Dans sa nouvelle Chronique du Moyen-Orient, l'ambassadeur Bertrand Besancenot revient d'abord sur l'accord de défense signé entre l'Arabie saoudite et le Pakistan, renforçant les liens entre Riyad et un allié historique de la région, à l'heure où la confiance saoudienne à l'égard de Washington se renforce. Ensuite, l'auteur revient sur les critiques faites contre la France dans sa reconnaissance de l'État palestinien, pourtant nécessaire pour la mise en place de la solution à deux États.
Chroniques du Moyen-Orient – Accord Arabie saoudite-Pakistan et reconnaissance de la Palestine par la France (T 1757)
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Middle East Chronicles —Saudi Arabia-Pakistan Agreement and French Recognition of Palestine
In his new Middle East Chronicle, Ambassador Bertrand Besancenot first reviews the defense agreement signed between Saudi Arabia and Pakistan, strengthening ties between Riyadh and a historic ally in the region, at a time when Saudi confidence in Washington is growing. The author then returns to the criticisms leveled against France for its recognition of the Palestinian state, which is nevertheless necessary for the implementation of the two-state solution.
Nouvel accord de défense entre l’Arabie saoudite et le Pakistan
Certains observateurs s’interrogent sur la signification et le contenu réel du nouvel accord de défense signé le 17 septembre à Riyad entre le Premier ministre pakistanais et le prince héritier saoudien. Les détails de ce pacte ne sont naturellement pas connus, mais la question est posée de la portée éventuelle de celui-ci dans le domaine nucléaire.
La réponse des autorités pakistanaises est claire : le ministre de la Défense Muhammad Asif a en effet déclaré que « les armes nucléaires n’étaient pas sur le radar » de l’accord.
Les déclarations officieuses saoudiennes sont moins nettes : « C’est un accord défensif global qui implique tous les moyens militaires » et « l’accord vise à développer les aspects de la coopération de défense entre les deux pays et à renforcer la dissuasion conjointe ».
En réalité, l’annonce faite le 17 septembre ne mentionne ni les armes nucléaires ni une assistance financière au Pakistan, mais l’accord stipule que « toute agression contre l’un des pays sera considérée comme une agression contre les deux ».
Toutefois, le Premier ministre pakistanais a également remercié le prince héritier saoudien pour « son vif intérêt à développer les investissements, le commerce et les liens d’affaires » entre l’Arabie saoudite et le Pakistan. Il est donc clair que le royaume soit disposé à poursuivre son assistance financière et à accroitre les relations économiques avec son allié pakistanais dans la région.
Cet accord est naturellement regardé avec suspicion tant par l’Inde que par Israël, même si New Delhi a développé des liens économiques forts avec l’Arabie saoudite. Quant à Israël, il s’est toujours méfié de la « bombe islamique » pakistanaise, mais il est sans doute conscient qu’il est peu probable que l’accord signé dispose d’un volet nucléaire. Cela ne signifie pas pour autant que, si l’Iran se dotait de l’arme nucléaire, l’Arabie saoudite n’en ferait pas autant – comme le prince héritier l’a déclaré publiquement – et se retournerait certainement vers son allié pakistanais pour l’aider à s’en doter.
En réalité cet accord visant à renforcer la coopération militaire entre Riyad et Islamabad correspond à un intérêt réciproque des deux parties mais est aussi un message clair à Washington et à Tel Aviv : l’Arabie saoudite s’inquiète de la politique jusqu’au-boutiste de Benjamin Netanyahou au Moyen-Orient et s’interroge sur la fiabilité des engagements du président Trump. Elle resserre donc les liens avec ses alliés traditionnels, en particulier le Pakistan qui a, de son côté, besoin d’une aide des pays du Golfe pour sortir de son impasse économique.
Reconnaissance par la France de l’État de Palestine
Il s’agit d’un sujet très sensible qui, en France notamment, suscite des tensions et controverses en politique intérieure. Cela est dû au fait que certains partis instrumentalisent cette question en faisant des amalgames dangereux : entre le Hamas et la Palestine pour les uns, entre la politique de Benjamin Netanyahou et le fait d’être juif pour les autres.
Dans le débat en cours, deux critiques sont adressées à la décision du président de la République de reconnaître l’État de Palestine : le moment de la décision et la « récompense au Hamas ». Il convient de répondre à ces questions compréhensibles.
« Ce n’est pas le moment, car les otages israéliens n’ont pas été libérés »
On pourrait répondre que cette décision aurait aussi pu être prise plus tôt, car elle est conforme au soutien constant de la France à la solution à deux États et aux résolutions pertinentes des Nations unies. Ce mouvement de la France n’intervient en effet qu’après environ 150 autres pays dans le monde…
Sur le plan juridique, certains argumenteront sur le fait que la Palestine n’a pas encore tous les attributs d’un État, ce qui est exact ; mais qui en est responsable ? Le gouvernement de Benjamin Netanyahou n’a jamais voulu négocier avec l’Autorité palestinienne – qui reconnaît Israël – les conditions et les modalités conduisant à l’auto-détermination du peuple palestinien. Il a préféré conclure avec le Hamas – mouvement terroriste ne reconnaissant pas Israël – un simple arrangement de sécurité, dont on a vu le 7 octobre 2023 qu’il était dramatiquement illusoire. Cette politique s’explique par le refus du gouvernement Netanyahou de reconnaître le droit à l’auto-détermination du peuple palestinien et par son objectif de poursuivre la colonisation de la Cisjordanie en vue de son annexion.
Dans ces conditions, le pogrom du 7-Octobre a été une horreur condamnée à juste titre par quasi-tout le monde – y compris les États de la Ligue arabe – mais la réaction légitime d’Israël contre le Hamas a tourné en une opération disproportionnée, causant un nombre de victimes civiles et de destructions à Gaza totalement injustifiable. Il est donc normal que la communauté internationale réagisse au drame humanitaire en cours et tente de mettre un terme à la politique jusqu’au-boutiste de Benjamin Netanyahou.
C’est le sens de la reconnaissance par la France de l’État de Palestine et de la conférence internationale sur la solution à deux États à New York le 22 septembre dernier, à l’initiative conjointe de la France et de l’Arabie saoudite. Il est en effet important que ce dernier pays parraine cette rencontre car il est un des rares interlocuteurs qu’écoute le président Trump. Or, ce dernier souhaite une normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël pour contenir l’influence iranienne au Moyen-Orient et pour élargir les accords d’Abraham, justifiant ainsi sa légitimité pour le Prix Nobel de la paix. Les Saoudiens demandent cependant, en échange de ce mouvement de leur part, qu’un processus contraignant soit engagé menant à la reconnaissance d’un État palestinien. L’initiative française, en créant une dynamique dans ce sens, contribue donc à renforcer la main des Saoudiens dans la négociation qui devrait intervenir entre Washington et Riyad.
S’agissant de la question extrêmement sensible des otages israéliens, on ne peut malheureusement que constater qu’elle n’est apparemment pas la priorité du gouvernement Netanyahou, qui entend d’abord « terminer le travail » (l’élimination totale du Hamas). D’où les manifestations constantes des familles de ces otages, qui s’inquiètent, à juste titre, des conséquences de l’opération militaire israélienne en cours à Gaza. Il est donc bien que, pour marquer notre soutien à la libération immédiate de tous les otages israéliens, la France en fasse une condition à l’ouverture de son ambassade en Palestine.
« Reconnaitre la Palestine, c’est récompenser le Hamas »
Faire l’amalgame entre le Hamas et la Palestine est aussi odieux que le faire entre la communauté juive et la politique de Benjamin Netanyahou. En effet, le plan arabe pour Gaza exclut explicitement tout rôle au Hamas et promeut, au contraire, l’établissement d’une nouvelle Autorité palestinienne, que les pays de la Ligue arabe promettent d’aider à reconstruire l’enclave, puis à développer l’État palestinien. En revanche, poursuivre la guerre – avec ses nombreuses victimes civiles – ne peut qu’inciter les proches de celles-ci à vouloir se venger et à appuyer la « résistance » du Hamas.
En bref, la reconnaissance par la France d’un État palestinien et la promotion de la solution à deux États est une façon de rendre justice au peuple palestinien, qui a beaucoup souffert et qui a droit, comme tout peuple, à l’auto-détermination.
Même si ce processus ne se réalisera pas du jour au lendemain et sans difficulté, il est clair qu’il est dans l’intérêt même d’Israël de vivre en paix avec son voisinage arabe. Si ce n’est pas le cas, nous risquons de voir d’autres 7-Octobre et la difficulté pour Israël de faire cohabiter en son sein une moitié non-juive de sa population.
Il est, en même temps, essentiel de combattre férocement tout amalgame entre communauté juive et politique de Benjamin Netanyahou, comme entre Hamas et Palestinien.
Septembre 2025