Dix ans après l'opération Restore Hope, la Somalie est toujours en proie au chaos. Divisé en plusieurs territoires non reconnus par la société internationale (dont le Somaliland ) ce pays est devenu l'une de ces « zones grises » qui se multiplient sur la carte du globe et déstabilisent leur environnement régional (l'Afrique orientale et la péninsule arabique). Rien d'étonnant alors si le terrorisme international est supposé y abriter plusieurs de ses bases et si les États-Unis s'intéressent de nouveau à cette région du monde, toujours aussi vitale du point de vue géostratégique. Commissaire lieutenant-colonel de l'air
La Somalie, de la guerre de l'Ogaden à l'intervention de l'ONU
Lorsque le Conseil de sécurité des Nations unies adopte, le 3 décembre 1992, la résolution 794 autorisant une intervention à la fois militaire, multinationale et humanitaire en Somalie, le Nouvel ordre mondial défendu par le président George Herbert Bush bute rapidement devant l’ardeur des Seigneurs de la guerre qui essaiment dans cette partie du monde en proie à l’anarchie, la famine et la guerre. Fort de son succès militaire contre l’Irak de Saddam Hussein, Washington croit pouvoir ramener la paix dans ce petit pays de la Corne de l’Afrique qui a l’avantage d’être placé à l’articulation de la mer Rouge et de l’océan Indien, par où transite l’essentiel du trafic pétrolier au sortir de la péninsule arabique.
Née en 1960 de la fusion du british Somaliland et de la Somalia italiena, la République de Somalie tombe en 1969 sous la férule d’un dictateur, Siyad Barre, qui se rapproche du bloc soviétique et poursuit un rêve de puissance : le « pansomalisme ». Sous ce terme, variante du « panisme » cher aux géopolitologues (1), se cache une idéologie nationaliste visant à la reconquête par tous les moyens des espaces peuplés de Somalis, lesquels forment un groupe ethnique divisé en de multiples clans et sous-clans qui ont en commun, outre leur appartenance à un islam sunnite et un mode de vie pastoral, un instinct belliqueux allié à de solides traditions guerrières. Affaibli par ses échecs, ruiné par la guerre civile, le régime de Siyad Barre s’effondre au début de 1991. Malgré l’envoi de 38 000 hommes dotés de moyens considérables, l’opération Restore Hope de l’ONU est habituellement présentée comme un échec pour les États-Unis (2), qui ne parviennent pas à ramener la paix en Somalie, et pour l’ONU qui retire ses derniers Casques bleus en février 1995. Comment un pays aussi démuni de ressources que la Somalie a-t-il pu mettre en échec l’ONU, le droit international et la force armée des États-Unis au moment où ces derniers se trouvaient dans la position hégémonique d’une « hyperpuissance » qu’ils n’avaient jamais atteint auparavant, même en 1945 ?
La réponse à cette question peut être trouvée dans les caractéristiques de la société somalienne. Au-delà de sa complexité, le drame somalien — car il y a drame puisque aucun État ne porte ce nom dans la communauté internationale du début du XXIe siècle — mérite une attention particulière dans le cadre de cette revue : en raison de l’épisode du conflit qui opposa la Somalie à l’Éthiopie entre 1977 et 1978 ; en raison de ses aspects géostratégiques puisque cette guerre s’accompagna d’un retournement d’alliances Est-Ouest visant tant le régime de Mogadiscio que celui d’Addis-Abeba ; pour des aspects purement militaires ensuite car les deux dirigeants Barre et Mengistsu ne manquaient pas d’audace et leurs troupes de vaillance ; en raison de ses conséquences humaines enfin car les guerres qui agitent périodiquement la Corne de l’Afrique ont transformé cette région du monde en un gigantesque camp de réfugiés : sur la dizaine de millions de réfugiés et de personnes déplacées dans le monde, la moitié est en Afrique subsaharienne et une majorité dans la Corne (3).
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