Cette semaine marque le 80e anniversaire de l'armistice de la Seconde Guerre mondiale et de la capitulation de l'Allemagne nazie. Plus de cinq ans de guerre mondiale prenaient fin quand un nouveau monde émergeait : celui de la conférence de Yalta, celui de la guerre froide qui façonna le monde pendant plus de 50 ans.
Éditorial – 8-Mai – 80 ans, entre capitulation et démolition (T 1706)
Signature de la reddition allemande à Reims, le 7 mai 1945 (© Musée de la reddition de Reims, CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons)
Editorial —May 8 —80 years, between capitulation and demolition
This week marks the 80th anniversary of the armistice of World War II and the surrender of Nazi Germany. More than five years of global warfare ended as a new world emerged: that of the Yalta Conference, that of the Cold War, which shaped the world for more than 50 years.
Cette semaine est marquée par le 80e anniversaire de la capitulation de l’Allemagne nazie signée le 7 mai vers 3 h du matin à Reims, pour entrer en vigueur le 8 mai et de nouveau signée le 9 mai à Berlin pour satisfaire aux exigences de Staline voulant affirmer sa stature de leader mondial. Paradoxalement, et c’est souvent oublié en France, l’occupation nazie était encore une cruelle réalité sur le territoire français avec les poches autour des ports. Les îles de Ré et d’Oléron, la pointe de Grave, Royan, La Rochelle, Lorient et Dunkerque, toutes ces villes étant sous contrôle nazi, sont alors assiégées par les forces françaises et américaines. C’est ainsi qu’il a fallu attendre le 10 mai pour que les troupes allemandes capitulent à Caudan, libérant ainsi la région de Lorient-Quiberon. Les stigmates de la guerre ont ainsi longtemps perduré et il a fallu arriver au début des années 1960 pour que les chantiers nécessités par la reconstruction ne s’achèvent – soit près de deux décennies – avec un urbanisme nouveau basé sur le béton et la géométrie, tout en permettant une modernisation de l’habitat, notamment sur le plan de l’hygiène.
Pour l’Allemagne, l’ampleur des besoins de reconstruction a été encore plus importante, d’autant plus que les bombardements alliés et les combats de la fin de la guerre avaient laissé le Reich à l’état de ruines. Après le 8 mai 1945 débute pour l’Allemagne ce que les historiens ont appelé « Stunde null » ou l’« année zéro ». L’effondrement du Reich dès l’annonce de la mort d’Adolf Hitler le 30 avril est, à la fois, spectaculaire et rapide. Même si un semblant d’État nazi subsiste au nord sous la direction de l’amiral Dönitz jusqu’au 23 mai, l’Allemagne est totalement occupée et livrée à la merci des troupes d’occupation. Dans la partie est, les Soviétiques poursuivent leur vengeance en pillant et en violant, tandis que la partie sous le contrôle des Alliés « découvre » l’ampleur du mal nazi. La vision des camps de concentration, désormais montrée par les reporters de guerre est alors diffusée par la presse et les actualités cinématographiques. Pour l’est de l’Europe, la libération par l’URSS se traduit par les rectifications brutales des frontières comme pour la Pologne, les transferts massifs de populations, la répression politique et ethnique et l’instauration de pouvoirs aux ordres de Moscou, à la suite du « partage » de l’Europe entériné à Yalta au mois de février précédent.
À l’ouest, rapidement, les Alliés ont compris la nécessité de reconstruire l’Allemagne et de lui donner des institutions démocratiques qui vont aboutir à la création de la République Fédérale d’Allemagne (RFA) avec Bonn pour capitale, au cœur du bassin rhénan, tandis que les tensions avec l’URSS commencent à diviser le continent. Le 5 mars 1946, Winston Churchill, dans un discours prononcé à l’université de Fulton (Missouri) parle du « rideau de fer » qui divise désormais l’Europe, entre la liberté et la démocratie à l’Ouest et la mainmise soviétique à l’Est. La guerre froide a commencé.
Le paradoxe est que, quatre-vingts ans après, une nouvelle guerre froide se prolonge depuis le 24 février 2022 et l’attaque russe contre l’Ukraine. Depuis plus de trois ans, Moscou s’efforce de justifier son agression par le besoin de chasser les « néo-nazis » qui seraient au pouvoir à Kyiv. Ces dernières semaines, la propagande russe veut à tout prix parler de victoire et d’assimiler l’occupation d’environ 19 % du territoire ukrainien à une libération, comme une prolongation de ce qui s’est passé en 1945 avec l’Armée rouge. Au passage, pour Moscou et ses relais en Europe, les pays membres de l’Union européenne (UE) et de l’Otan seraient désormais le prolongement du troisième Reich.
La guerre de haute intensité conduite par le Kremlin et son refus de toute concession pour aboutir à un cessez-le-feu, tout en poursuivant les bombardements sur les cibles civiles démontrent que Vladimir Poutine est bien dans une logique de rupture et une volonté de remettre à plat l’architecture de sécurité en Europe, s’appuyant sur le chaos de la diplomatie américaine depuis le 20 janvier dernier. L’Europe se retrouve confrontée à une menace existentielle comme elle n’en avait pas connu depuis quatre-vingts ans : menace à l’Est avec la tentation de reconstituer l’empire soviétique et rupture dans la confiance avec l’Allié américain.
Cette semaine s’annonce géopolitique, avec, notamment, l’instrumentalisation de l’histoire par Moscou et les commémorations de la « Grande guerre patriotique » russe le 9 mai. Cependant, hasard de l’histoire, la démonstration de force de Vladimir Poutine pourrait bien être minorée et mise au second plan de l’actualité internationale si de la fumée blanche s’élevait dans le ciel de Rome : le conclave pour élire le successeur de François commence… ♦