Alors que nous approchons des trois ans de guerre en Ukraine, Pierre Grasser analyse, à partir de sources précises, l'utilisation du missile russe Kh-38 sur le théâtre ukrainien et plus particulièrement, dans le cadre de la « guerre des ponts ».
Ukraine : Guerre des ponts et nouveau missile russe, étude de cas (T 1683)
Missile air-sol Kh-38ML, présenté au salon MAKS-2011 à Moscou (© Piotr Butowski)
Ukraine: Bridge War and New Russian Missile, Case Study
As we approach three years of war in Ukraine, Pierre Grasser analyzes, from precise sources, the use of the Russian Kh-38 missile in the Ukrainian theater and more particularly, in the context of the "war of the bridges."
« La destruction des voies ferrées interrompt la logistique, la destruction des ponts interrompt les opérations. (1) » À peu de chose près – le transport routier a depuis bien secondé le ferroviaire pour l’approvisionnement – les mots du maréchal Helmuth von Moltke, prononcés en 1861, restent à propos pour le théâtre ukrainien : pas d’avancée sans franchissement de coupure humide.
Au dernier jour de 2024, un peu moins d’une centaine de prises de vues d’attaques de ponts ukrainiens par des missiles air-sol russes sont accessibles en ligne. Cette somme ne peut constituer une entrave sérieuse aux opérations de Kiev, telle que l’offensive sur Koursk d’août 2024 l’illustre bien, et pourrait tenir de l’anecdote, au regard de la quantité d’ouvrages d’art du pays. Pour autant, ces activités s’intensifient, avec 76 % des prises de vues réalisées sur cette seule année. Les VKS (forces aérospatiales russes) sont mobilisées pour ces missions dès le début des hostilités, mais gagnent en efficacité à l’été 2023, à la faveur de l’entrée en service d’un nouveau missile air-sol : le Kh-38. Certes livré aux forces depuis la seconde moitié des années 2010, il attend les premiers revers en Ukraine pour rejoindre la panoplie des avions de combat russes. Le Kh-38 devient le missile air-sol standard de ces derniers, tel l’Armement air-sol modulaire (AASM) (2) pour le Rafale ou de la Brimstone britannique sur l’Eurofighter. Comme ses analogues occidentaux, le Kh-38 n’a pas été optimisé pour une mission, comme l’anti-pont, mais pour engager un panel varié de cibles, face auquel les 250 kg de sa charge militaire sont supposés suffire.
D’autres moyens que les missiles sont bien observés en action contre les ponts ukrainiens, comme les bombes planantes ou les obus guidés d’artillerie. Les frappes de missiles Kh-38 restent cependant de loin les plus fréquentes et leurs vidéos regorgent d’informations. La question des effets de ces attaques sur la logistique ukrainienne se pose. Ces actions donnent aussi l’occasion de s’interroger sur la capacité d’un belligérant dépourvu de supériorité aérienne à perturber durablement les franchissements d’un adversaire. L’analyse peut débuter sous l’angle munitionnaire, puisque les caractéristiques des missiles air-sol russes et le tempo de leur modernisation conditionnent tout le format de ces opérations. Les sources permettent ensuite de cerner les modes opératoires mis en œuvre pour ces attaques, en saisir l’efficacité globale ainsi que leurs limitations.
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