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  • Une lecture militaire et maritime du passé et du présent. Faire la guerre, assurer la défense, protéger la Nation – Tristan Lecoq
  • Ouvrir le feu à la mer. L’artillerie navale, les concepts d’emploi, les règles d’engagement (1815-1914)

Ouvrir le feu à la mer. L’artillerie navale, les concepts d’emploi, les règles d’engagement (1815-1914)

Tristan Lecoq, "Ouvrir le feu à la mer. L’artillerie navale, les concepts d’emploi, les règles d’engagement (1815-1914) " Une lecture militaire et maritime du passé et du présent. Faire la guerre, assurer la défense, protéger la Nation – Tristan Lecoq

Entre 1815 et 1914, la révolution industrielle transforme la construction navale : propulsion à vapeur, blindage et obus explosifs redéfinissent les navires de guerre et les engagements à la mer changent, après la guerre de Crimée et l'entrée en service de la frégate cuirassée La Gloire en 1860. Au tournant du XIXe siècle, l’innovation technique, la quête de la maîtrise de la mer et le jeu des puissances maritimes renforcent les rivalités entre États. La guerre sur mer est conçue en 1914 comme un engagement décisif à partir du combat d’escadres en haute mer où s’affrontent les dreadnoughts.

La mutation de la seconde moitié du XIXe siècle, en matière navale, prend place après deux siècles non d’immobilisme, mais d’évolutions lentes. Tout change avec le tournant des années 1860 : la propulsion à vapeur, les projectiles explosifs, la possibilité du blindage expliquent l’apparition du navire « cuirassé » de ces années-là, dans le contexte de la révolution industrielle.

Dès cette période, l’articulation entre l’artillerie navale, le blindage et la propulsion est décisive avec, en arrière-plan, l’évolution de la métallurgie, de la chimie, et de ce qu’on appelle les « inventions », en d’autres termes, plus modernes, de la recherche. Elle constitue la trame de cette étude. Elle trace une ligne de partage entre les marines, c’est-à-dire entre les États qui y consacrent les moyens de leur puissance.

En fin de période, des armes nouvelles, telles que la torpille ou le sous-marin, des techniques nouvelles telles que la télégraphie sans fil (TSF) appliquée aux communications, ou l’électricité appliquée à la manœuvre des canons, des instruments nouveaux tels que ceux qui permettent de régler, de coordonner, de contrôler le tir des canons à distance du bâtiment de ligne et des escadres contribuent encore à creuser les écarts.

L’évolution des opérations navales auxquelles se livrent les puissances navales est donc fonction de ces progrès techniques, militaires, humains, avec des conséquences sur le recrutement, la formation, l’emploi des états-majors et des équipages qui arment les bâtiments de guerre. À la fin du XIXe siècle, de nouveaux navires de ligne, dotés d’une artillerie et d’une puissance de feu considérable, font envisager et expérimenter des conflits à la mer et des engagements d’un genre nouveau. La relation dialectique entre l’artillerie, les opérations navales et la maîtrise de la mer s’en trouve renforcée.

L’étude se décomposera en trois moments.

De 1815 aux années 1850-1860, les opérations navales se déroulent en fonction d’une artillerie sans cesse perfectionnée, d’une propulsion qui progresse plus vite que l’armement, d’une forme de conservatisme dans la conception et l’exécution des règles d’engagement. La Crimée est un banc d’essai qui frappe d’alignement les bateaux en bois et à la voile ; la Gloire est le premier navire cuirassé, déclassant tous les autres ; penser un combat naval à la mesure de l’évolution technique s’avère cependant difficile.

De l’artillerie aux opérations. Les années 1860-1890 voient la puissance de l’artillerie décider des opérations navales : c’est le duel de l’obus et de la cuirasse. Les progrès de l’artillerie ont des conséquences sur la construction navale, la formation des hommes, les conditions d’emploi des navires. Les conceptions des batailles navales hésitent entre le primat de l’artillerie, de l’éperon et de la torpille. La composition des forces à la mer s’en ressent.

La période qui va de la fin du XIXe siècle à la Grande Guerre voit s’affirmer le triomphe de l’artillerie cuirassée et du combat d’escadres en haute mer.

Un modèle de navire de ligne incomparable, un modèle efficace de protection, un modèle achevé d’armement naît avec le « Dreadnought », en 1906. Résultat d’une équation entre types de navires de haute mer, types d’artillerie, types de protection et choix de la vitesse, résultante d’un champ de forces politique, militaire et industriel, le choix du dreadnought relance la course aux armements et creuse l’écart entre les marines.

En 1914, les marines de premier rang qui en disposent attendent et recherchent l’engagement décisif sur mer, comme les Armées de terre conçues et construites également en vue d’une offensive courte et définitive. Avec une conséquence essentielle : le retour de la guerre d’escadres et du combat en ligne de file, en haute mer (1).

De la voile à la Gloire : la révolution des opérations navales

Le « premier XIXe siècle » voit l’apogée et le déclin de la marine à voile. Un immobilisme apparent, les perfectionnements de l’artillerie navale et un cadre opérationnel assez proche de celui du XVIIIe siècle en sont les caractéristiques. La Crimée et ses leçons conduisent à la Gloire et au premier navire cuirassé.

La hiérarchie navale demeure la même, avec des vaisseaux divisés en deux catégories, en fonction du nombre des canons qu’ils portent. En matière d’architecture navale, les murailles droites accueillent des batteries plus vastes, si la tenue à la mer s’en ressent quelquefois. Le combat rapproché demeure cependant la règle, comme au XVIIIe siècle.

Le cadre opérationnel ne change guère : formation en escadres, écoles à feu, combat en ligne de file. Sur ces bâtiments de guerre, les deux postes les plus importants et les plus nombreux sont toujours la manœuvre et l’artillerie. Les progrès techniques ne viennent que difficilement contrarier une forme de conservatisme naval. À partir de 1837, les boulets creux, percutants ou incendiaires sont adoptés en France, grâce au général Paixhans. En 1838, l’attaque au canon de la forteresse de Saint-Jean d’Ulloa, au Mexique, montre leur redoutable efficacité et les effets dévastateurs, sur les murailles, des obus explosifs.

Toutefois, la protection des navires de ligne ne progresse pas aussi vite, malgré Paixhans en France, Drake en Angleterre, Stevens aux États-Unis. C’est la question de l’articulation entre le nombre des canons, une ceinture cuirassée rendue indispensable par la force destructrice de l’artillerie navale, mais trop lourde, et la métallurgie incapable de répondre, pendant près de vingt ans, à cette équation. Dans le même temps, la question de la propulsion se pose d’une façon à la fois séparable et non séparée de celles qui précèdent. Les réticences à l’égard de la machine à vapeur, sur les bords, sont connues : un poids trop important au regard d’un rendement insuffisant, des risques d’incendies bien réels, la question du rayon d’action et de l’approvisionnement en charbon. C’est dans ce contexte que le sujet des bases navales prend une nouvelle figure avec l’existence d’un réseau mondial de points d’appui dans l’Empire britannique et dans le monde, constitué aux XVIIe et XVIIIe siècles, ensuite conforté par l’Angleterre, pour la Royal Navy.

Jusqu’aux années 1850, la propulsion à vapeur n’a qu’un rôle auxiliaire dans les marines de guerre. Le Napoléon est le premier vaisseau de ligne conçu, construit et mis en service en 1853 dans la Marine française, dont la voile n’est plus que le mode secondaire de propulsion. Dû à l’ingénieur général Dupuy de Lôme, directeur des constructions navales, ses formes classiques, son gréement, la disposition de son artillerie en font cependant un frère de ceux qui le précèdent. Surtout, les règles d’engagement demeurent fondées sur un mode de combat : la canonnade au plus près, fonction de la portée et de la puissance de la seule artillerie embarquée. C’est Navarin !

La guerre de Crimée (1853-1855) constitue trois leçons pour la Marine : le primat de la vapeur, l’importance des opérations combinées et de la logistique, la puissance de feu de l’artillerie (2). Les effets destructifs des projectiles explosifs non plus sur les forts, mais sur les bâtiments, comme lors du bombardement de Sébastopol, le 17 octobre 1854, ou de Narva en juillet 1855 sont éclairants. Le Napoléon a sa coque percée. La canonnade par voie de mer, à distance, est inefficace et coûteuse. La protection s’impose.

Le programme naval de 1857, première ébauche de planification en matière d’effort naval, tire les leçons de la guerre. L’évolution concomitante des trois principales composantes des flottes de guerre modernes s’inscrit désormais dans une triple articulation : la propulsion – la machine à vapeur ; la puissance de feu – l’artillerie ; les capacités défensives – une cuirasse en fer, puis en acier. La loi de finances pour 1856 en est la preuve : « à partir du 1er janvier 1857, tout navire non pourvu d’une machine cessera d’être considéré comme un navire de guerre ». C’est ce qui s’appelle tirer rapidement les enseignements d’un conflit !

Mise en chantier en 1858 et en service en 1860, la frégate cuirassée la Gloire est également l’œuvre de Dupuy de Lôme. Jaugeant 5 600 tonnes, long de 78 mètres, ses machines de 900 chevaux lui permettent d’atteindre 13 nœuds aux essais. Une ceinture de fer forgé de 10 à 12 centimètres d’épaisseur, de part de d’autre de la ligne de flottaison, le protège contre les tirs d’artillerie. Surtout, une seule batterie bâbord et tribord de 36 canons de 160 m/m avec des obus explosifs qui perforent 12 centimètres de blindage à 800 mètres lui confèrent une puissance de feu incomparable.

Propulsion, blindage, artillerie : la Gloire déclasse, d’un coup, tous les bâtiments de guerre existants. La riposte britannique ne prend que quelques années, avec le Warrior et le Black Prince. Dès lors, la question de l’artillerie, des règles d’engagement et des opérations navales se pose. Quel type de combat, avec ces navires d’un type nouveau ? L’affrontement d’Hampton Roads, le 9 mars 1862, entre le cuirassé nordiste Monitor et le cuirassé sudiste Merrimack est indécis, comme leur tenue à la mer est improbable. Cependant, l’importance du blindage, l’utilité de la tourelle et le primat de la puissance de feu sont démontrés.

C’est bien une ère nouvelle qui s’ouvre avec les années 1860. De nouveaux types de navires, de nouveaux types d’armes, de nouveaux types d’opérations navales. L’accélération du tempo des innovations. Des bâtiments déclassés à peine entrés en service. Surtout, les dépenses liées à la Marine, en France et ailleurs, vont croissant, à la mesure des coûts des infrastructures industrielles, militaires et portuaires nécessaires. Il y a là un élément de différenciation entre les puissances, c’est-à-dire entre les États. Au cœur du sujet : le navire de guerre et son artillerie, instruments de puissance étatique par excellence, outil de pouvoir des armées navales et de ceux qui les commandent. Ultima ratio regum.

De l’artillerie aux opérations : la question de la puissance de feu

Bénéficiant non seulement de la confiance mais aussi d’une attention intelligente de l’empereur, avec des ministres compétents à la tête du département de la Marine (3), s’appuyant sur un corps d’officiers et d’ingénieurs de premier plan, c’est bien une nouvelle Marine qui naît, en quelque cinq années, de 1855 à 1860. L’effort est poursuivi jusqu’en 1870.

Le duel de l’obus et de la cuirasse s’engage sous le Second Empire et domine les années 1860-1890. Progrès de l’artillerie, de la construction navale, de la formation des équipages et des états-majors. Impasses des opérations navales. Interrogations tactiques, conséquences sur la composition des forces à la mer et retour du primat de l’artillerie.

La course au calibre commence par la Marine du Second Empire. Canons de 160, 190 et 274 m/m, chargés par la culasse dès 1860, contrairement à ceux de l’Armée de terre. Au même moment, les canons en service dans la Royal Navy se chargent jusqu’en 1881 par la bouche, suivant une manœuvre délicate et compliquée qui consiste à placer la pièce en position négative, pour que des bras hydrauliques y introduisent l’obus !

Le poids croissant de l’artillerie et du blindage entraîne la réduction du nombre de pièces et de la surface blindée. Plutôt qu’un réduit intégral uniformément protégé, les ingénieurs français construisent des bâtiments pourvus d’un réduit central, bien plus fortement protégé que le reste du navire et des tourelles-barbettes à ciel ouvert, du type de la frégate cuirassée L’Océan en service en 1872. En 1873, les Britanniques mettent en service le Devastation : une silhouette sobre, sans mât, jaugeant 9 500 tonnes, avec un rayon d’action de 5 000 nautiques. Les deux premières marines de guerre mondiales suivent une course parallèle jusqu’aux années 1880-1885.

Cet ensemble de perfectionnements : propulsion, artillerie, mécanisation des tâches ont des conséquences sur le recrutement et la formation des hommes, états-majors et équipages. L’artillerie, la machine, la manœuvre du bâtiment exigent des spécialistes : officiers, officiers mariniers, marins. Le recrutement, la formation, l’encadrement et l’entraînement sont modifiés en profondeur. Officiers servant à la passerelle et officiers servant à la machine ; officiers de manœuvre, artilleurs, ingénieurs… Pour les officiers mariniers, quartiers maîtres et marins, le recrutement traditionnel parmi les populations maritimes ne suffit plus : mécaniciens, chauffeurs, électriciens, servants de pièces d’artillerie complexes… du gabier à l’ouvrier d’usine, c’est une autre compétence, un autre état d’esprit, une autre manière de les commander, aussi.

L’apparition de navires de ligne de plus en plus lourds, de plus en plus armés, avec des calibres de plus en plus gros se lit à la mesure de l’augmentation du poids des canons, des projectiles et des blindages. La poudre noire, dite « brisante », limite la vitesse initiale. Seuls les poids des obus et des canons augmentent vraiment. Ainsi du cuirassé italien Lepanto, avec des canons de 450 m/m dont la tourelle pèse 100 tonnes ; la protection ne peut suivre, l’artillerie non plus. La cadence de tir est, au mieux, d’un coup toutes les 10 minutes ! Un coup au but sur ces bâtiments et c’est terminé.

En 1885, l’amiral anglais sir George Elliot s’interroge sur les engagements au canon. Il évoque, à l’appui de ses doutes, l’éperon et la torpille. Armes nouvelles ou nouvelles armes ? La bataille de Lissa, le 20 juillet 1866, avait vu la flotte autrichienne triompher à l’abordage de la flotte italienne, au demeurant mieux pourvue en canons modernes. Suivent vingt ans de « fascination rostrale » et vingt ans de ligne de formation en ligne de front et non plus en ligne de file. L’éperonnage cause pourtant plus d’abordages accidentels, en temps de paix, que de victoires à la mer.

La clé des opérations navales reste la portée des armes, non la rupture par le combat rapproché. Celle des canons ne cesse d’augmenter : 5 000 mètres en 1870, 10 000 mètres en 1890, 20 000 mètres en 1910. Celle des torpilles également. Mise au point par Whitehead en 1865, la torpille ne cesse d’être perfectionnée : 7 nœuds de vitesse pour une portée de 1 000 mètres en 1877, 15 nœuds à 5 000 mètres en 1900, 25 nœuds à 15 000 mètres en 1910, avec une charge explosive de 170 kilogrammes.

Au même moment donc, dans les années 1880-1890, se conjuguent les très gros calibres, l’éperon et la torpille. La constitution des forces à la mer et la tactique navale en subissent le contrecoup.

L’amiral Aube publie ainsi en 1881 un texte intitulé La guerre maritime et la défense des ports français dans lequel les « tirailleurs maritimes » nombreux et rapides doivent couvrir et permettre la sortie des escadres, croiseurs et cuirassés. L’amiral Fournier y ajoutera, dans les années 1890, les croiseurs cuirassés, véritables « corsaires de haute mer », pour s’attaquer au commerce ennemi. La guerre navale du futur, vulgarisée par la presse, prendra pour un temps le visage de la « Jeune école ». À partir des années 1885-1890, la France construit 200 torpilleurs de défense mobile et des cuirassés, cuirassés garde-côtes, croiseurs cuirassés, croiseurs protégés, croiseurs « de station lointaine »… une flotte d’échantillons.

Dès les années 1885-1895, la Royal Navy s’adapte à ce contexte mouvant. Contre les torpilleurs, des destructeurs de torpilleurs : les destroyers et des canons à tir rapide sur les bâtiments de ligne. Colonne vertébrale de la marine britannique, le Naval Act de 1889 lui confère, de plus, une inscription dans la durée de l’effort financier, lui accorde de surcroît des séries de bâtiments longues et homogènes du type Royal Sovereign et Majestic, conforte enfin le navire de ligne et sa puissante artillerie comme le cœur de la composition de la flotte de guerre anglaise, qui doit être en mesure d’affronter en même temps les deux plus grandes marines de guerre après elle, c’est le Two-Powers Standard.

Le triomphe de l’artillerie cuirassée et du combat d’escadre

La fin du XIXe siècle voit se dessiner un équilibre dans la composition des forces navales, dû à des innovations techniques en chaîne, et aboutit à un modèle achevé d’armement, de protection, de navires. La modernité et les leçons des engagements navals, les tensions internationales, la course aux armements navals conduisent à la mise en service d’un bâtiment révolutionnaire : le Dreadnought et au triomphe de l’artillerie cuirassée, du combat d’escadres en haute mer et de la puissance navale.

Une série d’innovations techniques en chaîne marque le tournant du XIXe siècle. Elles sont dues aux progrès de la chimie, de la métallurgie et de la balistique. Allongement des tubes, vitesse initiale des obus construits en acier spécial (1883) qui passe à 600, puis 900 m/s., cadence de tir qui augmente : les énormes canons des années 1880 tirent un coup tous les quarts d’heure ; en 1905, les 305 m/m tirent un coup toutes les trois ou quatre minutes ; un par minute en 1914. Mécanisation des procédés de chargement, freins hydrauliques, tourelles mues à l’électricité (1893) s’ajoutent à ces innovations.

Pour un navire cuirassé, un modèle achevé d’armement obéit désormais à une logique ternaire : les pièces d’artillerie principale, en deux tourelles, simple ou double, avant et arrière, pour couler les bâtiments adverses ; l’artillerie moyenne, de 138 ou 152 m/m, qui tire à plus de dix coups par minute dans les hauts et sur les ponts moins bien protégés ; les pièces légères à tir rapide de 37, 47 ou 76 m/m (75 pour la marine), pour arrêter les torpilleurs.

Dans le même temps, un modèle nouveau de protection, à base d’aciers spéciaux permet de réduire l’épaisseur des blindages et d’étendre celui-ci à l’ensemble de la coque et du pont blindé. Le cloisonnement par « tranche » fait son apparition. La propulsion connaît aussi et au même moment les progrès dus aux turbines qui remplacent les machines alternatives, avec des vitesses qui atteignent 23 nœuds pour les navires de ligne. En toute fin de période, le mazout permet de doubler le rayon d’action des bâtiments, de constituer plus facilement des stocks, de « marcher » plus souplement à la mer et de diminuer les très indiscrètes fumées. Avec une conséquence essentielle : la distance de combat s’accroît, passant à plusieurs milliers de mètres au début du XXe siècle.

Les conflits des années 1894-1905 sont riches d’enseignements. La bataille du Yalou, le 11 septembre 1894 entre la Chine et le Japon démontre l’efficacité de la ligne de file japonaise dont le feu se concentre sur les bâtiments chinois. Il en est de même à la bataille de Tsushima (27-28 mai 1905) où la 1re division de ligne russe, formée en ligne de front puis en ligne de file parallèle est écrasée par le corps de bataille japonais qui lui « barre le T » en concentrant un tir cinq fois plus rapide et plus précis sur l’avant de la flotte russe.

La ligne de file permet ainsi de concentrer le tir de l’artillerie principale et d’accabler la tête de la ligne adverse. Elle suppose une construction, un armement et une constitution les plus uniformes possibles des bâtiments et des escadres : vitesse d’évolution, homogénéité des calibres et des portées, discipline et concentration du tir, non seulement des bâtiments, mais de l’escadre toute entière sont liées.

À partir des années 1890-1895, l’Angleterre (Barr and Stroud) et l’Allemagne (Zeiss) étudient le télémètre et en 1905, sir Percy Scott met au point le télépointage. Apprécier les distances, calculer les données en fonction de la portée et de l’efficacité et transmettre les informations aux tourelles permet de suivre l’objectif, d’exécuter les changements de but rapidement, de concentrer le tir à la demande. Le Fire director, système de conduite de tir centralisé de l’artillerie principale, est installé sur les plus puissants cuirassés britanniques en 1912. Contrôle de tir en poste central, deux postes de télémètre avant et arrière, deux conduites de tir avant et arrière, puis délégation de tir aux tourelles.

C’est dans ce contexte qu’est conçu, construit et mis en service, en 1906, le Dreadnought. Il est le résultat d’un champ de forces, du contexte économique, financier, politique du Royaume-Uni et du cadre mouvant des alliances et du jeu des puissances. L’Entente cordiale avec la France n’a, en 1904, aucune conséquence en matière navale. Au Royaume-Uni, le tournant de 1905 qui voit la Kaiserliche Marine dépasser la Marine nationale n’est pas perçu. Tsushima, c’est la victoire de l’allié japonais et l’effacement de la Russie.

Les leçons de la relation entre l’artillerie, la protection et la puissance, l’existence de chantiers privés innovants, performants et liés à l’État en un « Naval Industrial Complex », la nécessité de ne pas laisser l’initiative des innovations à l’Armée de terre en cours de rénovation après la guerre des Boers se conjuguent cependant pour donner la priorité à un navire de ligne qui déclasse, dès 1906, tous les autres : le Dreadnought. Son nom devient commun.

Son artillerie principale de 10 pièces de 305 m/m en tourelles double en fait un « All Big Gun Ship » dont la puissance de feu est supérieure de 200 % au plus puissant des navires de ligne. Sa propulsion repose sur des turbines Parsons qui lui autorisent une vitesse de 23 nœuds aux essais. Sa protection est au niveau de sa puissance de feu.

Déclassant d’un coup ceux que l’on n’appellera plus que des pré-dreadnoughts, il lance la véritable course aux armements navals. Entre les puissances navales qui comptent : l’Angleterre et, désormais, l’Allemagne. La Marine nationale manque la révolution du dreadnought. Les cuirassés conçus, construits et mis en service jusqu’en 1913 sont dépassés au mieux lors de leurs essais. Formes rentrantes et pièces surélevées, mâts militaires, armement hétéroclite de pièces de 305, 274, 138, 100, 47 m/m quelquefois réunies sur le même bâtiment comme le Bouvet (1909). Même la série des six Danton, plus homogène, n’échappe pas à la critique avec ses quatre pièces de 305 et ses douze pièces de 240, en 1911 !

Seuls bâtiments du type Dreadnought, les Courbet, dont le premier est admis au service actif en 1913. Ce sont de bons navires de guerre, modernes, mais leur tonnage, leur protection, leur vitesse et leur armement (douze canons de 305 m/m en tourelles double) sont plus faibles que ceux des Anglais et des Allemands. La hausse des canons est bloquée à 12 degrés, limitant leur portée à 12 000 m (Beatty au Dogger Bank tire à 20 000 m !). Quand on passera à 23 degrés de hausse, la portée passera à 26 300 mètres.

Conclusion

De Tsushima au Jutland, l’articulation entre le type de bâtiment, le combat d’escadre et la ligne de file, pour « barrer le T » de l’escadre adverse en concentrant le tir sur la tête de sa ligne, est au cœur des réflexions des marins. Calibre unique et nombre des pièces de l’artillerie principale. Protection de bâtiments de ligne faits pour endurer et pour durer. Distances des engagements qui rendent nécessaires le « Fire Control », c’est-à-dire la mise en cohérence du tir d’un bâtiment et le « Fire Direction », c’est-à-dire l’estimation, la distance, la concentration des feux d’une escadre. Renseignement tactique à la mer, manœuvre d’escadre et ouverture du feu concentré sont liés.

Le choix du Dreadnought résout, en fait, en Angleterre, bien des contradictions. Il conduit à la rationalisation des productions industrielles, à la centralisation des constructions, à la préservation des capacités scientifiques et techniques au sein d’un « Naval Industrial Complex » qui comprend près de la moitié de chantiers privés d’excellente qualité, des ouvriers affiliés aux Trade Unions, des carnets de commandes à remplir : les dreadnoughts ont besoin de 12 canons de 305 m/m, là où deux ou quatre équipaient les navires de ligne.

À partir des années 1906-1910, l’adoption d’un modèle unique de bâtiment de ligne, d’un modèle unique d’artillerie principale débouche sur un concept d’emploi unique : la ligne de file, le combat d’escadre, l’engagement décisif. Sans séries longues, sans bâtiments homogènes, sans artillerie puissante et feux concentrés, pas de ligne de file, pas de combat d’escadre, pas d’engagement décisif. Tout se tient. Des armes nouvelles comme le sous-marin ou l’avion pourraient bien contredire le canon ? Des menaces intéressantes, peut-être sérieuses, mais pas immédiates.

C’est la bataille en haute mer, au canon, qui commande tout. Ce sont l’artillerie cuirassée et son emploi qui donneront la victoire. C’est bien la guerre navale que les puissances attendent, en 1914 : courte et décisive. ♦


(1) Cet essai de synthèse s’appuie, pour l’essentiel, sur les ouvrages suivants : Nicolas Louis et Reussner André, La puissance navale dans l’histoire (t. II « De 1815 à 1914 »), Éditions maritimes et d’outre-mer, 1974 ; Masson Philippe, Histoire de la marine (t. I « L’ère de la voile » et t. II « De la vapeur à l’atome »), Lavauzelle, 1992 ; Masson Philippe et Battesti Michèle, La révolution maritime du XIXe siècle, Service historique de la Marine et Lavauzelle, 1987 ; Marine et technique au XIXe siècle, Actes du colloque international (Paris, 10-12 juin 1987), Service historique de la Marine et institut d’histoire des conflits contemporains, 1988 ; Battesti Michèle, La Marine de Napoléon III. Une politique navale, Service historique de la Marine, 1997 ; Ropp Theodore, The Development of a Modern Navy. French Naval Policy 1871-1904, Naval Institute Press, 1987 ; et Lambert Nicholas A., Sir John Fisher’s Naval Revolution, South Carolina University Press, 2002.
(2) Lecoq Tristan, « Un avant et un après. La guerre de Crimée et l’évolution des flottes de guerre », RDN, n° 846, janvier 2022, p. 111-116 (https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=22784&cidrevue=846).
(3) En quelque vingt ans, quatre ministres de la Marine se succèdent : Jean Étienne Théodore Ducos (1851-1855), l’amiral Alphonse Ferdinand Hamelin (1855-1860), Justin Napoléon Prosper, baron de Chasseloup-Laubat (1860-1867) et l’amiral Charles Rigault de Genouilly (1867-1870).

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Toutatis, une démonstration fédératrice au service de l’innovation spatiale française

12-12-2025

Démarrage de la chaufferie nucléaire du SNA De Grasse

09-12-2025

La Croatie commande 18 Caesar 6x6 MkII et 15 véhicules blindés Serval

03-12-2025

Le GAA (2S) Luc de Rancourt élu président du CEDN – Directeur de la publication de la RDN

01-12-2025

Lancement réussi de la 6e mission de Vega C – Succès de la mise en orbite de KOMPSAT-7

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La Revue Défense Nationale est éditée par le Comité d’études de défense nationale (association loi de 1901)

Directeur de la publication : Thierry CASPAR-FILLE-LAMBIE

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