La réunion de négociations trilatérales entre la Russie, l'Ukraine et la Turquie à Istanbul le 2 juin, pour essayer de trouver une issue aux hostilités entre Kyiv et Moscou, n'a donné lieu qu'à un accord sur des échanges de prisonniers et le rappatriment de corps de soldats tués. Les conditions données par Moscou sont intolérables pour Kyiv et Vladimir Poutine démontre bien qu'il ne souhaite pas arrêter le conflit, souhaitant aller jusqu'au bout de son « opération spéciale militaire ». Entre déstabilisation et désinformation de masse, l'objectif du Kremlin est d'anéantir l'Ukraine et de faire imploser l'Union européenne.
Éditorial – Le bazar d’Istanbul (T 1717)
Rencontre trilatérale sur la guerre en Ukraine à Istanbul le 2 juin 2025 entre la Russie, la Turquie et l'Ukraine.
Editorial —The Istanbul Bazaar
The trilateral negotiations meeting between Russia, Ukraine, and Turkey in Istanbul on June 2, aimed at finding a solution to the hostilities between Kyiv and Moscow, resulted only in an agreement on prisoner exchanges and the repatriation of the bodies of killed soldiers. The conditions given by Moscow are intolerable for Kyiv, and Vladimir Putin clearly demonstrates that he does not want to end the conflict, wanting to see his "special military operation" through to the end. Between destabilization and mass disinformation, the Kremlin's objective is to annihilate Ukraine and cause the European Union to implode.
Nouvelle réunion à Istanbul pour à peine une heure de discussions limitées à des considérations humanitaires. Certes, il y aura encore un nouvel échange de prisonniers et le rapatriement de soldats tués au combat – un soulagement pour les familles concernées – mais aucunement un chemin vers la fin de la guerre.
Il ne fallait pas s’attendre à beaucoup plus malgré les espérances mises dans cette seconde rencontre depuis ce printemps, mais force est de constater que le Kremlin fait tout pour éviter de discuter sérieusement. Bien au contraire, le mémorandum de trois pages exige des concessions exorbitantes de la part de l’Ukraine, incluant notamment des territoires non occupés par les Russes, une neutralisation totale la privant de réelles capacités militaires et un changement de régime… Moscou reste accroché à son objectif initial : la capitulation de ce voisin qui, aux yeux de Poutine, n’existe pas, ainsi qu’une subordination comme la Biélorussie, une quasi-province russe. Accepter un tel mémorandum serait un suicide collectif à la fois pour l’Ukraine et pour l’Europe. Moscou le sait parfaitement et joue là-dessus pour affaiblir l’unité européenne. D’autant plus que la position de Washington reste toujours ambiguë…
Même si Donald Trump a récemment traité Vladimir Poutine de « fou », il n’a pas vraiment réagi et se contente de déclarations sans grand effet sur le maître du Kremlin qui reste inflexible. Or, le temps joue désormais contre Donald Trump qui n’a pas su trouver les clés pour ouvrir la porte de vraies discussions et non pas la simagrée d’Istanbul. La précipitation initiale et l’humiliation infligée à Volodymyr Zelensky dans le Bureau Ovale, malgré la reprise du dialogue lors des obsèques du pape François, ne constituent pas une diplomatie efficace face aux retors du Kremlin. Ceux-ci poursuivent leur travail de sape de la cohésion européenne, utilisant tous les instruments de la désinformation, la manipulation des opinions et les actions hybrides via les réseaux sociaux et leurs relais.
Ainsi, les images des incidents à la suite de la finale de la ligue des Champions avec la victoire sans contestation du Paris Saint-Germain contre l’Inter de Milan ont été abondamment relayées par les réseaux pro-russes pour faire passer la France pour un champ de bataille où la guerre civile serait devenue la norme. De même, ces mêmes réseaux accusent le Qatar – propriétaire du PSG – d’avoir payé l’Inter de Milan pour qu’il soit battu et ainsi valoriser l’émirat (ce qui est mal connaître le football, car le PSG a démontré qu’il était largement au-dessus de son adversaire italien). Il en est de même avec les actions antisémites de ces derniers jours, où des lieux de mémoire juive comme le mémorial de la Shoah à Paris a été aspergé de peinture verte. Les investigations ont mené à l’arrestation de trois ressortissants serbes, soupçonnés d’être des relais de Moscou dans le cadre d’une opération de déstabilisation qui rappelle les étoiles de David taguées au pochoir l’année dernière.
Ces exemples démontrent bien que Moscou n’a aucunement décidé de s’engager sur un processus d’apaisement et de volonté de trouver une voie raisonnable. Bien au contraire, Vladimir Poutine ne va pas cesser de poursuivre sa politique, persuadé de battre à terme (avant l’hiver) l’Ukraine et de fracturer une Europe où les nationalismes se mélangent aux populismes, fragilisant le projet européen, tout en bénéficiant d’une forme de passivité de Donald Trump pour qui le dossier devient trop compliqué, voire toxique.
Le prochain grand rendez-vous stratégique aura lieu dans exactement trois semaines avec le sommet de l’Otan à La Haye (Pays-Bas) les 24 et 25 juin. Quelle sera l’attitude du Président américain ? Comment aura évolué la situation militaire sur le front ukrainien ? Beaucoup plus de questions que de réponses. Le brouillard de la guerre est de plus en plus opaque. ♦