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  • Le conflit russo-ukrainien, proche d’un moment décisif ? (T 1772)

Le conflit russo-ukrainien, proche d’un moment décisif ? (T 1772)

Hugues Pernet, « Le conflit russo-ukrainien, proche d’un moment décisif ? (T 1772)  », RDN, 21 novembre 2025 - 12 pages

Le conflit russo-ukrainien, marqué par des avancées russes lentes mais coûteuses et une résistance ukrainienne héroïque, soulève des erreurs d’analyse risquées. Négocier n’est pas capituler, mais éviter une défaite. L’Ukraine, isolée diplomatiquement et militairement, doit évaluer ses options face à des alliés occidentaux divisés et une Russie déterminée.

Ukraine-Russia War: close to a decisive moment?

The Russo-Ukrainian conflict, marked by slow but costly Russian advances and heroic Ukrainian resistance, raises risky analytical errors. Negotiating is not surrendering, but avoiding defeat. Ukraine, isolated diplomatically and militarily, must assess its options in the face of divided Western allies and a determined Russia.

Dans ce monde où la propagande russe donne une lecture engagée du conflit, la presse d’opinion occidentale, en particulier les chaînes d’information en continu, transmet des éléments qui, dans l’ensemble, répondent à une vision morale d’un conflit qui, hélas ne l’est pas.

Dans ce contexte, il est difficile de comprendre et de se faire une idée plus précise des réalités de terrain. Les forces armées russes progressent lentement, à un coût humain important, mais sûrement semble-t-il. Les défenseurs ukrainiens résistent de manière admirable vu les contraintes démographiques, de logistiques et d’armements. Sont-ils arrivés à proximité d’un point de rupture ? Difficile à savoir. Nos informations ne peuvent, au risque de dévoiler des secrets relevant de la défense, être vraiment précises. Cependant, il est clair que pour l’adversaire les demandes de cessez-le-feu immédiat ne peuvent être lues que comme des signes avant-coureurs de faiblesse.

Du risque de faire des analyses erronées

Le risque de part et d’autre est donc grand de faire des erreurs d’analyse qui peuvent être fatales pour chacun des belligérants, mais dont les conséquences peuvent être vitales pour l’Ukraine et simplement graves pour la Russie. Il est d’ailleurs très préoccupant de relever que dans ce monde où la technologie a atteint des sommets les erreurs d’analyse aux conséquences graves sont légion ; le conflit russo-ukrainien est là pour nous le rappeler.

La hiérarchie militaire et du renseignement russe peut laisser miroiter au Président Poutine une rupture prochaine du front et des perspectives de percées stratégiques. Un tel type d’erreur d’analyse est, pour partie, à l’origine du conflit. Elle a été démontrée rapidement de manière cruelle avec l’échec flagrant de la tentative d’investir Kyiv en 2022.

De même, les médias occidentaux et, en particulier, certains experts en matière de défense, ont annoncé de manière un peu péremptoire en 2023 l’effondrement d’ici la fin de l’année de l’armée russe laissant ainsi miroiter aux Président Zelensky une possible reconquête de l’ensemble du territoire ukrainien. Là également, l’erreur d’analyse, dont plus personne ne se souvient et dont on se garde bien d’assumer une quelconque responsabilité, a été sanctionnée durement avec l’échec patent de la contre-offensive ukrainienne de 2023.

C’était l’époque où les observateurs impartiaux s’interrogeaient sur l’opportunité de négocier en position de force relative pour l’Ukraine après ses coups d’éclat de fin 2022. Le processus de négociation entamé en Turquie a été rejeté sèchement et les partisans de la négociation, qualifiés de défaitistes. C’était le grand retour de Munich dans les médias…

Négocier n’est pas capituler

Or, négocier ne signifie pas capituler bien au contraire, dans certains cas c’est justement une manière d’éviter la capitulation. Être un bon, voire un excellent, chef de guerre n’implique pas nécessairement d’être un bon chef de paix. Pour envisager la négociation, il faut savoir choisir le moment et préparer le terrain en fonction de l’objectif.

Soit les forces armées sont en phase ascendante et la négociation a pour objet de récupérer le maximum de terrain à un coût humain moindre sans faire perdre la face à son adversaire. Exiger cette dernière option, au nom de la morale, l’agression ne peut pas payer, voue automatiquement à l’échec le processus. La situation était idéale pour Kyiv fin 2022-début 2023. La fenêtre d’opportunité n’a pas été retenue pour les raisons que l’on sait et qui relevait peut-être d’une double erreur d’analyse qui, d’une part, sur-valorisait les capacités militaires de l’Ukraine et la pérennité de l’aide américaine et, d’autre part, sous-évaluait la rapidité de l’aggiornamento russe. Une autre tentative a été envisagée, semble-t-il, avec la percée sur Koursk en territoire russe dont l’objet aurait été de disposer d’une contrepartie négociable. Hélas, l’opération n’a pas eu le succès escompté. À cette époque, alors que les États-Unis et certains chefs militaires ukrainiens disaient clairement que la reconquête totale ne serait pas possible, certains ont laissé  Volodymyr Zelensky se lancer dans des exigences maximalistes. Or, quel appui réel l’Occident était-il capable d’apporter pour encourager ces ambitions ?

Soit les forces armées sont en situation d’échec ou en difficulté et la négociation a alors pour objet justement d’éviter la capitulation en limitant les dégâts. C’est là qu’il ne faut pas faire d’erreurs d’analyse de la situation militaire, économique et politique du pays et de son adversaire ainsi que du contexte international et de l’aide réelle à attendre d’alliés aussi bien disposés soient-ils. L’Ukraine se doit également d’évaluer la crédibilité de ses alliés au risque de courir de graves dangers. L’erreur d’analyse faite sur les élections américaines est là pour le rappeler cruellement à Kyiv.

La situation d’aujourd’hui justifie-t-elle l’ouverture de la négociation ?

Vladimir Poutine pourrait faire une erreur en surestimant ses capacités militaires, économiques, industrielles, démographiques et la bienveillance relative de Donald Trump en tentant d’aller trop loin comme les Ukrainiens l’ont fait en 2023.

L’absence de dialogue des Occidentaux, à l’exception des États-Unis, avec l’adversaire de l’Ukraine a des conséquences importantes car cela empêche de se faire une idée plus précise des intentions réelles de la Russie. Le problème est évacué avec une formule toute faite : « Poutine ne veut pas la paix ». Or, seul Donald Trump dispose du monopole de l’information sur ce sujet essentiel puisqu’il est l’unique personnalité avec ses différents envoyés spéciaux à s’entretenir avec le Président russe. Vladimir Poutine, tout comme Volodymyr Zelensky veut négocier, mais à ses conditions. Nous avons, par notre attitude, laissé le Président américain avoir le monopole de la connaissance de ces conditions ce qui lui donne une marge de manœuvre dont nous nous sommes privés.

De ce fait l’Europe, et la France en particulier, se trouve dans la dépendance des États-Unis pour évaluer les intentions russes. La diplomatie a justement pour objet de conserver un contact avec l’adversaire pour bien prendre la mesure des situations. Ne serions-nous pas plus utiles aux Ukrainiens si, en bilatéral ou dans le cadre de démarches multilatérales avec nos partenaires européens, nous entretenions un dialogue réel avec Moscou ? Dialoguer ne signifie pas compromettre. Chercher à comprendre ne veut pas dire partager le point de vue. C’est au contraire un moyen de faire passer un langage de fermeté sans avoir à gérer les conséquences des effets d’annonces publiques fracassantes mais souvent purement virtuelles qui relèvent d’une politique de communication et non de la diplomatie qu’elles rendent inopérante. Aujourd’hui, l’Europe et la France se sont enfermées dans une politique de non-communication qui est susceptible de renforcer les erreurs d’analyse ce qui ne contribue pas à renforcer l’Ukraine.

Le Président ukrainien est seul à pouvoir juger de la situation et de l’intérêt à négocier

Sur le plan militaire, il appartient à Volodymyr Zelensky de connaître l’état réel du front. Manifestement, l’armée ukrainienne semble être à la peine tout en résistant admirablement avec les moyens limités en hommes et en matériels dont elle dispose. La juste évaluation de la situation sur le terrain et de la puissance de la pression russe est essentielle. L’erreur peut être fatale ou du moins pas sans risques importants.

Pour ses fournitures de matériels militaires, l’Ukraine doit compter avant tout sur elle-même et sur des Alliés plus ou moins fiables. Elle a effectué un travail de conversion industrielle remarquable. L’assistance américaine est réduite et ne se réalise que sur des bases commerciales au grand avantage de Washington. L’assistance européenne est certes non négligeable mais relève parfois du virtuel. Les financements pourraient relever à terme de la dette. À défaut de l’Allemagne, la dette paiera…

La situation démographique pose manifestement des problèmes cruciaux. Dans ce contexte, certaines décisions récentes du Président Zelensky sont difficilement intelligibles comme celle ayant autorisé les jeunes de 18 à 22 ans à quitter le territoire. Le Chancelier allemand s’en est ému, nous non. Or, la question du recrutement est particulièrement sensible et a déjà donné lieu en 2023 à un retentissant scandale de corruption ayant entraîné le limogeage de tout un pan de l’institution militaire alors même que la guerre faisait rage. Comment expliquer cette nouvelle mesure alors que la pénurie aiguë d’hommes est régulièrement dénoncée ?

Dans le même temps la situation politique s’est sensiblement dégradée. Le scandale de corruption dans l’énergie ayant entraîné le départ de deux ministres et la fuite d’un proche du Volodymyr Zelensky au lendemain de l’échec de la tentative de rattacher les structures de lutte contre la corruption directement à la Présidence ukrainienne n’a pas fini de distiller ses effets délétères dont Russes et Américains peut-être sauront faire usage.

Le Président ukrainien, sur nos médias tout au moins, apparaît toujours seul, comme l’homme de la situation. Il serait sans doute utile de suggérer en cette période délicate une approche plus collective. Lorsqu’en 1991, le Président du Parlement ukrainien se rendait en France ou aux États-Unis pour plaider l’indépendance de l’Ukraine (contre la volonté de Gorbatchev, dirigeant de l’URSS), il se déplaçait avec des membres du Parlement ukrainien dont certains de l’opposition. Cela lui permettait de renforcer sa crédibilité auprès des Présidents Mitterrand et Bush et de saper les critiques de son opposition dans la perspective des futures élections présidentielles. Pourquoi ne pas avoir suggéré, sans entrer dans les problèmes de politique intérieure ukrainiens, au Président Zelensky de venir en France avec des membres du Parlement, sachant qu’il était assuré d’un accueil plus que bienveillant. Volodymyr Zelensky a sans doute ses raisons pour s’afficher seul face à l’étranger, mais peut-être n’a-t-il pas raison. Cela serait d’autant plus important que la question des élections présidentielles, reportées conformément à la législation sur l’état de guerre, reste néanmoins prégnante et instille le doute sur le caractère si ce n’est démocratique du moins représentatif du Président en exercice.

La question de l’économie et des finances publiques sont évidentes et l’appui de Bruxelles est plus que jamais indispensable. Néanmoins, jusqu’à quel point l’Union européenne (UE) pourra-t-elle accompagner, par une perfusion intensive durable, une politique de reconquête de l’intégralité des territoires occupés par les Russes ?

La question se pose donc aujourd’hui de l’opportunité ou pas de négocier réellement, sans prendre à témoin une communauté européenne acquise aux demandes de justice légitimes de l’Ukraine mais pour le moins inopérante sur le plan diplomatique global. L’Union européenne a limité son rôle à celui de l’appui inconditionnel des positions ukrainiennes jusqu’à présent assez maximalistes non pas face à la Russie mais face aux États-Unis. L’Ukraine se bat sur deux fronts, militaire face à la Russie, diplomatique face aux États-Unis.

Dans ce contexte, la France, tout en soutenant fermement l’Ukraine, doit savoir rester indépendante. Ses décisions pour défendre ses intérêts propres ne doivent pas être tributaires des succès ou des échecs d’un tiers aussi valeureux soit-il.

Quelles négociations ?

Il existe déjà des canaux de négociations mais ils sont limités à l’échange de prisonniers ou au retour de dépouilles de soldats. La question qui se pose aujourd’hui est comment suspendre les hostilités. Comment et avec quel objectif ?

Pour les Ukrainiens, un cessez-le-feu serait la solution préférée. Cela permettrait, une suspension des combats, donc un arrêt de l’hécatombe tout en offrant un espace de respiration utile pour se restructurer et se rééquiper. Par ailleurs, cette formule n’hypothéquerait pas l’avenir quant au statut juridique des territoires occupés par les Russes. Il n’y aurait pas, à proprement parler, de cession de territoire, juste la reconnaissance, de facto, de leur occupation temporaire par une puissance hostile. En langage simple cela signifierait une suspension temporaire des hostilités et une reprise possible de la lutte en cas d’échec pour trouver une solution politique du problème. Une autre possibilité serait un gel durable de la situation comme en Corée où l’armistice est en vigueur depuis 1953.

Si l’on peut comprendre la position de Kyiv qui ne souhaite pas une paix injuste consacrant une perte de territoires, il sera peut-être difficile pour des hommes politiques occidentaux en particulier d’accepter une solution qui rende possible à tout moment la reprise de combats de haute intensité en Europe. Il s’agirait d’une solution non pérenne.

Pour les Russes, l’option d’un cessez-le-feu ne comporte guère d’intérêt stratégique. Tout au contraire, elle offre une possibilité à son adversaire de se refaire. On voit donc mal – sauf si les données réelles internes à la Russie sont alarmantes quant au moral des troupes, à l’équilibre de l’économie, au recrutement et à la réponse de l’industrie de défense aux besoins prévisionnels de l’armée – un accord pour un simple cessez-le-feu immédiat. La donne internationale reste moins défavorable à Moscou depuis l’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis ; mais là également il y a un risque d’erreurs important.

Jusqu’à présent, le Président américain a montré une préférence notable pour la position russe qui s’explique par le potentiel stratégique qu’il attribue à ce pays avec lequel il ne souhaite pas entrer en conflit ouvert compte tenu de la capacité de nuisance du régime russe et de ses capacités nucléaires et avec lequel il voit en revanche de possibles coopérations fructueuses et la possibilité d’un jeu dans les négociations globales avec la Chine. À cette préférence pour la Russie s’ajoute probablement une hostilité toute personnelle à l’égard du Président ukrainien qui, comme la majorité des dirigeants européens à l’exception notable du Président hongrois, Viktor Orban et de la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, s’était engagé avec son adversaire politique Joe Biden. Il ne faut pas mésestimer l’importance de ce paramètre, même si l’on préfère l’escamoter dans des analyses qui deviennent alors erronées.

Positions respectives

Les Russes préféreraient donc une solution pérenne qui reconnaisse leurs gains territoriaux réalisés à la suite de leur agression de 2022, alors que, au contraire, les Ukrainiens défendent une position qui leur permette de laisser au temps la possibilité de recouvrer, à terme, leur territoire.

La position juridique de l’Ukraine est forte. Elle se base sur le droit international qui a reconnu ses frontières en 1991. À l’époque, on parlait cependant de « grande Ukraine » car son territoire incluait, outre la Crimée, des territoires annexés dans le cadre du protocole secret du pacte Ribbentrop-Molotov, entre Staline et Hitler, qui relevaient auparavant de la Pologne, comme la Galicie, région de Lviv, notamment.

La Fédération de Russie a fait savoir dès le 26 août 1991, soit 48 heures après le vote de l’indépendance par le Soviet Suprême de la république socialiste soviétique d’Ukraine, encore membre de l’URSS, par la voix du Président Eltsine, fort de son élection au suffrage universel direct, qu’elle demanderait une révision des frontières en cas de confirmation du processus d’indépendance. Les territoires contestés étaient alors :

• La Crimée, conquise trois siècles auparavant sous l’impératrice Catherine II contre les Tatars, alors sous tutelle de la Sublime Porte, et dont le rattachement (administratif) en 1953 à la République socialiste soviétique (RSS) d’Ukraine était le résultat d’une mesure du Secrétaire général du parti communiste soviétique, Nikita Khrouchtchev, sans que les parlements n’aient ratifié le transfert qui comportait des exceptions notamment pour la base de Sébastopol toujours rattachée à Moscou (la conférence de Yalta en 1945 se déroula sur le territoire de la Russie et non de l’Ukraine).

• Le Donbass, dont la population russophone constituait une forte minorité sur laquelle Moscou avait obtenu un droit de regard dans le cadre du traité du 19 novembre 1990 signé à Kiev par le Président ukrainien Leonid Kravtchouk et le Président russe Boris Eltsine.

L’existence d’un contentieux territorial évoqué il y a déjà plus de trente ans n’ouvre pas automatiquement des droits, mais pose un problème qui aurait dû être traité de manière politique et ne l’a pas été. Cette position de la Russie, qui ne justifie en aucun cas une agression, ne peut être ignorée, même si elle reste à étudier. La constitution du « groupe de Minsk » en 2014 répondait pour partie à cette spécificité.

En revanche, Moscou a considérablement affaibli sa position en marchant, en 2022, sur Kyiv qui n’avait jamais fait l’objet d’une revendication territoriale antérieure.

Dans les deux cas, cessez-le-feu ou traité de paix, le Président ukrainien sera placé devant un dilemme cornélien : reconnaître, de facto ou de jure, une partition du territoire de l’Ukraine tel que défini et reconnu internationalement lors de l’indépendance du pays le 1er décembre 1991. Le caractère injuste de la mesure, quelle que soit la solution retenue, ne peut que s’apparenter à une forme de capitulation. L’homme politique qui s’est transformé en chef de guerre remarquable ne peut qu’avoir des difficultés à recourir à une telle option qui relève, en quelque sorte, du suicide politique.

Une fois tranché le dilemme, il reste à assurer, indépendamment de la solution retenue, la pérennité de la suspension des hostilités ou plus exactement des combats de haute intensité car ne nous leurrons pas : l’hostilité perdurera sous d’autres formes relevant de la guerre asymétrique et hybride.

Les garanties de sécurité

La question des garanties de sécurité que l’Ukraine réclame en toute légitimité pour garantir son intégrité territoriale se pose alors. La question n’est pas nouvelle et là également il convient de faire preuve d’objectivité et ne pas masquer aux opinions ukrainiennes et françaises la réalité du problème. L’absence, connue pour ceux qui voulaient savoir ou qui considéraient de leur devoir de savoir, de garanties de sécurité nucléaires pour l’Ukraine est l’élément déterminant qui a rendu possible l’agression de l’Ukraine par la Russie. Cela rendait nécessaire le respect du principe de précaution.

En effet, en 1991, l’Ukraine indépendante a souhaité, d’une part, être dénucléarisée et a été amenée, d’autre part, à transférer les armes nucléaires soviétiques déployées sur son territoire vers celui de la Fédération de Russie par les puissances nucléaires occidentales. Les Autorités ukrainiennes de l’époque se sont pliées aux exigences de ces dernières, mais ont réclamé, sans succès, des garanties de sécurité nucléaires (équivalent de l’article 5 de l’Otan) pour prévenir une guerre qu’elles savaient inéluctable avec leur puissant voisin. La principale puissance nucléaire, les États-Unis a adopté une approche bi-partisane entre Démocrates et Républicains qui a abouti au Mémorandum de Budapest de 1994 par lequel l’Ukraine indépendante transférait les quelque 3 600 têtes nucléaires soviétiques déployées sur son territoire vers celui de la Fédération de Russie en contrepartie de quoi Moscou s’engageait, comme elle l’avait fait maintes fois auparavant, à respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine. La formule était destinée à rassurer l’Ukraine sans inquiéter la Fédération de Russie et sans engager les puissances nucléaires occidentales à garantir par des mesures concrètes la bonne application des contreparties au transfert des armes nucléaires. Le texte de surcroît revêtait une forme juridique non contraignante puisqu’il ne s’agissait que d’un mémorandum et non d’un traité en bonne et due forme ratifié par le Congrès des États-Unis. C’était un habillage de qualité puisque les Présidents des États-Unis, d’Ukraine et de la Fédération de Russie notamment en étaient les signataires mais cela restait un habillage.

La question se pose aujourd’hui exactement dans les mêmes termes ce qui ne devrait pas manquer d’amener à s’interroger. Pourquoi les États-Unis ont-ils refusé des garanties de sécurité nucléaires pour l’Ukraine alors qu’elle se conformait aux exigences occidentales en transférant réellement les armes nucléaires vers la Russie. Cette approche, comme cela a été souligné, était bi-partisane et engageait les Démocrates de Bill Clinton, Président à l’époque, et l’opposition républicaine.

Aujourd’hui, les Républicains, Donald Trump, tout comme hier les Démocrates, Joe Biden, se refusent encore à accorder des garanties de sécurité concrètes. Comment se fait-il que ce débat ne soit pas évoqué publiquement en France, tant par les politiques que par les médias. Comment résoudre favorablement le problème ukrainien en ne s’interrogeant pas sur le fondement même de la position américaine. On traite la question par prétérition et l’on propose courageusement des solutions qui ne peuvent être qu’insatisfaisantes – envoi de troupe au sol, état-major, armes conventionnelles, défense anti-aérienne, Rafales, etc.

Un des problèmes majeurs de ce conflit injuste par essence est que l’on a peut-être entretenu les Ukrainiens dans des illusions qui entraînaient une sorte de double peine pour Kyiv. Naturellement, si l’on en revient à la Realpolitik tout en se drapant dans les atours moraux que confère un engagement à une aide inconditionnelle que l’on sait ne pouvoir assumer pleinement, les Ukrainiens assurent aux prix du sang le prix de notre sécurité.

Ce problème majeur, celui des garanties de sécurité est loin d’être réglé au sein du monde occidental lui-même et l’on ne sait toujours pas officiellement pourquoi les États-Unis les refusent…

Le statut de l’Ukraine

Un autre problème que les éventuelles futures négociations auront à régler est celui du statut politique de l’Ukraine et de son armée. Là également un retour en arrière pour tenter d’éclairer la problématique paraît utile. Le 16 juillet 1990, la RSS d’Ukraine adoptait une « déclaration de souveraineté », prélude à une indépendance future mais présentée alors comme une revendication d’autonomie renforcée au sein du carcan soviétique. Deux requêtes doivent retenir notre attention, la première : la volonté de l’Ukraine dès lors d’être dénucléarisée ce qui est advenu, la seconde celle d’être neutre.

À l’époque, l’évocation d’une aspiration à la neutralité signifiait le souhait d’avoir un statut comparable à celui de la Finlande. Finlandisation signifiait disposer de l’ensemble des attributs de l’indépendance sauf en matière de politique étrangère. Dans ce domaine il fallait s’abstenir de critiquer l’Union soviétique et observer une stricte neutralité en diplomatie : pas d’entrée dans l’Otan, pas d’adhésion à la Communauté économique européenne (CEE). La Finlande a vécu sous ce régime depuis la fin de la guerre qui l’a opposée à l’URSS à l’issue de laquelle elle a perdu la Carélie en 1945. Depuis lors, elle a intégré l’Otan à la faveur du conflit russo-ukrainien. Il s’agissait d’un souhait exprimé de manière unilatérale par le Parlement ukrainien. La question n’a pas, à ma connaissance, été soulevée par la Russie lors de l’indépendance de l’Ukraine le 1er décembre 1991.

En ce qui concerne l’armée ukrainienne, sa formation a découlé du partage des armes et des troupes soviétiques, chaque État prenant à sa charge les troupes et les matériels militaires soviétiques déployés sur son territoire. En 1991, on comptait environ 700 000 hommes déployés en Ukraine. La question de la limitation des forces armées ukrainiennes ne s’est pas posée alors. Le véritable point de contentieux entre Kyiv et Moscou était l’attribution de la flotte de la mer Noire que la Russie considérait être stratégique et relevant de ce fait de son autorité. Le contentieux s’est poursuivi pendant plusieurs années avant d’arriver à un partage léonin en faveur de Moscou. D’ailleurs, le Président Kravtchouk, lors de son entretien avec le président de la République à Paris le 3 octobre 1991, a souligné que l’Ukraine, si elle renonçait à l’arme nucléaire entendait bien se doter d’une armée nationale conventionnelle de plusieurs centaines de milliers de soldats, environ 400 000 dans un premier temps pour éviter un problème social susceptible d’être engendré par une démobilisation brutale avant de se stabiliser à environ 200 000 hommes. Donc, sur le principe la Russie, tout en multipliant les embûches ne s’était pas opposée à l’existence d’une armée nationale ukrainienne robuste.

Enfin, la neutralité était perçue comme garant de la stabilité mais surtout comme une assurance pour Moscou de pouvoir intervenir en cas de nécessité. Il est clair que lors de son indépendance l’Ukraine avait un statut de pays finlandisé sans que cela soit expressément écrit. C’était le maximum que l’Occident, l’Otan, avait pu obtenir à la chute de l’URSS sans prendre le risque que ne soient remis en cause les acquis majeurs obtenus mais non consolidés alors, réunification de l’Allemagne, acceptation formelle, par traité de l’intégration de l’ex-République démocratique d’Allemagne (RDA) dans l’Otan, émancipation de toutes les Démocraties populaires qui à l’époque étaient encore occupées par l’Armée Rouge dont il fallait s’assurer le retrait en bon ordre échelonné sur plusieurs années et enfin indépendance formelle des Républiques fédérées composant l’Union soviétique. À cette époque, l’histoire n’était pas encore figée et les tentatives de la nouvelle Fédération de Russie dirigée par le Président Eltsine qui jouissait alors d’une réelle aura démocratique en Occident après la première élection au suffrage universel direct non contestée dans ce pays, étaient à prendre en compte. Eltsine a, en effet, tenté d’une part d’intimider l’Ukraine et essayé de reconstituer un système centralisé autour de la Russie, la Communauté des États indépendants (CEI). À l’époque, l’échec n’était pas consommé et une certaine prudence s’imposait donc pour consolider des acquis encore fragiles. Cela se résumait en deux formules ou deux sous-entendus non officiels : neutralité / finlandisation et non extension à l’est de l’Otan. Aucune de ces formules n’avait de valeur juridique formelle, il convient de le souligner, mais elles relevaient plutôt d’un accord tacite non dénué d’arrière-pensées ni d’ambiguïté. Aujourd’hui encore elles sont au cœur des futures négociations, l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan fait l’objet d’une opposition catégorique de Moscou qui a manifestement le soutien du Président Trump.

Adhésion à l’Union européenne

La neutralité semble faire l’objet d’une approche plus souple avec la possible acceptation d’une entrée de l’Ukraine dans l’UE. Il convient, cependant, d’être prudent. Les analystes qui stigmatisent le Président Poutine semblent ne pas pousser leur raisonnement au-delà d’un certain seuil. L’entrée de l’Ukraine va fragmenter l’Union européenne où des intérêts divergents sur l’agriculture, sur la lutte contre la corruption, sur le poids de l’aide à la reconstruction matérielle mais surtout morale du pays vont s’exprimer avec violence demain. De plus croire, comme on nous le présente à longueur de journée que la population ukrainienne est unie et démocratique c’est peut-être méconnaître des réalités de terrain. Le poids de cette intégration va donc fragiliser une Union européenne traversant déjà une crise financière, politique et diplomatique. Cette fragilisation fera non seulement le jeu des États-Unis, de la Chine mais aussi de la Russie. Il suffit de voir ses capacités d’intervention en Bulgarie, Roumanie, République tchèque et même Hongrie pour anticiper ce que cela risque d’être demain avec une Ukraine membre de l’Union européenne, dont le centre de gravité sera encore plus à l’est.

Là également, l’histoire se reproduit sans que l’on tire les leçons du passé. Le débat fondamental lorsqu’il s’est agi d’intégrer les pays de l’Est à l’Europe était l’opposition entre approfondissement et élargissement. Demain nous nous proposons d’élargir l’Union, ce qui est tout à fait légitime mais comme hier nous aurons fait l’économie de l’approfondissement. Ce travail de structuration de l’Union semble ne pas être pris en considération et ce d’autant plus que le paysage politique de l’Europe évolue en profondeur, avec la montée des extrêmes droites.

L’entrée de l’Ukraine dans l’UE serait une option qui permettrait de renforcer l’ancrage de ce pays à l’ouest mais le travail d’analyse semble limité et les risques de désagrégation demain pas réellement pris en compte, alors qu’il pourrait y avoir un réel danger menaçant la cohésion de l’institution européenne.

Le partenaire américain et solutions envisagées

Depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, les initiatives se sont multipliées sans avoir encore abouti. Nous sommes loin de la formule à l’emporte-pièce de la campagne électorale selon laquelle il résoudrait le problème en 24 heures. Cependant, il faut le relever, le Président américain a, à sa manière totalement déroutante pour des Européens, maintenu un certain cap tout en brouillant les pistes. Néanmoins, il ne semble faire guère de doutes que le Président Trump veuille résoudre ce conflit aussi rapidement que possible. Cela exclut donc par construction une adhésion à l’option maximaliste défendue par le Président Zelensky et ses partenaires européens dont la France en particulier. Il n’est manifestement pas envisageable à Washington de se lancer dans un programme d’aide militaire massif à l’Ukraine pour permettre à cette dernière de reconquérir l’intégralité des territoires occupés par les Russes. Les pistes ont été brouillées avec des messages qui ont immédiatement été répercutés et amplifiés dès lors qu’ils allaient dans le sens souhaité en Europe, sur les plus ou moins hypothétiques sanctions, la livraison éventuelle de missiles à longue portée, etc. La constante est claire : les États-Unis fournissent des armes payées au prix fort par l’Europe et garanties sur les terres rares ukrainiennes. Donald Trump qui s’est érigé en médiateur – position que l’Europe n’a pas revendiquée, peut-être à tort – est maître d’un jeu où il privilégie les intérêts américains. Peut-on le lui reprocher ? Nous ne sommes pas dans un monde parfait où la morale triomphe toujours. Nous sommes en politique et, de surcroît, en guerre, les erreurs ne se payent pas seulement cash, mais en vies humaines…

Toutefois, l’approche américaine ne se veut pas immorale pour autant. Elle se veut pragmatique et soucieuse d’épargner les vies humaines tout en ouvrant des voies vers la prospérité. Elle s’oppose à la vision européenne qui se veut dictée par la morale, l’agresseur ne doit pas être récompensé et donc il faut poursuivre le combat jusqu’à ce qu’il rende l’âme. Cela se fait, hélas, au prix du sang ukrainien sans aucune garantie de succès ; tel est le caractère cornélien du choix. C’est entre ces deux options que le Président Zelensky va devoir choisir, si tant est qu’on lui en laisse la possibilité ; mais là également, ne serait-il pas plus démocratique que le Parlement ukrainien soit plus ouvertement engagé ?

À Anchorage, le 15 août dernier, puis lors de leur échange téléphonique du 16 octobre, (le cinquième), il pouvait ressortir de l’analyse que Vladimir Poutine avait présenté à Donald Trump ses buts de guerre assortis d’une proposition d’échange de territoires. Ces objectifs, selon le Président turc, Recep Tayyip Erdogan, – qui lui également, à la différence de l’Europe est en position de médiateur – avaient été revus à la baisse puisque Moscou ne revendiquait plus l’intégralité des deux autres oblasts convoités, ceux de Kherson et de Zaporijjia…

De quoi s’agissait-il ? La Russie revendiquait l’intégralité des territoires des oblasts de Louhansk et Donetsk. Comme elle ne les contrôlait pas entièrement elle a fait part de sa détermination à conquérir l’intégralité de ces régions coûte que coûte et proposé un échange de territoires pour épargner des vies humaines. Cette offre a, semble-t-il été rejetée. L’analyse ne peut que conduire à un refus ukrainien épaulé par un soutien européen. Si notre position se comprend, comment le Président américain a-t-il jugé la situation ? Était-ce, comme le soulignaient les médias européens, Vladimir Poutine qui ne voulait pas négocier ou, en réalité, un refus ukrainien d’une proposition considérée profondément injuste ?

Aujourd’hui, les forces russes ont progressé, lentement mais sûrement, au prix de lourdes pertes pour les deux camps. La proposition d’échange de territoires va devenir caduque au prix de pertes importantes. La position de négociations de Kyiv pourrait s’être un peu plus dégradée. La question des autorités est de savoir si elles sont en mesure de renverser la situation à terme et à quel coût ?

Les États-Unis viennent de proposer un plan qui semble reprendre pour l’essentiel les revendications de la Russie, sans réellement s’engager sur des garanties de sécurité qui pour l’essentiel relèveront de l’Europe… Les projets d’armements de l’Ukraine avec des avions suédois de type Grippen et de Rafale français sont importants dans la mesure où ils préemptent le débat futur tant sur le volume de l’armée ukrainienne que sur les garanties de sécurité que pourrait apporter l’Europe.

Conclusion

Il reste à cocher la case de la cessation des hostilités sous la forme cessez-le-feu (peu probable) ou plan négocié sur lequel il appartient à l’Ukraine de se prononcer en ayant conscience de ses atouts et de ses handicaps. Si les Européens se doivent d’aider l’Ukraine, ils se doivent aussi d’être responsables et ne promettre que ce qu’ils peuvent réellement assumer au risque d’amener les autorités ukrainiennes à faire des erreurs d’analyse qui pourraient être fatales. Le principe de précaution qui a été un peu oublié devrait être présent à l’esprit de chacun.

Il faut constamment le rappeler la diplomatie est l’art du possible à défaut d’être celui du souhaitable. La communication n’est pas de la diplomatie, au contraire elle l’entrave et conduit à des impasses dont il est difficile de s’extraire… ♦

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