Préface
Juillet 2001, la frégate Guépratte appareille pour sa première longue traversée. Tristan et moi ignorions que s’ouvrait le journal de bord d’une relation franche et profonde, indissociable de la vie embarquée, façonnée par les quarts, les manœuvres, l’action, l’attente et de longues discussions, éclairés par les étoiles ou les lumières tamisées d’un bistro parisien. Là où l’essentiel remonte en surface.
Les liens s’ancrent à la faveur d’escales, dans la douce ébriété de fêtes maritimes estivales à Anvers, la mélancolie d’un dîner d’hiver au son du fado à Lisbonne ou encore le mordoré de la forteresse de La Valette en la fête de Saint-Jean.
Tristan embarque sur les bâtiments de la Marine nationale, comme d’autres partent en vacances, le sens du service chevillé au corps. Ces embarquements ont jalonné notre amitié, colorée par des échanges sur la marche du monde, la complexité des défis, l’insouciance du bon mot et toujours une intime complicité dans le décryptage des caractères humains.
Une capacité hors de normes à écouter pour comprendre, apprendre puis rebondir pour partager, est la marque de l’ami. Que ce soit dans le tumulte joyeux d’un carré ou dans la pénombre et l’intimité d’un aileron, il fait émerger les idées, les doutes et les espoirs de chacun. L’expérience combinée de l’enseignant, qui écoute pour transmettre, et de l’officier, qui écoute pour décider.
Généreux de ses connaissances, il convoque, par une mémoire fulgurante, les mots qui ont fait l’histoire, les subtilités des caractères ou l’articulation des grandes décisions. Mettant toujours en perspective l’action et reliant l’histoire au présent en montrant l’invariante transposition des leçons du passé aux défis contemporains. Réfutant l’éphémère, l’immédiat et l’appétit grandissant de notre monde pour la simplification.
Frappé par sa vivacité, son humour et sa curiosité, j’ai vite compris que son regard sur la mer allait bien au-delà de l’horizon : il y croise un miroir de l’histoire, un laboratoire du présent et une vaste pierre de touche de la vérité.
La mer, maîtresse sévère, révèle les hommes en pleins et en creux. C’est avec l’humilité de l’élève à l’école de la vérité que Tristan aborde les équipages, conjuguant exigence intellectuelle, rigueur et humanité. Il s’y mêle avec simplicité et un profond respect de chacun, partageant les tâches du bord, des plus banales aux plus joyeuses. Et en ressort avec une lecture, au fil tranchant, du moral de l’équipage, de la marche du bord et de la profondeur des caractères.
Une dimension humaine qui imprègne ses réflexions stratégiques : la puissance navale est avant tout une affaire de cohésion d’équipage, de profondeur d’âme, de culture maritime et de capacité d’innovation. Sous l’uniforme de l’homme de mer se cache le normalien, agrégé d’histoire, inspecteur général de l’Éducation nationale et membre de l’Académie de marine. Une pluralité qui donne à Tristan Lecoq une figure singulière, exercée à tisser théorie et pratique, analyse historique et action opérationnelle, recherche académique et réalité politique donnant à son travail une profondeur et une actualité saisissantes. Chacun de ses écrits révèle une facette de notre monde contemporain éclairant les débats stratégiques actuels.
Son approche globale et prospective illustre combien les conflits modernes, marqués par l’asymétrie, la rapidité et l’interdépendance, bousculent doctrines, outils et alliances, forçant les Nations à en repenser la cohérence. Tristan Lecoq ausculte en particulier le lien armées-nation, déformé par des décennies d’engagements lointains et par le recul de l’esprit de sacrifice, pour mieux tracer la place centrale de la défense comme pilier de notre souveraineté.
Par l’Éducation nationale, Tristan a servi la marine, les armées, la défense et la Nation avec une loyauté et une rigueur exemplaires, plaçant l’intérêt général au-dessus de tout. Son inlassable combat, souvent dans l’ombre, pour faire une juste place aux causes de la mer et de la défense dans la formation de nos élèves et étudiants restera son héritage.
Ce recueil est une traversée, un message. Tristan y transmet ce qu’il a appris de la mer, de la guerre, de la défense et des hommes. Il fait naître, de la plus épatante manière, de l’histoire une source d’enseignements pour l’avenir. Il invite à la réflexion, à l’action intelligente et au courage de la conduire. Retentit l’appel du large, l’envie de poursuivre cette navigation intellectuelle, d’échanger et d’avancer ensemble. Tristan rappelle que la stratégie, comme la navigation, est collective et il nous invite à appareiller et à relever les défis de la navigation par gros temps avec lucidité et détermination.
Dans un contexte géopolitique sombre et incertain où la France se heurte à de multiples menaces, les réflexions de Tristan Lecoq résonnent avec force et justesse. Celles-ci rappellent que la défense de la nation engage chacun, qu’elle requiert un surcroît de moyens, une vision et une volonté politique, sans jamais perdre de vue l’humain, celui qui, chaque jour, œuvre à notre sécurité sur terre comme en mer.
Je suis heureux et fier d’avoir été associé à ce projet, en tant qu’ami et lecteur admiratif. Puissent ces textes inspirer tous ceux qui les liront – marins, soldats, décideurs, citoyens soucieux de comprendre les enjeux de notre temps. Tristan, merci pour ces pages, pour cette force, pour ces idées, pour cette amitié née d’une longue traversée et qui, comme la rêve le marin, ne connaît pas de fin. Merci de continuer à naviguer, à penser et à écrire, c’est ce qui trace des sillages, montre le cap et prépare l’avenir.







