Le souci de maintenir l'idéal du service dans sa primauté traditionnelle ne saurait aboutir à méconnaître l'aspect statutaire de la carrière des militaires ni à ignorer les évolutions rendues nécessaires par l'environnement du monde moderne dans lequel ils sont appelés à servir. C'est pour répondre à ce souci de modernisation que le ministre d'État chargé de la Défense nationale dépose devant le parlement un projet de loi portant statut général du personnel militaire, projet qui a été examiné en Conseil des ministres le 2 février. L'auteur, le contrôleur des armées, a suivi les études qui ont abouti à ce projet.
Perspectives actuelles de l'évolution de la fonction militaire en France
Le rôle de la vocation dans le choix de l’« état militaire » est, périodiquement, l’objet d’une sorte de querelle des anciens et des modernes. Pour les uns, la conception traditionnelle, selon laquelle un militaire ne peut remplir sa fonction que s’il est animé d’une véritable vocation, n’a rien perdu de son actualité : elle est seule capable de faire accepter les plus grands sacrifices et apporte à la jeunesse cet idéal qui lui est si nécessaire. On en tire, quelquefois, argument pour affirmer une sorte d’obligation de désintéressement vis-à-vis des conditions matérielles de carrière. Pour les autres, les changements sociaux et les bouleversements techniques font des militaires, de plus en plus, des agents publics comme les autres et leurs problèmes de métier ne sont pas différents de ceux de l’ingénieur ou du fonctionnaire.
On peut se demander s’il ne s’agit pas là d’une fausse querelle : on ne saurait contester ni la réalité des phénomènes sociologiques qui font que le service de l’État est assuré, de façon plus générale que par le passé, par des personnes qui ne disposent d’autres revenus personnels que ceux de leur travail, ni le rôle essentiel de la vocation dans l’acceptation totale du service de la Nation au moment du choix de l’état militaire et tout au long de la vie active. Ce serait d’ailleurs une erreur que d’opposer sur ce dernier point civils et militaires : « l’État n’est pas un employeur comme les autres, c’est un honneur et une vocation de servir la Nation. Le travail du fonctionnaire ne doit pas être animé par le profit personnel, il mérite considération en raison même de ce désintéressement » (1).
En fait, la nécessité d’une vocation n’a jamais exclu les ambitions de carrière : elles ont toujours reflété, au sein d’une société très hiérarchisée comme la société militaire, le souci légitime de ses membres d’assumer les responsabilités dont ils se sentent capables. De plus, avec le développement des services publics, s’est affirmée l’idée que l’État doit assurer à ceux qui choisissent de consacrer leur vie à son service une « carrière » comportant un développement régulier, des garanties de stabilité, de niveau de vie décent et des débouchés satisfaisants. Cette idée constitue, en France, le fondement des divers statuts régissant les agents publics dont les militaires font partie. La notion de carrière présente donc pour ces derniers une certaine ambiguïté dans la mesure où elle définit à la fois la réalisation d’une vocation et le fondement d’un régime statutaire. Mais n’est-ce pas précisément la raison d’être d’un statut — entendu au sens large comme l’ensemble des règles protectrices ou contraignantes qui régissent la situation du personnel appartenant à une certaine catégorie — de concilier les intérêts de l’État et ceux de ses agents ? Dès lors, le souci de maintenir l’idéal du service à accomplir dans sa primauté traditionnelle ne saurait aboutir à méconnaître l’aspect statutaire de la carrière des militaires ni à ignorer les évolutions nécessaires en ce domaine.
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