À l’approche de l’été, l’Europe est à la croisée des chemins. La guerre s’éternise en Ukraine, Moscou faisant traîner toute tentative de négociations tandis que Washington hésite dans ses positions allant d’un soutien limité à Kiev au lâchage en rase campagne. L’incertitude stratégique est devenue la règle pour l’Europe.
L’Europe à la croisée des chemins
Europe at a Crossroads
As summer approaches, Europe is at a crossroads. War continues in Ukraine, with Moscow dragging its feet on attempts at negotiation, and Washington wavering in its position, which goes from limited support for Kyiv to complete abandonment. Strategic uncertainty has become the rule for Europe.
Après des décennies marquées par un environnement géostratégique relativement stable et une alliance solide avec les États-Unis, l’Europe traverse les années 2020 dans une incertitude qui la renvoie aux temps anciens d’un ordre international fondé sur les rapports de force et les intérêts mouvants. L’onde de choc provoquée par la réélection de Donald Trump et la mise en œuvre par son administration d’une politique renouant avec la notion de « sphères d’influence » (1) vient bousculer de plein fouet un édifice de sécurité déjà profondément ébranlé par l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie le 22 février 2022. Alors que la guerre de haute intensité qui en a découlé continue de faire rage à ses portes, l’Europe entame ce deuxième quart de siècle plus isolée et plus incertaine qu’elle ne l’a jamais été depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. À cela s’ajoutent une menace russe multi-dimensionnelle et une alliance américaine vacillante dans un monde où le multilatéralisme ne cesse de reculer et où chaque région semble polarisée par des crises aux dynamiques propres, quoiqu’interconnectées.
Dans ce contexte, la France a naturellement un rôle particulier à jouer en tant que l’une des deux puissances nucléaires du continent (avec le Royaume-Uni), deuxième économie de l’Union européenne (après l’Allemagne) et troisième force conventionnelle de l’Otan (derrière les États-Unis et la Turquie, bientôt rejoint par la Pologne). Plus encore, l’héritage français en matière d’autonomie stratégique semble idéalement positionner le pays pour répondre aux défis du Vieux Continent. Néanmoins, les vieux réflexes ont la vie dure : une fois passé le choc des premiers mois, une majorité des Européens semble encore très réticente à renoncer à l’idée d’un leadership américain structurant sur tous les plans. Pour relever le défi d’une transformation profonde de l’ordre sécuritaire euro-atlantique, trois dossiers critiques devront être successivement abordés par les décideurs français et européens : le premier est celui de l’Ukraine et d’une issue raisonnablement stable au conflit en cours ; le deuxième concerne la négociation d’un nouveau partage des tâches entre les États-Unis et l’Europe ; et enfin, le troisième réside dans l’adaptation d’une planification de défense nationale en accord avec la nouvelle réalité.
Le verrou stratégique ukrainien
Conflit armé d’une ampleur sans précédent en Europe depuis 1945, la guerre d’agression russe contre l’Ukraine est, par la force des choses, devenue la clé de voûte de la sécurité européenne. En effet, en mobilisant l’essentiel du million de militaires composant les forces armées de la Fédération de Russie, elle « fixe » la menace continentale et renvoie à l’issue du conflit toute autre action conventionnelle majeure de celle-ci sur d’autres théâtres (Baltique, Arctique, etc.).
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