Asie - Inde-Pakistan : dégel ou feu de paille ?
Le Premier ministre indien Atal Bihari Vajpayee s’est rendu à Lahore, deuxième ville du Pakistan, les 20 et 21 février 1999. Il y avait dix ans qu’un chef de gouvernement ne l’avait fait. Il a été accueilli chaleureusement et en grande pompe par son homologue Nawaz Sharif. Depuis les essais nucléaires de mai 1998, les deux hommes ont le souci commun d’éviter tout dérapage qui pourrait conduire à un conflit atomique. Malgré cette retenue, ils doivent faire face à ceux qui, dans leur pays respectif, s’opposent à tout rapprochement. L’épineuse question du Cachemire empêchera longtemps tout apaisement durable dans la région.
François Heisbourg, ancien directeur de l’International Institute for Strategic Studies (IISS) posait, il y a quelques mois (1), la question suivante : « L’Inde et le Pakistan sont des puissances nucléaires de fait. Reste à savoir si, ainsi que certains l’espèrent, le scénario se déroulera comme une répétition régionale de la guerre froide d’antan : beaucoup de craintes, beaucoup de dépenses mais, en fin de compte, une coexistence somme toute pacifique entre les protagonistes directs. Rien n’est moins sûr ». Tout en constatant que la crainte des conséquences d’un conflit atomique exerce une influence modératrice puissante sur celui qui accède à la possession de ce feu dévastateur, l’auteur estimait que la géopolitique n’était pas favorable à une relation dissuasive stable, en particulier le fait que les capitales des protagonistes ne sont qu’à quatre ou cinq minutes de fusée l’une de l’autre. C’est pourtant bien sur la voie de la prudence et de l’équilibre de la terreur que les deux gouvernements, conscients des dangers, se sont engagés ces derniers mois.
L’insistance du ministre de la Défense indien George Fernandes, une semaine avant les essais de son pays, sur le fait que « la menace potentielle de la Chine est plus grande que celle du Pakistan », fut peut-être une dernière et vaine tentative de New Delhi pour qu’Islamabad ne répondît pas au coup par coup. Devant le fait accompli, après une période d’invectives et de réanimation du front du Cachemire, les deux gouvernements se sont engagés sur la voie du dialogue. Une première rencontre, entre Sharif et Vajpayee à Colombo, en marge du sommet de la Saarc (South Asia Association for Regional Cooperation), le 29 juillet 1998, ne s’est limitée, selon Sharif lui-même, qu’à une courtoise poignée de mains. Cependant, des progrès ont rapidement été accomplis. Les deux pays ont déclaré un moratoire sur les essais nucléaires et ont exprimé leur volonté de principe de signer le CTBT, mais le Pakistan a naturellement rejeté la proposition indienne de s’engager, comme New Delhi, à ne jamais recourir en premier à une frappe nucléaire. Lors de la deuxième rencontre Sharif-Vajpayee, en marge de l’Assemblée générale de l’Onu le 23 septembre 1998, l’Inde a enfin accepté d’inscrire la question du Cachemire à l’ordre du jour des discussions bilatérales et les réunions entre diplomates, soit à New Delhi, soit à Islamabad, se sont succédé à un rythme soutenu. Geste hautement symbolique, l’équipe pakistanaise de cricket est revenue, pour la première fois depuis douze ans, faire une tournée en Inde. En outre, des pêcheurs des deux pays ont été libérés et, pour la première fois en cinquante ans, une ligne d’autobus a été ouverte entre New Delhi et Lahore. C’est en inaugurant officiellement cette ligne que, tout aussi symboliquement, Vajpayee s’est rendu au sommet de Lahore. La volonté commune de retenue ne suffit pas à éviter le déclenchement accidentel d’un conflit nucléaire, par exemple sur une fausse alerte, alors que les lignes de communication (2) entre les deux gouvernements et les systèmes d’alerte perfectionnés leur font défaut. Des mesures de confiance réciproque sont donc indispensables. Du 12 au 15 février 1999, pour la première fois, s’est tenue, à Islamabad, une conférence interparlementaire indo-pakistanaise qui a rassemblé cinquante députés de chaque Parlement. Pendant trois jours, ils se sont penchés sur la question de savoir comment éviter un conflit nucléaire entre leurs deux pays. Leurs discussions ont abouti à un texte commun qu’ils se sont engagés à soumettre à leur Parlement respectif pour qu’il prenne force de loi. Nul doute que ces travaux et leurs conclusions ont servi de test et de moyens pour la rencontre des deux Premiers ministres une semaine plus tard.
Il reste 65 % de l'article à lire








