Les tragiques événements qui se déroulèrent en France, en prologue à la Deuxième Guerre Mondiale, ne soulèvent plus beaucoup d’intérêt parmi l’intelligentsia française. Ils semblent même relégués au rang de souvenirs scolaires. Nos élites, cependant, en avaient discuté avec passion dans les années qui suivirent l’armistice de juin 1940. D’innombrables documents, des témoignages venant de tous les coins du pays et de l’étranger, les mémoires des principaux acteurs du drame — tout fut passé au crible, analysé, retenu ou rejeté, interprété en fonction du tempérament et des convictions de chacun. Mais cet immense travail, peut-être parce qu’il n’était pas et ne pouvait être à l’époque entièrement désintéressé, n’a pas encore vraiment porté ses fruits. L’heure de la synthèse historique ne semble pas avoir sonné. Sans doute, quelques jeunes historiens — ceux, pensons-nous, auxquels il convient de faire confiance de préférence à leurs aînés — y travaillent-ils déjà. Mais il faudra attendre quelques années encore avant que leurs œuvres mûrissent et voient le jour. Thiers ne termina qu’en 1862 son Histoire du Consulat et de l’Empire. Michelet écrivit son Histoire de la Révolution française de 1845 à 1857. Attendons donc sans impatience les années 1990 pour revenir, avec tout le sérieux et la sérénité désirables, sur cette sombre période de notre histoire qui s’étend du 3 septembre 1939 au 22 juin 1940. Il faut décidément une cinquantaine d’années pour que les grands événements historiques viennent à terme.

Mais il importe néanmoins que la collecte de documents bruts se poursuive, même si sur le moment elle ne devait pas retenir outre mesure l’attention du grand public, ni constituer un événement en librairie.

C’est sans doute ce qu’a pensé la famille du général Paul de Villelume en publiant sous le titre Journal d’une défaite les carnets de notes tenus par ce très remarquable et quelque peu curieux personnage pendant la période qui nous intéresse ⁽¹⁾.