Alors que la transition politique du monde arabe s’amplifie, l’auteur s’interroge sur la capacité d’Israël à sortir du cadre stratégique dans lequel il semble s’être enfermé : rapport de forces, imprévisibilité, statu quo, alliances de revers, débouchés économiques, absence de vision de long terme.
Comment caractériser la pensée stratégique israélienne ?
What is current israeli strategic thinking?
At a time when the Arab world’s political transition is accelerating, the author questions whether Israel can extract itself from the strategic straitjacket in which it appears to be confined. He looks at the issues of balance of forces, unpredictability, the status quo, repeated setbacks, economic opportunities, and the need for long-term strategic vision.
Le vent de révolte qui souffle sur le monde arabe, la chute d’Hosni Moubarak et la perspective de voir certains régimes voisins s’effondrer, contraignent le gouvernement israélien à revoir sa posture stratégique. Certains dirigeants israéliens estiment le moment opportun pour relancer des négociations de paix avec la Syrie mais aussi avec les Palestiniens. D’autres, plus nombreux, interprètent au contraire les troubles qui affectent le monde arabe comme une raison supplémentaire de se barricader davantage, d’accroître le budget militaire et de ne rien céder, ni aux Arabes, ni aux Palestiniens. L’État-major, de son côté, étudie une posture de défense tous azimuts qui vise également l’Égypte, alors que depuis trente ans, ce pays n’était plus censé représenter la moindre menace pour Israël. Face à cette cacophonie, que peut-on attendre des politiciens et généraux israéliens ? En d’autres termes, quels sont les déterminants de la pensée stratégique israélienne ?
L’obsession du rapport de force
Encerclé par des voisins arabes qui l’ont agressé en 1948, traumatisé par la Shoah, Israël croit fermement aux vertus du rapport des forces, estimant que pour exister et être respecté au Moyen-Orient, il ne fallait jamais hésiter à montrer sa force et à en faire usage. Dans une approche très clausewitzienne, les dirigeants israéliens considèrent que la guerre n’est que la poursuite de la politique par d’autres moyens, tout comme leurs alter ego arabes. Et parce que le principe du recours à la guerre est accepté par la population, il convient de s’y préparer sérieusement. C’est la raison pour laquelle l’État d’Israël a toujours fait en sorte de disposer d’une armée qui soit plus puissante que celles de ses adversaires. Compte tenu de l’exiguïté du territoire, il a érigé un certain nombre de principes cardinaux : conduire des guerres courtes (quelques semaines tout au plus), porter les combats sur le territoire de l’adversaire et lui infliger des dommages tels qu’il n’ait pas envie de réitérer l’expérience de sitôt. Ce qui est valable pour la guerre l’est tout autant pour la diplomatie. Israël s’est toujours assuré du soutien d’un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies pour lui apporter un soutien sans faille et faire échec aux tentatives de ses adversaires visant à l’ostraciser sur la scène internationale. La France se chargea de ce rôle jusqu’au milieu des années 60. Les États-Unis ont depuis pris le relais, même si l’Administration Obama multiplie les signes d’exaspération à l’encontre de l’actuel gouvernement israélien.
L’imprévisibilité
Persuadés que toute stratégie peut être contournée dès lors qu’elle est décryptée, les gouvernements israéliens se sont toujours attachés à se montrer imprévisibles en incluant dans leurs modes opératoires une certaine part d’irrationalité. C’est la raison pour laquelle Israël n’a jamais défini ses intérêts vitaux. Ce souci d’imprévisibilité s’est accru depuis qu’Israël dispose de la bombe atomique. Cette posture nucléaire, volontairement floue, a permis à Israël d’instituer une véritable stratégie de dissuasion à l’égard de ses voisins arabes, rendant très improbable l’hypothèse d’une guerre totale avec eux. Ni l’Égypte en 1973, ni la Syrie en 1982, ni même l’Irak en 1991 n’ont pris le risque de susciter une escalade incontrôlable avec Israël. Puisqu’aucun État de la région, à l’exception de l’Iran, n’est plus en mesure de défier ouvertement Israël, ce sont des acteurs non-étatiques, tels que le Hezbollah et le Hamas, qui s’en prennent désormais à l’État juif, sachant qu’ils ne peuvent être effacés de la carte.
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