L'évolution du concept depuis le Livre blanc de 1994
Ce qui m’a été demandé de vous présenter concerne l’évolution de notre concept de défense entre le Livre blanc, qui a été rendu public par le gouvernement de M. Balladur en février 1994, vingt-deux ans après celui rédigé sous l’autorité de M. Michel Debré, et les réformes de notre système de défense qui ont été annoncées par le président de la République à la suite de plusieurs Conseils de défense, en février 1996. M. François Géré retracera ensuite l’évolution du contexte stratégique qui est un élément d’explication majeur de ces modifications.
L’évolution naît d’abord à l’extérieur : elle est dans la modification fondamentale qui a surgi pour l’histoire de la défense française en 1990-1991 et qui, d’une certaine façon, s’est achevée en 1994 lorsque le dernier soldat soviétique, devenu russe, a quitté le territoire de la république d’Allemagne réunifiée : ce jour-là, le 31 août 1994, s’est achevée une époque. Il ne doit échapper à personne quelle fut l’importance fondamentale de cette transformation. En dehors de toute théorie, notre dispositif de défense était très largement façonné par la nécessité de faire face à une menace majeure, à dominante aéroterrestre, mais non exclusivement, située à deux cent cinquante kilomètres des frontières françaises. Même en faisant abstraction de la position singulière adoptée par le général de Gaulle par rapport aux deux blocs, qui nous dotait d’une politique indépendante et de ses moyens, nos armées et nos équipements étaient conçus, organisés, déployés, pour être en mesure de faire face à la bataille principale en Centre-Europe. Nous avions aussi une marine qui avait pour vocation de maîtriser le contrôle des zones de circulation maritime essentielles, notamment en Atlantique où devaient passer les moyens de renforcement des États-Unis vers l’Europe.
Ce système est profondément bouleversé. À partir du moment où les armées françaises, singulièrement de l’air et de terre, ne sont plus organisées pour se battre en deuxième ou en premier rideau à moins d’une centaine de kilomètres des frontières françaises, à partir du moment où les besoins militaires et les spécifications des équipements qui sont requis du fait même de cette mission sont transformés, il apparaît nettement qu’en réalité c’est l’ensemble de notre système militaire qui est remis en question. Cela ne s’est pas fait en un jour : dès 1991, un début de réflexion apparaît avec des modifications dans notre posture nucléaire, l’élimination précoce des missiles Plu ton, le gel du programme Hadès, la mise en place du corps européen qui manifeste notre choix en faveur d’un commandement « interopérable » avec des organisations de type international ; on pourrait citer d’autres exemples, y compris dans l’organisation du commandement français, avec plusieurs réformes importantes comme la création de la direction du renseignement militaire, le centre opérationnel interarmées, etc.
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