Alors que s'ouvre le Sommet de la Ligue arabe en Arabie saoudite, l'Ambassadeur Bertrand Besancenot fait le point sur les évolutions politiques et régionales actuelles au Moyen-Orient, entre élasticité des alliances de Riyad et réhabilitation de Bachar el-Assad.
Vers un arrangement régional au Moyen-Orient ? (T 1491)
(© Lara Jameson / Pexels)
Au cours des dernières décennies, le Moyen-Orient a vécu sous une ombrelle américaine, s’appuyant sur une convergence de vues entre Washington, Tel Aviv et les pays arabes pro-occidentaux au sujet de la menace iranienne à la stabilité régionale. Les accords d’Abraham ont représenté la dernière manifestation de cet accord implicite, qui reléguait, de facto, le règlement de la question palestinienne sine die.
Aujourd’hui, avec le rétablissement des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite, la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe, les efforts tentés pour trouver une solution à la crise libanaise et la résurgence des tensions israélo-palestiniennes, il est clair qu’une nouvelle dynamique est en cours au Moyen-Orient.
Elle repose sur la prise en compte par les acteurs régionaux du fait que cette zone n’est plus prioritaire pour l’Administration Biden, que la Chine entend, au contraire, y jouer un rôle politique plus important et que le moment est donc venu pour les États du Moyen-Orient de davantage prendre eux-mêmes en main le règlement de leurs différends. Cela implique une reconnaissance implicite des réalités sur le terrain, en particulier de l’influence iranienne dans la région ; d’où le rétablissement des relations diplomatiques entre Riyad et Téhéran, même si ceci ne signifie naturellement pas la fin de la méfiance et des contentieux entre les régimes de la région.
En revanche, la nouvelle volonté de la Chine – premier partenaire commercial de tous les pays du Moyen-Orient – de jouer un rôle politique dans la zone est perçue par les différents protagonistes comme une occasion de calmer le jeu, afin de faciliter le développement de leurs économies. C’est vrai à Téhéran, pour résoudre la grave crise socio-économique actuelle, mais aussi à Riyad, pour accélérer la mise en œuvre de la « Vision 2030 ».
Chacun espère y trouver son compte :
• Pour l’Arabie saoudite, la fin de la guerre au Yémen, l’arrêt du trafic de captagon venant de Syrie et l’ambition d’apparaître – après la réconciliation entre les pays du Golfe et la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe – comme le « rassembleur de la famille arabe ».
• Pour l’Iran, la reconnaissance implicite de ses acquis en termes d’influence au Moyen-Orient (suite à l’invasion américaine de l’Irak) et du recul de l’influence américaine dans la région.
• Pour la Syrie, le souhait d’une participation des monarchies du Golfe à la reconstruction du pays.
• Pour le Liban, l’espoir d’un arrangement régional qui lui permettrait de retrouver stabilité et prospérité.
Dans ce nouveau panorama, le vrai perdant est l’État d’Israël qui, après les accords d’Abraham, ambitionnait sa reconnaissance par l’Arabie saoudite et la constitution d’une alliance contre l’Iran. Mais il est clair que la politique du nouveau gouvernement israélien envers les Palestiniens ne favorise pas la normalisation souhaitée avec le monde arabe…
Quant à la Turquie, beaucoup dépendra, naturellement, de l’issue des prochaines élections.
Toutefois dans une région compliquée comme le Moyen-Orient, les choses peuvent évoluer rapidement, dans un sens comme dans l’autre. La désescalade des tensions et la coopération éventuelle entre adversaires de la veille seront, en réalité fonction, des résultats concrets de la nouvelle dynamique engagée :
• Est-ce que Téhéran sera en mesure d’imposer aux Houthis un accord sauvant la face de tous les protagonistes au Yémen ? Que fera l’Iran sur le plan nucléaire ?
• Est-ce que Bachar el-Assad – au-delà d’un geste sur le trafic du Captagon – est prêt à faire une ouverture politique réelle permettant notamment un retour en Syrie des réfugiés ?
Il y a, pour le moins, des incertitudes quant aux réponses à ces questions.
Par ailleurs, les pays du Golfe sont encore tributaires de la garantie américaine pour leur sécurité et ils ont des intérêts économiques partagés avec les États-Unis. Ils attendent aussi de voir comment la Russie se sortira du conflit qu’elle a engagé en Ukraine?pour développer, ou non, leur coopération avec elle.
Enfin, les élections présidentielles américaines sont dans un an et demi, et tous les pays de la région prendront naturellement en compte les orientations du prochain locataire de la Maison-Blanche dans la définition de leur propre politique.
Il reste que l’autonomisation des États du Moyen-Orient par rapport à Washington constitue une nouvelle donne, qui crée des opportunités que les Européens devraient saisir – à la condition qu’ils parviennent à s’entendre sur des initiatives répondant aux attentes des pays du Moyen-Orient sur les plans politique (moins de « deux poids deux mesures » occidental) et économique (des partenariats comportant des transferts de technologie). ♦