’est ce que propose le gouvernement dans le projet de nouveau service national. La France, qui a inventé la conscription militaire universelle en 1905, et qui a su en faire, pendant des années, un instrument d’adhésion républicaine et de cohésion nationale, se devait d’imaginer une nouvelle rencontre entre la nation et sa jeunesse. C’est ce qui a été clairement exprimé par nos concitoyens au cours du débat qui les a rassemblés dans leurs communes et leurs associations, et par les commissions Séguin et de Villepin à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Le nouveau modèle d’armée est destiné à répondre à des menaces militaires de plus en plus diversifiées ; de même, le nouveau service national doit contribuer à lutter contre des menaces qui guettent la société française et qui peuvent remettre en cause la République, sa stabilité, sa sécurité, sa pérennité. Je veux parler, bien sûr, de l’inégalité des chances qui commence dès l’enseignement primaire avec l’illettrisme, et qui se poursuit au moment de la recherche du premier emploi. Je veux parler, bien sûr, de l’exclusion qui transforme certaines banlieues en ghettos et prépare peut-être un communautarisme de cités anonymes. Je veux parler, enfin, de cet individualisme, de cet égoïsme qui minent ce goût de vivre ensemble, de partager une histoire et un destin qui est le fondement même de l’esprit de défense, car on ne défend bien que ce qu’on aime et ce à quoi on appartient.

Qu’est-ce que le rendez-vous citoyen ? Cinq jours qui couronnent un parcours d’instruction civique commencé à l’école ; cinq jours pour que les jeunes Français, toutes origines et classes sociales confondues, se retrouvent et reçoivent des témoignages vivants de ce que représente le civisme quotidien ; cinq jours pour que chaque jeune se voie offrir un bilan personnel, une aide à l’orientation, une information sur les volontariats. Choix assumé plutôt qu’obligation subie, le volontariat donnera à chaque jeune Français le droit de s’engager au service de la nation dans le domaine de la sécurité et de la défense, de la cohésion sociale et de la solidarité, de la coopération internationale et de l’action humanitaire. Il leur donne l’occasion d’exprimer leur fierté d’appartenir à un pays généreux, fraternel et rayonnant. Un pays dont une partie de la jeunesse est capable de se mobiliser de cette façon peut regarder l’avenir avec confiance.

La réforme de notre défense serait inachevée si elle n’en concernait pas une autre dimension essentielle.

La refonte complète de notre politique industrielle de défense

Notre industrie de défense a longtemps concentré les trois caractéristiques d’un certain conservatisme français : le colbertisme, avec la rigidité d’une gestion autoritaire et centralisée ; la tentation d’une totale autonomie nationale qui ignore largement les contraintes économiques européennes ou mondiales ; la dimension bureaucratique, quelle que soit par ailleurs la qualité des hommes. Là encore, nous avons décidé de prendre les problèmes à bras-le-corps. En même temps, nous sommes tout à fait conscients que nous devons accorder beaucoup de temps et d’attention pour expliquer à tous ceux qui se sont consacrés entièrement au service de l’État quelles doivent être désormais leurs nouvelles missions.

Certains nous avaient mis en garde sur les difficultés de l’entreprise. J’ai surtout été surpris par l’intérêt et l’engagement que les milieux concernés ont aussitôt manifestés. Ce sont en effet les mieux placés pour savoir à quel point une nouvelle dynamique et une profonde réorganisation sont indispensables pour régénérer notre industrie de défense, qu’il s’agisse du secteur public ou des entreprises privées.

La restructuration de notre industrie de défense constitue non seulement une condition absolue de survie dans un contexte de compétition accrue, rendu d’autant plus difficile que le marché s’est rétréci, mais aussi et surtout une condition de notre indépendance et de notre autonomie. Relevons, d’ailleurs, que la part des États-Unis sur le marché mondial de l’armement est passée, en quelques années, d’un quart à plus de la moitié… Face à cette situation, il était urgent, nécessaire, indispensable de réagir pour conserver et consolider nos positions et, mieux, pour en conquérir de nouvelles. Cela veut dire engager sans plus tarder des réformes longtemps différées, dont l’absence a lourdement handicapé notre industrie depuis trop d’années.

C’est pourquoi le président de la République a souhaité réorganiser notre industrie de défense autour de quatre grands pôles que sont le nucléaire, l’aéronautique et l’espace, l’électronique, l’électromécanique. Pour cela, il fallait en premier lieu remettre de l’ordre dans notre propre maison : c’est la réforme de la DGA. Elle n’est pas seulement destinée à lui donner plus de souplesse, mais à lui permettre de se concentrer sur le cœur même de son activité. Je ne reviendrai pas sur le détail d’une réforme que vous connaissez tous. Je suis seulement heureux de constater que celle-ci se met en œuvre avec vigueur sous la direction du délégué général pour l’armement.

Parallèlement à la remise en ordre, c’est une nouvelle dynamique que nous voulons insuffler au secteur industriel du domaine étatique et para-étatique. La restructuration de Giat Industries, le redéploiement de la DCN visent à donner à ces opérateurs industriels un niveau de compétitivité suffisant pour faire face à un double impératif : répondre avec la meilleure efficacité aux besoins de nos armées, conquérir de nouveaux marchés.

Premier impératif, répondre avec la meilleure efficacité aux besoins de nos armées. Cela implique une coordination renforcée entre les états-majors et la direction générale pour l’armement. Cela nécessite la mobilisation de tous avec un nouvel état d’esprit et de nouvelles méthodes de travail. Cela exige aussi de définir le matériel dont nous avons besoin au meilleur rapport coût-efficacité.

Deuxième impératif, élargir notre champ d’exportation qui est aujourd’hui très concentré géographiquement. Nous devons, pour réussir, préserver à la fois notre niveau technologique et notre compétitivité. Nous devons aussi adopter une nouvelle conception de l’exportation. Celle-ci ne peut plus être un simple acte de vente, mais doit de plus en plus procéder d’une approche globale.

Il faut maintenant être en mesure de proposer un partenariat économique, financier et industriel, mais également une coopération dans le domaine militaire, voire de la défense. Je me suis personnellement investi dans cette mission essentielle pour notre secteur industriel et pour l’emploi, mais qui conduit simultanément à tisser des liens d’un type nouveau avec nos différents partenaires étrangers.

La profonde réforme de notre industrie d’armement est indissociable de l’effort sans précédent que nous menons pour donner un nouvel élan à nos coopérations européennes traditionnelles. Je ne peux que me réjouir des progrès très sensibles qui ont été accomplis dans ce domaine et je me permettrai d’en citer quelques-uns.

Les observateurs se sont beaucoup concentrés sur les péripéties budgétaires de part et d’autre du Rhin, alors qu’un travail franco-allemand en profondeur était poursuivi sur le court, le moyen et le long termes. Constatons que pour les programmes en cours, le sommet de Nuremberg a clarifié les choses puisque la France et l’Allemagne ont signé un document qui fait le point sur leurs coopérations, et qui harmonise calendriers et objectifs de production pour la quasi-totalité de ces programmes.

Par ailleurs, en dépit des contraintes budgétaires allemandes qui demeurent, l’engagement de l’Allemagne reste total s’agissant du programme de coopération spatiale décidé il y a un an au sommet de Baden-Baden. La France va d’abord financer le programme Hélios 2. Nos partenaires allemands nous rejoindront dès 1998, et nous commencerons ensuite ensemble le développement du programme Horus. Chacun est en effet conscient, à Paris comme à Bonn, que l’acquisition d’une capacité autonome d’observation spatiale est, dans le monde actuel, une donnée stratégique qui s’impose à nos gouvernements ainsi qu’à l’Europe entière. N’oublions pas qu’en 1996, le domaine spatial a revêtu la même importance que celui du nucléaire dans les années 60 et 70.

Le sommet de Nuremberg a également été l’occasion, pour le Conseil de défense franco-allemand, de prendre une décision importante en ce qui concerne l’harmonisation des besoins d’armement à long terme. Ce point est essentiel, car beaucoup de difficultés rencontrées dans la coopération proviennent de divergences dans les besoins exprimés. La décision de Nuremberg fixe les directives nécessaires pour disposer d’engagements communs clairs et fermes sur les programmes à développer. Il s’agit là d’un impératif, et je me félicite que Français et Allemands aient accompli ce pas important. J’ai d’ailleurs proposé qu’un Comité spécial composé des chefs d’état-major, des directeurs nationaux d’armement et des directeurs des affaires stratégiques français et allemands puisse commencer au plus tôt à mettre en œuvre ces directives.

La coopération franco-allemande est pour nous centrale sur le plan industriel comme sur le plan politique. Elle n’a pas empêché nos autres relations bilatérales de se renforcer considérablement avec le Royaume-Uni, l’Italie et d’autres partenaires européens. Il serait trop long de mentionner tous les développements de la coopération franco-britannique, mais je voudrais dire que depuis un an, les points de vue de nos deux pays se sont beaucoup rapprochés. Nos amis britanniques partagent avec nous une même perception des enjeux pour préserver une base technologique et industrielle forte en Europe, et comprennent que c’est en ce sens qu’il faut concevoir la notion de préférence européenne. S’agissant de l’Italie, qui, je le dis au passage, est notre deuxième partenaire dans la coopération d’armement, notre relation politique est devenue particulièrement étroite. L’Italie a conscience, tout comme nous, de l’importance des moyens satellitaires et mon collègue Andreatta et moi-même souhaitons favoriser le développement de liens de plus en plus étroits à tous les niveaux des industries concernées.

Nos efforts portent également sur la coopération multilatérale. Celle-ci reste trop souvent marquée par le conservatisme et la bureaucratie. Nous avons essayé, à l’occasion de la présidence du GAEO que nous exerçons jusqu’à la fin de l’année, de lui donner un souffle nouveau. Nous avons en particulier tenté de rehausser les termes du débat en mettant à l’ordre du jour les priorités que doit se donner l’Europe pour renforcer sa base industrielle et technologique de défense. La définition de ces priorités est au cœur même de la notion de préférence européenne, et je comprends mal par quel mécanisme d’autocensure cette notion est devenue pour certains un tabou. Je le comprends d’autant moins que notre principal concurrent garde une quasi-exclusivité sur son propre marché. Si je suis convaincu de la nécessité d’une certaine forme de préférence européenne, celle-ci ne s’inscrit pas dans une optique protectionniste ; elle vise bien au contraire à nous doter des capacités industrielles et technologiques et de la compétitivité nécessaires pour affronter d’une manière équitable et avec succès la concurrence.

Si les Européens ne sont pas capables de déterminer suffisamment à temps les domaines technologiques, les industries, les systèmes d’armes nécessaires à leur indépendance stratégique, s’ils n’en tirent pas les conséquences afin de coordonner leurs efforts et les mesures d’accompagnement indispensables, ils pourront alors se poser de graves problèmes sur l’avenir de l’Europe de l’armement.

C’est également dans le domaine institutionnel que cette coopération européenne a connu trois développements importants. C’est d’abord la création de l’Occar le 12 novembre dernier à Strasbourg par la France et l’Allemagne, rejointes par le Royaume-Uni et l’Italie. Cette structure, qui réunit pour la première fois plusieurs pays sur une approche commune, permettra de gérer les programmes en coopération d’une façon plus rationnelle et plus économique. C’est également la création organique de l’OAEO au sein du GAEO, qui va d’abord se concentrer sur des aspects technologiques, mais sa vocation est bien de fusionner, le moment venu, avec l’Occar pour devenir l’Agence européenne d’armement que nous appelons tous de nos vœux. Le troisième point constitue une avancée essentielle, puisque la France et l’Allemagne sont aujourd’hui d’accord pour inscrire la coopération d’armement dans la politique extérieure et de sécurité commune au titre des coopérations renforcées.

Toutefois, il convient de voir au-delà de nos frontières traditionnelles. C’est pourquoi j’ai proposé à mes partenaires du GAEO d’associer à notre réflexion en la matière tous les pays européens qui le souhaitent, notamment ceux de l’Europe centrale et orientale, grâce à la création d’un partenariat européen pour l’armement.

La dimension industrielle n’est naturellement qu’un des aspects de la sécurité européenne.

Le débat sur l’organisation des systèmes de sécurité en Europe

La révolution stratégique de 1989, les évolutions qui se poursuivent en Russie et en Europe centrale marquent véritablement un tournant historique pour la sécurité européenne. Cette situation rappelle à bien des égards celles qui ont existé à la veille du congrès de Vienne ou du traité de Versailles. L’histoire a souvent fait payer très cher aux Européens le fait de rater les grands rendez-vous de la sécurité européenne. Prenons-y garde : dans le monde complexe qui est le nôtre, et qui mêle accroissement des interdépendances et renforcement des particularismes, nous avons moins que jamais droit à l’erreur. Bien sûr, cette question va bien au-delà des questions de défense ; mais permettez-moi d’en aborder trois éléments essentiels.

Les structures de sécurité

En ce qui concerne la rénovation et l’européanisation de l’Alliance, le débat s’est focalisé sur des points techniques qui me paraissent relativement décalés par rapport aux évolutions en cours. Ainsi en est-il de la discussion sur les structures militaires. Il ne s’agit pas, en effet, d’un simple problème d’organisation, mais d’une question éminemment politique, car nous devons mettre au point une coopération nouvelle entre les partenaires traditionnels de l’Alliance, mais aussi avec ses partenaires futurs, dans la perspective de missions différentes de celles du passé. C’est pourquoi je ne m’arrêterai pas trop sur certaines expressions de conservatisme, car la force des réalités finira de toute façon par s’imposer. J’en veux pour preuve l’affaire de l’européanisation des commandements régionaux. Tôt ou tard, les Européens trouveront une place à leur mesure dans l’Alliance, selon des modalités et des délais qu’il convient naturellement de définir avec nos amis américains.

Quant à l’élargissement de l’Alliance, il soulève des enjeux d’une ampleur que chacun commence à percevoir. Il ne s’agit pas, en effet, de s’aligner sur la vision définie par le plus fort et par lui seul, mais de dégager en commun, avec tous les Européens, les caractéristiques futures d’un nouvel ordre de sécurité en Europe qui devrait se développer selon trois principes clés.

Le premier de ces principes doit être le libre accès de tout État de l’Europe à une alliance de son choix. Il serait fâcheux que pour répondre à une préoccupation conjoncturelle on en oublie un certain nombre de règles. Ce serait en outre faire insulte à l’histoire que de faire apparaître, dans l’Europe qui s’est retrouvée après avoir été séparée par la contrainte, des statuts de sécurité différents.

Le deuxième principe, c’est évidemment le caractère non directionnel de l’Alliance atlantique. Il ne fait aucun doute pour nous que ce lien de sécurité fondamental, qui a servi dans le contexte de la guerre froide, continue d’être indispensable, même si la situation a complètement changé. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas connu d’incendie depuis des décennies qu’on doit se débarrasser de sa police d’assurance… En outre, de façon plus générale, l’Alliance est une solidarité établie entre des partenaires qui partagent les mêmes valeurs. De ce point de vue également, je ne vois pas pourquoi, même en l’absence de menace déterminée, un tel acquis devrait être négligé.

L’Alliance atlantique doit donc inscrire son rôle dans un tout autre contexte, et j’en viens, à présent, à un troisième principe, qui bien qu’essentiel, est assez peu rappelé. Il veut qu’une alliance collective soit la somme des contributions de chacun de ses membres. Une alliance dominée par la contribution d’un seul ne serait plus une alliance, mais une vassalité organisée. Ce n’est fort heureusement pas le cas pour l’Alliance atlantique, mais il faut que les Européens, qu’ils en soient membres traditionnels ou futurs, comprennent bien que chacun doit apporter sa pierre à l’édifice. Il serait trop facile de se placer confortablement sous la protection du plus fort en abandonnant toutes ses responsabilités.

La nécessité d’une contribution effective de chacun est une des raisons qui milite pour une nécessaire progressivité du processus d’élargissement de l’Alliance, l’autre raison étant bien sûr la volonté de ne pas faire resurgir dans l’Europe à nouveau réunie de nouvelles fractures. Le souci d’une architecture de sécurité harmonieuse et celui d’une adaptation efficace de l’Alliance se rejoignent donc pour commander un examen attentif du calendrier et des modalités de l’élargissement.

Nos relations avec la Russie

Nous devons prendre acte une fois pour toutes que nous sommes sortis d’un système de confrontation pour entrer dans une relation de coopération, et cela au sein d’un ensemble de sécurité européen qui va devenir de plus en plus homogène, sans qu’il faille pour autant en arriver à une structure unique de sécurité.

Prendre conscience de la fin de la confrontation suppose un effort intellectuel et politique important de la part des pays de l’Alliance, comme de la Russie. Ceux-là ont clairement indiqué que la Russie ne constituait plus un adversaire. Cet aggiornamento doit également être mené à son terme en Russie. Celle-ci doit comprendre que l’Alliance n’est plus cet instrument né de la confrontation, mais qu’elle est devenue un des instruments majeurs de stabilité pour l’Europe qui s’est désormais retrouvée.

L’instauration d’un partenariat euroatlantique rénové

C’est également la question du rôle et de la place des États-Unis en Europe qui est posée. Ce partenariat nouveau doit nécessairement prendre en compte la dimension de la construction européenne. C’est un élément qui ne peut être marginalisé ou vidé de sa substance. Les États-Unis doivent accepter une véritable reconnaissance du fait européen, c’est-à-dire d’une démarche politique globale qui comprend naturellement le domaine de la défense. C’est sur ce terrain qu’un accord durable, profond et fructueux, est possible entre les Européens et les Américains, et en particulier entre les Français et ces derniers. C’est en effet à cette condition que notre pays prendra une place pleine et entière dans l’Alliance.

La deuxième caractéristique de ce partenariat est qu’il ne peut être organisé grâce à une seule structure de sécurité. C’est pourquoi il est indispensable de préserver et de renforcer l’OSCE. Les résultats du sommet de Lisbonne ont été quelque peu décevants à cet égard. Pourtant, les Américains doivent continuer à investir dans cette organisation fondamentale pour la sécurité européenne, et qui constitue, avec ses principes clés, un acquis historique essentiel. Croire que l’OSCE constitue une institution concurrente par rapport à l’Otan relève d’une analyse dépassée.

Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, la construction d’une architecture de sécurité européenne harmonieuse et efficace prendra du temps ; mais j’ai confiance en l’avenir, car chacun des partenaires a profondément conscience de porter, grâce aux choix qu’il fera, une responsabilité historique.

* * *

La rénovation de notre dispositif de défense, la refonte de notre politique industrielle, la redéfinition des paramètres de la sécurité européenne sont des questions essentielles qui ne doivent pas se traiter dans des cénacles clos. Le rôle d’une institution comme la vôtre, qui rassemble des personnalités venues de tous les horizons, est bien de participer à l’indispensable accompagnement intellectuel de la réforme. Vous devez en outre assurer deux autres missions : celle de diffuser le plus largement possible la culture de défense, et celle de contribuer à ancrer profondément dans notre pays l’esprit de défense.

Diffuser la culture de défense, car nos concitoyens doivent être éclairés, dans le contexte de cette grande réforme, sur les nouveaux enjeux de notre sécurité, sur les missions que doivent désormais assurer nos armées. C’est la condition pour qu’ils prennent la mesure de ce qu’accomplissent, chaque jour, les hommes et les femmes qui ont choisi de se consacrer à notre défense.

Cultiver l’esprit de défense est également un impératif, car la cohésion de la nation face aux périls est la première force d’une démocratie. Il existe, à cet égard, de solides raisons d’optimisme. Je pense d’abord à la persistance du consensus des Français sur la dissuasion et à leur résistance à la démagogie, qui se sont clairement manifestées au moment de la reprise d’une ultime série d’essais nucléaires. Je pense ensuite à leur adhésion à une conception ambitieuse de notre sécurité, qui permet à la France de prendre toute sa part à la défense et à la stabilité de l’Europe ; en témoigne la façon dont nos compatriotes ont compris l’action des militaires français en ex-Yougoslavie. Je pense, enfin, au sang-froid, au courage et à la solidarité que nos concitoyens manifestent face à la barbarie terroriste.

Chacun d’entre vous, Mesdames et Messieurs, doit prendre sa part de cet effort commun qui vise à conjuguer la défense, « première tâche de l’État », et l’esprit de défense, valeur centrale de la citoyenneté. ♦

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La Revue Défense Nationale est éditée par le Comité d’études de défense nationale (association loi de 1901)

Directeur de la publication : Thierry CASPAR-FILLE-LAMBIE

Adresse géographique : École militaire,
1 place Joffre, Paris VII

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Tél. : 01 44 42 31 90

Email : contact@defnat.com

Adresse : BP 8607, 75325 Paris cedex 07

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