Défense dans le monde - Après le nouveau coup d'État en Afghanistan - Le Sahara occidental et le désengagement mauritanien - La Grèce : problèmes actuels de défense - États-Unis : un système d'armes antisatellites - Canada : programme d'équipement et défense du Grand Nord - The Military Balance 1979-1980
Après le nouveau coup d’État en Afghanistan
Le coup de théâtre qui a marqué l’accession d’Hafizullah Amin à la tête de l’État, du gouvernement et de l’armée afghans s’est produit dans la plus grande confusion. Quelles en sont finalement les raisons et la portée ?
Il semble bien que les raisons soient personnelles. Même si l’échec de la politique de M. Taraki était patent, son remplacement par M. Amin n’est pas vraiment de nature à résoudre les problèmes. Le nouveau président est un partisan « dur » de la révolution et de l’alignement sur le modèle soviétique (tout au moins jusqu’à maintenant). La libération de quelque 200 prisonniers politiques et l’amnistie octroyée à ceux qui se sont volontairement exilés sont des concessions tactiques, dont le but est de faire accepter la révolution et le nouveau régime ; d’ailleurs les principaux chefs de la résistance ne s’y sont pas trompés et ont refusé toute négociation avec le nouveau gouvernement. L’ambition de M. Amin, reconnu comme l’homme fort du nouveau régime, a été l’élément moteur des récents événements ; même si la surprise a joué dans les deux camps, l’initiative est restée à celui qui – pressentant peut-être l’intention des Soviétiques de changer l’équipe en place – a saisi l’occasion et bénéficié d’une certaine chance : il avait d’ailleurs su placer aux postes clés des forces armées des hommes qui lui étaient acquis. Apparemment, les calculs de M. Amin étaient bons.
Les conséquences immédiates de ce changement de têtes sont minces : M. Taraki, mort ou vivant, ne dirigeait plus vraiment et avait perdu la confiance des Soviétiques – lesquels, ne l’oublions pas – contrôlent à la fois l’économie et l’armée. Les quelques concessions faites à Moscou pour retrouver les faveurs de la population n’ont pas fait illusion et les dirigeants soviétiques sauront exiger des résultats plus probants ; les félicitations adressées à M. Amin se sont accompagnées d’un bruit de bottes significatif à la frontière. Tout reste donc à faire en ce qui concerne l’URSS.
Quant à l’armée, elle est de moins en moins nationale : les renforts en conseillers et en matériels soviétiques le montrent. Ils ont en outre l’inconvénient d’accroître encore la puissance des militaires et d’en faire, plus que jamais, les seuls arbitres de la situation. Que ces nouveaux chefs aient une ambition égale à celle de M. Amin et ce sera, à nouveau, l’aventure ; ce sera pourtant plus difficile, la vigilance du grand voisin et allié étant renforcée désormais. Que les troupes (les jeunes effectuant leur service national sont un élément non négligeable et dont le sentiment profond reste la principale inconnue du problème) sur le terrain – trompant leur état-major et leurs cadres étrangers – répondent aux appels de l’Islam et rallient massivement les rebelles, et le régime sera balayé.
Mais alors Moscou n’aura plus le choix qu’entre une intervention directe accompagnée d’une occupation massive, de longue durée, et une évacuation de ses troupes, après la mise en place d’un régime islamique nationaliste. L’avantage stratégique acquis le 17 avril 1978 serait alors perdu pour un temps indéterminé, la méfiance de toutes les parties restant grande.
Le Sahara occidental et le désengagement mauritanien (août-septembre 1979)
Le 5 août 1979, le gouvernement mauritanien parvient au terme des efforts déployés pour obtenir son désengagement d’un conflit dans lequel le pays est plongé depuis près de quatre années.
Cet événement clarifie une situation ambiguë (cessez-le-feu décidé unilatéralement par le Front Polisario en juillet 1978) et laisse face à face dans l’immensité du théâtre d’opérations du Sahara occidental (260 000 km2, 1 000 km en longueur, 2 à 300 km en largeur), le Royaume chérifien et le Front Polisario (Front populaire pour la libération du Saguia el Hamra et du Rio de Oro). Les deux adversaires sont décidés à mener la dernière phase d’une lutte qui, de jour en jour, allie les caractères d’une guerre révolutionnaire à ceux des combats classiques.
Tandis que la Mauritanie se met en quête des assurances garantissant sa sécurité, le Maroc procède au redéploiement de son dispositif et l’Armée de libération du peuple saharoui poursuit l’offensive « Houari Boumédiène » et porte à son adversaire des coups sévères. En arrière-plan se profile toujours l’antagonisme sous-jacent entre Alger et Rabat.
Par l’accord de paix signé le 5 août à Alger, la Mauritanie « déclare solennellement qu’elle n’a et n’aura pas de revendications territoriales ou autres au Sahara » et « décide de sortir définitivement de la guerre injuste ». De son côté, le Front Polisario affirme, en termes identiques, qu’il n’a pas de revendications territoriales sur la Mauritanie. Les limites géographiques des territoires concernés ne sont toutefois pas expressément définies.
Le gouvernement de Nouakchott espère maintenant entrer dans une ère de paix et résoudre les problèmes d’un développement longtemps freiné par le conflit. Le 20 août, l’administration et l’armée mauritaniennes achèvent l’évacuation du Tiris el Gharbia, cet héritage empoisonné de la décolonisation espagnole.
Pour Nouakchott, il s’agit, désormais de se tenir à l’abri des ricochets d’un combat qui continue à sévir le long de ses frontières. Les confins Nord-Est de son territoire s’enfoncent en coin entre le Sahara occidental et l’Algérie et demeurent une voie de communication entre la zone des combats et le sanctuaire algérien de l’Armée de libération. Pour cette dernière, en outre, la tentation peut être grande de trouver refuge en Mauritanie même, dans le cas d’une trop forte pression marocaine, situation qui pourrait servir à Rabat de prétexte pour exercer un droit de poursuite.
L’assistance de la France et l’espoir qu’Alger saura modérer son belliqueux protégé, sont les deux seuls recours sur lesquels peut compter Nouakchott.
Dès le 29 août, prenant acte de la situation nouvelle, le Gouvernement français déclare qu’il « estime que l’indépendance et la souveraineté de la Mauritanie doivent être reconnues et respectées par la communauté internationale » et que la France est « prête à examiner le concours qu’elle peut apporter » au gouvernement mauritanien. Du 17 au 20 septembre, le Premier ministre mauritanien se rend en visite à Paris. Il reçoit de la part de la France l’assurance de son appui diplomatique, de son aide dans le domaine économique et de son assistance militaire pour la réorganisation des forces mauritaniennes. La Mauritanie s’engage ainsi dans une période difficile que troublera ou non la seule volonté des deux partis belligérants.
Réagissant avec rapidité devant une situation nouvelle bien que prévisible, le gouvernement de Rabat proclame le rattachement à la couronne du Tiris el Gharbia, sous le nom d’Oued ed Dha-bah, et organise à Dakhla une cérémonie d’allégeance à l’autorité royale. L’occupation militaire du territoire demeure toutefois toute théorique et se limite à celle du chef-lieu.
Le 23 août, Nouakchott dénonce l’accord de défense commune qui depuis 1977 liait les deux alliés. Durant la première quinzaine de septembre, les troupes marocaines (4 à 5 000 hommes) installées en Mauritanie évacuent leurs positions de Nouadhibou, Atar et Zouerate. Au 1er octobre demeure encore à Bir Mog-hrein un élément de la valeur d’un bataillon.
Rabat attend d’un recrutement nouveau et de la remise en condition des troupes rapatriées du Shaba la possibilité de renforcer son nouveau dispositif. Le commandement ne semble pas avoir trouvé, pour autant, les formes de parade et de riposte aux actions de l’ALPS. L’éternel problème de la contre-guérilla dans un contexte de guerre révolutionnaire, avec son triple volet, psychologique, politique et militaire, se pose à Rabat en termes connus. La nécessité de conserver les points forts et de protéger les lignes de communications, tout en disposant de formations mobiles adaptées au milieu géographique et aux possibilités de l’adversaire, ont conduit l’armée marocaine, depuis deux ans déjà, à créer des « commandos de la Marche Verte », entièrement motorisés et puissamment armés. L’efficacité de ces nouvelles formations n’a cependant pas totalement répondu aux espérances. L’éloignement et l’immensité du théâtre d’opérations posent également un problème de conservation du moral, qu’une guerre d’usure risque fort d’amplifier.
Face à un adversaire possédant une parfaite connaissance du terrain, disposant d’une surprenante mobilité et d’une forte puissance de feu, il semble manquer aux troupes marocaines des possibilités aériennes d’investigation et d’appui, ainsi qu’une capacité d’aéromobilité.
Gagnant sur le plan diplomatique, à Monrovia (16e Sommet de l’Organisation de l’unité africaine ou OUA du 17 au 19 juillet) comme à Alger, le Front Polisario a donc réussi à faire éclater la coalition de circonstance qui s’opposait à ses ambitions. Combinant ouverture politique et opérations militaires, il invite Rabat à négocier sous l’égide de l’OUA à Bamako et relance des actions en force jusque sur le territoire chérifien. Coup sur coup, l’ALPS harcèle, ou attaque, Smara, Lebouirat, Bir Anzaran, Lebouirat encore, Zaag, Lemsied, Smara et Bir Azaran une seconde fois. Les moyens mis en œuvre sont toujours plus forts et plus nombreux, et les pertes marocaines, plus élevées. Complétant ces succès militaires, le Front entreprend une action psychologique et ouvre le champ de bataille aux journalistes qui constatent les effets des combats.
Pour le Front, l’automne 1979 s’ouvre donc sur de bonnes perspectives. S’il a en main la possibilité de supporter une longue guerre d’usure, il devra probablement, dans les mois à venir, s’attendre à supporter les effets de l’effort de guerre marocain. Dans ces conditions, se posera pour lui le choix d’une tactique. Poursuivre des opérations d’envergure mettant en œuvre des moyens lourds le placera dans l’obligation de dévoiler son système logistique qui deviendra ainsi vulnérable. Diminuer le volume des actions spectaculaires et faire retour aux procédés classiques de la guérilla prolongeront le conflit et retarderont sa solution finale.
Cet été semble avoir donc marqué un tournant important dans l’évolution du conflit du Sahara occidental. Une phase nouvelle s’est ouverte, imposant aux deux protagonistes un long et dur effort sur le terrain même des combats. L’un et l’autre, toutefois, ne peuvent échapper à l’internationalisation du conflit et à ses conséquences politiques. Les instances internationales (actuelle session de l’ONU) seront appelées à se prononcer et auront peut-être une influence bénéfique sur une lutte qui porte en elle tous les germes d’une longue durée et d’une extension possible.
La Grèce : problèmes actuels de défense
Limitée par la Turquie à l’est, entourée au nord et à l’ouest par la Bulgarie, la Yougoslavie et l’Albanie, baignée par les mers Ionienne, Égée et Méditerranée, la Grèce constitue un enjeu géostratégique d’une extrême importance. Les problèmes de sa défense en découlent.
Consciente des menaces potentielles qui pèsent sur elle, elle a entrepris depuis quatre ans un effort de défense considérable (c’est le pays de l’Alliance atlantique dont l’effort de défense, toutes proportions gardées, est relativement le plus élevé : 6,7 % de son PIB), alors même que les vicissitudes de sa politique étrangère l’ont amenée à se retirer officiellement de l’organisation militaire intégrée de l’Alliance atlantique (elle fait partie de l’Alliance depuis 1952), le 14 août 1974, après l’invasion de l’île de Chypre par les forces turques.
Toutefois, elle sait qu’elle ne peut concevoir une défense valable que dans le cadre plus large de l’Alliance, avec l’aide de ses partenaires, en particulier avec celle des États-Unis.
Même si l’Otan n’apporte pas une solution à tous les problèmes, la réintégration de la Grèce dans l’organisation a été vivement souhaitée par les dirigeants d’Athènes, mais pas à n’importe quel prix.
La Grèce a donc demandé sa réadmission, pour le principal, sur la base du statu quo ante 1974, c’est-à-dire sur la base d’une situation dans laquelle la totalité du contrôle maritime et aérien en mer Égée, à l’exception de l’espace maritime et aérien légitimement turc, relèverait du commandement d’Athènes. En outre, elle désirerait bénéficier d’un statut privilégié qui permette à ses forces armées de rester, en temps de paix, uniquement sous commandement national mais, en période de crise et en temps de guerre, de dépendre simultanément du commandement suprême allié. Par ailleurs, elle fait de son retour un préalable à toutes discussions ultérieures éventuelles concernant les délimitations de nouvelles zones de commandement, étant bien entendu qu’elle ne tolérera aucune atteinte ni à sa souveraineté, ni à son indépendance.
Tout en se défendant de vouloir faire obstacle au projet grec, le gouvernement d’Ankara ne cache pas son opposition au point de vue hellénique, persistant à exiger sa part de responsabilité opérationnelle dans la moitié ouest de la mer Égée.
Malgré les efforts soutenus déployés par M. Joseph Luns secrétaire général de l’ONU, par le général Haig (1) et par son successeur le général Bernard Rogers, de longues et difficiles négociations se poursuivent toujours. C’est évidemment dans cette optique qu’il est logique d’interpréter la portée stratégico-politique des différentes marques de détachement et des pressions calculées des Grecs vis-à-vis de l’Otan et des États-Unis.
Tout récemment, ces diverses manifestations de durcissement et de mécontentement certains se sont traduites concrètement par :
– la décision de ne plus participer, jusqu’à nouvel ordre, aux manœuvres de l’Otan (Notamment au prochain exercice Deterrent Force 2/79) ;
– l’octroi de facilités logistiques aux navires auxiliaires de la flotte de guerre soviétique en Méditerranée dans les chantiers navals Neorion d’Ermoupolis (île de Syros) (2) ;
– le voyage officiel de M. Constantin Caramanlis à Moscou, Budapest et Prague ;
– une attitude plus intransigeante dans les négociations en cours concernant le nouveau traité (3) gréco-américain de coopération et de défense.
Il serait totalement erroné de prétendre en conclure que l’appartenance de la Grèce à l’Alliance atlantique peut être remise en question. Le gouvernement actuel n’y a jamais songé. Ses options fondamentales ne sont aucunement modifiées. Cependant, intimement liées aux problèmes de défense, les relations avec l’Otan demeurent véritablement au cœur de la vie politique grecque. De leur normalisation dépend non seulement la solidité du flanc sud-est de l’Alliance mais encore, dans une grande mesure, la stabilité et l’avenir même au pays.
États-Unis : un système d’armes antisatellites (ASAT)
Face aux essais réalisés par l’URSS, les États-Unis ont étudié différents concepts de destruction des satellites en orbite.
Après l’échec des dernières négociations avec l’URSS sur les armes antisatellites (juin 1979), les Américains laissent filtrer quelques informations sur un programme à l’étude depuis plusieurs années, qui doit se concrétiser par des essais en vol à partir de 1981.
Conçu par Vought, il s’agit d’un petit module lancé soit par un missile Minuteman soit à partir d’un avion McDonnell-Douglas F-15 Eagle.
C’est cette dernière solution qui sera d’abord évaluée.
Description
Le missile lancé d’avion comporte deux étages propulsifs à poudre. Le module d’interception proprement dit semble issu du HIT (Homing Intercept Technology) étudié par la même firme pour l’interception de missiles balistiques. Il est constitué d’une couronne de petits moteurs-fusées d’accélération qui entourent l’autodirecteur à infrarouge thermique (8-14 um) et l’ensemble de guidage pilotage qui agit par des microfusées sur la trajectoire finale.
La destruction du satellite est obtenue par impact direct.
Caractéristiques de la mission
Le pilote de l’avion porteur sera guidé vers un point de l’espace où il entamera une manœuvre de lancement avec un cabré (« zoom ») précis ; les ordres de pilotage seront visualisés dans le Head-Up Display (présentation tête haute) du F-15.
Après une phase propulsée et une trajectoire balistique, la phase finale de l’interception sera conduite par l’autodirecteur infrarouge. Le satellite représente en effet une source de chaleur relative dans le vide qui l’entoure, sauf lorsqu’il passe devant le soleil.
La légèreté de l’engin permettra d’obtenir des vitesses très importantes et, avec certains boosters. d’atteindre les satellites en orbite géostationnaire (Z ≈ 36 000 km). Mais l’objectif actuel reste les satellites en orbite basse, en particulier ceux de surveillance des océans.
Programme
L’USAF a passé en septembre 1977 un contrat avec la firme Vought pour la réalisation et les essais de deux prototypes : un premier crédit de près de 60 millions de dollars est prévu pour cette opération qui s’insère dans un effort financier global pour la défense spatiale :
Année fiscale |
1977 |
1978 |
1979 |
1980 |
1981 |
Crédits en M $ |
43 |
124 |
190 |
200 |
250 |
Dans ce programme, on retrouve des réalisations nécessaires à la mise au point et à l’utilisation opérationnelle de ce système :
– un contrat passé auprès de la firme AVCO pour la fourniture de dix cibles destinées à tester l’ASAT ;
– l’amélioration du Centre d’opération de défense spatiale du NORAD (North American Air Defense Command) ;
– le remplacement en 1982 du système de détection optique actuel par un système plus perfectionné appelé « Ground-based Electro-Optical Deep Space Surveillance » (GEODSS) construit par TRW. Il pourra détecter un objet de la taille d’un ballon de football en orbite géostationnaire !
Destinées à la détermination des caractéristiques des satellites en orbite, les informations recueillies seront utilisées pour le guidage de ces interceptions.
Conclusion
Ce système, simple dans son principe, pose de difficiles problèmes de traitement des informations et de guidage du lanceur et de l’ASAT.
Son avantage principal est la possibilité d’atteindre des satellites en orbite géostationnaire, qui sont généralement des satellites de télécommunications, ce que ne peut pas réaliser le système soviétique actuel. En effet, les Soviétiques placent un satellite chasseur sur une orbite identique à celle de la cible et l’interception est pratiquement un rendez-vous : le lanceur employé, compte tenu de la position septentrionale des sites de lancement soviétiques, ne permet pas d’atteindre l’orbite très haute des satellites géostationnaires.
On peut cependant se poser la question de la rentabilité de telles destructions étant donné la redondance prévisible des systèmes de télécommunications par satellites.
Canada : programmes d’équipement et défense du Grand Nord
La presse canadienne a rapporté le voyage d’information dans le Grand Nord que M. Mackinnon, ministre de la Défense, a effectué en septembre dernier. Le ministre n’a pas caché aux journalistes son intention de renforcer la présence militaire de son pays dans l’Arctique, qu’il estimait insuffisante.
Il est vrai que le Canada, soucieux de sa souveraineté sur ses territoires du Nord et sur les eaux avoisinantes, se doit de maintenir le potentiel militaire suffisant pour la faire respecter. Or les forces armées canadiennes présentent actuellement des faiblesses que les programmes d’équipement en cours risqueraient de ne pas compenser dans des délais souhaitables.
Le programme de la nouvelle frégate canadienne (6 escorteurs ASM destinés à remplacer les 6 Saint-Laurent) est en cours de définition mais les marins canadiens craignent que de nouvelles restrictions budgétaires ne remettent en cause la date de la première mise en chantier (actuellement prévue au début de 1981). La « Ligue navale du Canada », organisation para-officielle qui se dit « veiller sur la politique de défense maritime », a fait connaître le 29 août dernier dans l’Ottawa Journal son point de vue sur les conséquences fâcheuses que tout retard impliquerait pour la défense du pays.
Le groupe aérien maritime (aéronavale) se verra, pour sa part, doté dès 1980 des premiers avions Aurora (version canadienne du Lockheed P-3 Orion américain). Les 18 Aurora remplaceront les 25 Canadair CL-28 Argus âgés de plus de 25 ans, et ce nouveau potentiel aéronaval arrive à propos pour donner au gouvernement canadien les moyens de surveiller le Grand Nord. Actuellement l’activité des Argus semble réduite et il n’est pas sûr qu’elle soit suffisante.
Mais le programme majeur qui préoccupe le plus les forces armées canadiennes est celui du nouvel avion de combat. Portant sur 130 à 150 appareils destinés à remplacer les McDonnell F-101 Voodoo, Lockheed F-104 Starfighter et CF-5 (version canadienne du Northrop F-5 Freedom Fighter) stationnés au Canada et en Centre-Europe, ce programme majeur, initié en 1975, n’a pas encore débouché sur la définition de l’avion de remplacement après de multiples déclarations en faveur de l’un ou l’autre des projets.
Il semble qu’aujourd’hui le Canada s’oriente vers l’achat du F-16 Fighting Falcon (General Dynamics) ou du F-18 Hornet (McDonnell-Douglas) : la décision serait prise à la fin de cette année.
En attendant que le choix du gouvernement canadien se traduise dans les faits, la défense aérienne du Canada est l’objet de violentes critiques au sein des forces armées, et son insuffisance avait amené en juillet la démission du major général Barber, sous-chef d’état-major du NORAD (organisation commune de défense aérienne États-Unis–Canada). En résumé, si des voix s’élèvent au Canada pour prétendre que l’« engagement canadien dans l’Otan conduit Ottawa à dépenser plus pour la défense des autres États que pour celle du pays », on doit reconnaître qu’un effort budgétaire considérable doit être consenti dans les années à venir pour renouveler les forces armées canadiennes, et particulièrement celles qui sont dévolues à la surveillance et à la défense d’un Grand Nord, trop déserté pour ne pas attirer des convoitises de toutes provenances. M. Mackinnon a déjà décidé d’orienter les grands exercices majeurs des forces armées vers les zones arctiques. Il aura fort à faire pour respecter l’engagement d’augmenter son budget de 3 % par an.
The Military Balance 1979-1980
Chaque année, au mois de septembre, l’Institut international d’études stratégiques (IISS) de Londres publie une évaluation quantitative des forces militaires dans le monde arrêtée à la date du 1er juillet, ainsi qu’un certain nombre de renseignements sur les budgets, les armes, les accords de fournitures d’armement et l’équilibre des forces en Europe. Dans sa préface, l’Institut précise que cette analyse ne prend pas en compte d’importants facteurs de l’équilibre militaire, comme la situation géographique, la vulnérabilité et l’efficacité des unités. Dans sa sécheresse chiffrée, ce document fort intéressant est essentiellement une base de travail.
Il permet de constater, d’une année sur l’autre, des évolutions. Une des tendances les plus fortes est l’augmentation continue du nombre et de la qualité des matériels détenus par le Tiers-Monde. Le rythme des commandes et des livraisons ne semble pas se ralentir. Certains pays cherchent à monter leur propre industrie d’armement ou à améliorer leur production. De leur côté, l’Otan et le Pacte de Varsovie modernisent leur panoplie. Le Pacte garde en réserve son matériel dépassé alors que les pays de l’Otan le mettent à la ferraille. Malgré les SALT II (Traité de limitation des armes stratégiques II), la course aux armements stratégiques se poursuit surtout qualitativement. Les Soviétiques font progresser la précision de leurs missiles qui tend à rejoindre les résultats atteints par les Américains. En conséquence, ces derniers sont confrontés à des choix difficiles pour leurs missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) dont la vulnérabilité devient inquiétante.
L’ouvrage de cette année comporte deux nouveaux tableaux. L’un donne les caractéristiques principales des hélicoptères militaires ; l’autre fournit des informations sur le niveau technique atteint par les pays en voie de développement qui se sont lancés dans une industrie d’armement. La principale innovation réside surtout dans une annexe qui tente une analyse des forces nucléaires de théâtre en Europe. Celles-ci sont définies de façon très restrictive comme excluant à la fois les armes à courte portée du champ de bataille et les systèmes centraux couverts par les accords SALT, sauf 40 missiles Poseidon affectés au SACEUR (Commandant suprême allié en Europe). Allant du SCUD/B soviétique, d’une portée de 340 kilomètres, au bombardier F-111 ayant un rayon d’action de 5 500 kilomètres, ces forces sont constituées en très grande partie par ce que l’on a appelé les forces eurostratégiques. Elles englobent les moyens nucléaires français, stratégiques et tactiques, sauf le Pluton, et les moyens maritimes qui ne seraient pas utilisés à des missions de maîtrise de la mer, en particulier, pour les Américains deux forces de porte-avions, et pour les Français un porte-avions portant des avions Étendard-IVM.
L’étude est menée à partir d’hypothèses de travail reconnues comme discutables par ses auteurs. Une des présuppositions admises est que les forces stratégiques des deux superpuissances, sauf les 40 missiles Poseidon dont il a été question, ne seraient pas engagées en Europe. Une autre serait qu’il n’y aurait aucune attrition par moyens conventionnels préalable à l’emploi des armes nucléaires. La disponibilité des moyens a été évoluée à un taux élevé : 70 % pour les navires, 80 % pour les aéronefs, 90 % pour les missiles. L’étude reconnaît que le nombre des missiles Poseidon affectés au SACEUR est entièrement arbitraire et pourrait être considérablement augmenté, étant donné la « redondance » des moyens américains de deuxième frappe. On a cependant exclu cette possibilité comme celle du rechargement des rampes de missiles soviétiques SS-20.
D’autres présuppositions, plus précises, ont été adoptées. On a admis, par exemple, qu’un quart des moyens aériens et des missiles stratégiques soviétiques (sauf les Missile mer-sol balistique stratégique ou SLBM) seraient mis en place sur le front oriental. De même, la moitié seulement des bombardiers moyens soviétiques et un certain nombre d’avions du Pacte non soviétiques seraient utilisés avec des armes nucléaires, ainsi que la moitié des FB-111A Aardvark (General Dynamics). Sur ces bases, les auteurs de l’étude donnent deux tableaux, l’un pour le Pacte de Varsovie, l’autre pour l’Otan (tableaux VII et VIII). Ces tableaux font l’inventaire des moyens nucléaires du théâtre correspondant à la définition admise en leur affectant des facteurs permettant d’arriver au nombre de systèmes d’armes que l’on pense devoir être disponibles. Ce nombre est à son tour affecté d’indices caractérisant la pénétration, la capacité de survie et la souplesse d’emploi, ce qui donne un nombre de missiles qui « reflète de façon plus réaliste la manière dont les systèmes nucléaires figurant dans les inventaires de l’Otan et du Pacte sont utilisables ».
Cette étude est donc en fait une tentative de comparaison de systèmes nucléaires, la comparaison par « mégatonnage » ayant été abandonnée. Elle tend à montrer que l’avantage du Pacte de Varsovie, qui est important en nombre de vecteurs (5 364 contre 2 045), se réduit considérablement quand il s’agit du nombre de têtes nucléaires disponibles (2 244 contre 1 811) et se rétrécit encore plus (1 209 contre 1 065) quand on arrive au résultat final. Cet avantage, dans le rapport de 1,13 à 1, est en fait négligeable, si l’on admet que les erreurs inhérentes aux méthodes de calcul dépassent 10 %. La conclusion à laquelle on arrive est donc qu’il existe une parité de fait des forces nucléaires de théâtre en Europe, grâce aux Poseidon américains.
Mais cette parité est fragile en raison des améliorations en cours du côté soviétique.
Ces résultats surprendront ceux qui sont habitués aux chiffres de 7 000 armes nucléaires américaines en Europe, mais il faut rappeler la définition très restrictive, et discutable, de l’arme nucléaire de théâtre utilisée dans cette étude, dont les auteurs ne cachent pas la nature subjective. ♦
(1) La première entrevue à Naples, le 2 mars dernier, entre le général Haig et le général Davos, chef d’état-major général des forces armées grecques, avait abouti à un plan approuvé par le gouvernement d’Athènes mais rejeté par les Turcs (veto turc au Comité de défense). La deuxième entrevue Haig-Davos à Vérone, le 5 mai 1979, avait échoué, les Grecs n’ayant pas accepté le « concept de Task Force » préconisé par les Américains.
(2) Ces facilités ont fait l’objet d’un accord direct entre les propriétaires des chantiers et les autorités soviétiques. Valable jusqu’à la fin de l’année 1980, cet accord ne s’applique qu’aux bâtiments « non armés ». Un accord similaire pour les seuls navires de commerce avait déjà été signé l’année dernière. Il est à remarquer que la 6e Flotte américaine peut, elle aussi, bénéficier des mêmes facilités dans les mêmes conditions.
(3) Ce traité vise à définir, entre autres choses, les nouvelles conditions du maintien des installations américaines sur le territoire hellénique. La récente visite inopinée à Athènes de M. James Siena, troisième sous-secrétaire d’État américain à la défense, n’a rien apporté de nouveau.