Après 8 mois à la Maison-Blanche, le tourbillon Trump s’accélère sans pour autant obtenir tous les résultats escomptés, notamment à Gaza, avec l’Iran et l’arme nucléaire, et enfin, avec la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Dans la résolution – difficile – de ces conflits, l’Europe a été marginalisée et fragilisée. Il est urgent pour les Européens de réagir.
Sud de l’Europe - Face aux conflits qui l’entourent et au tourbillon Trump qui s’accélère, l’Europe doit se réveiller et agir
Southern Europe - In the face of surrounding conflicts and the accelerating Trump whirlwind, Europe needs to wake up and act
After eight months in the White House, the Trump whirlwind continues to gather pace yet is failing to achieve the intended results, particularly regarding Gaza, Iran and nuclear weapons, and the war Russia is waging against Ukraine. Insofar as the onerous resolution of these conflicts is concerned, Europe has been marginalised and undermined: there is an urgent need for Europeans to react.
L’Iran et l’arme nucléaire
Après le choc de la « guerre de douze jours » lancée par Israël contre l’Iran (13-24 juin) qui s’est caractérisée par des bombardements massifs de part et d’autre, par un affaiblissement militaire de l’Iran et la destruction d’une partie de ses installations nucléaires, l’été 2025 aura été marqué par l’activisme débridé de Donald Trump pour tenter d’obtenir des succès diplomatiques. Le Président américain cherche à mettre un terme à certains conflits en cours afin d’engranger des succès avant les élections de mi-mandat (midterms) de l’année prochaine, à obtenir des deals commerciaux susceptibles d’atténuer les conséquences sociales de ses guerres tarifaires et surtout à satisfaire sa soif égotique de reconnaissance. Cela ne l’a pas empêché de bombarder ponctuellement des installations nucléaires iraniennes en juin (Operation Midnight Hammer) pour imposer un cessez-le-feu aux deux belligérants, laissant un goût d’inachevé au gouvernement et à l’état-major israéliens qui auraient souhaité disposer de plus de temps pour affaiblir davantage le régime iranien.
Que retenir de cette courte guerre ? Tout d’abord, que l’avantage est plus que jamais à l’offensive et que pour être crédible et dissuasive, une armée doit pouvoir frapper loin, fort et dans la durée, mais qu’elle doit également disposer de suffisamment de stocks d’armes défensives pour protéger son territoire. Ensuite, que la guerre de l’information, la guerre cybernétique et le contrôle du narratif restent clés pour influencer l’adversaire comme sa propre population. Enfin, que le nucléaire reste sans doute l’enjeu ultime que chaque belligérant essaie de détruire ou de préserver. À cet égard, il est probable que le régime iranien – qui a réellement tremblé – finisse par cesser toute coopération avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et décide de sortir du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) pour franchir discrètement le seuil de la capacité atomique militaire dès qu’il le pourra, c’est ce que craignent Paris, Londres et Berlin qui ont décidé d’activer la clause de snap back de l’accord nucléaire de 2015 permettant de réintroduire les sanctions édictées par le Conseil de sécurité des Nations unies. Une autre conséquence paraît évidente : le régime iranien se durcit encore plus et fait régner la terreur pour éliminer toute opposition susceptible d’accélérer sa chute. C’est une très mauvaise nouvelle pour la population iranienne, même si celle-ci conserve une posture très nationaliste.
Gaza version israélo-américaine
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a lancé, quant à lui, une nouvelle offensive majeure à Gaza avec pour but affiché de s’emparer de la quasi-totalité de ce territoire, sacrifiant de fait les derniers otages israéliens tout en accroissant le nombre de victimes civiles. Cette escalade a poussé quelques États occidentaux derrière la France à reconnaître l’État de Palestine (parfois sous conditions) lors de l’Assemblée générale des Nations unies (1). De son côté, la Maison-Blanche a laissé filtrer son plan pour l’avenir de Gaza, consistant à évacuer un maximum d’habitants pour transformer cette enclave en un hub technologique et touristique administré directement par les États-Unis le temps, selon Washington, de déradicaliser la population palestinienne restée sur place (2). Ce projet, qui aurait reçu le soutien de certains dirigeants du Golfe, a suscité un tollé. L’armée israélienne se prépare en parallèle à livrer un nouveau round contre l’Iran dans l’hypothèse où Téhéran donnerait des signes d’accélération de son programme nucléaire. En attendant, les Chinois semblent avoir livré très discrètement aux Iraniens un premier lot de chasseurs J-10 et plusieurs batteries de missiles sol-air à longue portée (3), damant ainsi le pion aux Russes dont chacun a pu voir qu’ils avaient abandonné l’Iran en rase campagne pendant les frappes israéliennes et américaines. Les États-Unis agissent de leur côté en coulisse pour tenter de faire aboutir un plan de paix entre Israël et la Syrie (4), de même qu’un accord de délimitation frontalière entre Israël et le Liban (5).
Trump : America First et Europe never
On aurait tort de réduire la politique de l’Administration Trump à sa vulgarité brutale, son court-termisme brouillon et ses foucades narcissiques. Si la recherche du Prix Nobel de la paix est un objectif affiché du locataire de la Maison-Blanche, l’intégration de la puissance américaine dans un nouveau jeu stratégique définitivement désoccidentalisé reste la ligne directrice d’une politique finalement assez cohérente. Par touches successives, les États-Unis indiquent leur nouveau positionnement dans le paysage stratégique et force est de constater qu’il est totalement indifférent aux intérêts européens. Ce qui ne le rapproche pas davantage de ses anciens partenaires asiatiques sur lesquels Washington comptait pour endiguer Pékin. La Chine, qui l’a bien compris, a organisé chez elle, à Tianjin, le 25e sommet de l’Organisation de coopération de Shangaï (OCS), réussissant l’exploit de se réconcilier, au moins facialement, avec le Premier ministre indien Narendra Modi qui a fait le déplacement, probablement pour signifier à la Maison-Blanche son courroux face à la politique douanière de Donald Trump.
Dans l’incapacité de régler, comme il l’avait claironné, les conflits israélo-palestinien, israélo-iranien et russo-ukrainien, Donald Trump a reporté son attention sur des dossiers périphériques. En Afrique, il a parrainé le mini-sommet des pays du littoral Atlantique (6) et il a supervisé la signature dans le Bureau ovale d’un accord de cessez-le-feu entre la République démocratique du Congo et le Rwanda (7). Dans le Caucase, son engagement a permis d’aboutir à un accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ainsi qu’à la mise en place d’une « Voie Trump pour la paix et la prospérité (TRIPP) » reliant la Turquie à l’Azerbaïdjan via l’enclave du Nakhitchevan et le corridor de Zanguezour (8). En s’imposant comme le protecteur de cet étroit corridor placé au carrefour des intérêts est-ouest de la Turquie et de l’Azerbaïdjan, et des intérêts nord-sud de la Russie et de l’Iran, les États-Unis marginalisent ces derniers et renforcent « l’Axe turcique » promu par le président turc Recep T. Erdogan. Reste à savoir si le silence russe, peut-être échangé contre un accord sur l’Ukraine, persistera car pour le Kremlin comme pour le gouvernement iranien, il est crucial de contrôler ce point de passage clé sur l’axe terrestre qui leur permet de contourner une partie des sanctions.
L’autre grande affaire de la Maison-Blanche aura été l’organisation d’une rencontre à Anchorage en Alaska entre Donald Trump et Vladimir Poutine, dont l’Ukraine et les Européens ont été soigneusement tenus à l’écart. Celle-ci n’aura apparemment débouché sur rien de concret, même si nul ne sait les points sur lesquels les deux chefs d’État ont pu discrètement s’entendre. Elle aura surtout souligné l’indifférence affichée à l’égard des décisions de la Cour pénale internationale (CPI) et la reconnaissance du poids prépondérant de la Russie sur le continent européen, éclipsant une fois encore les illusions européennes.
Il est ainsi grand temps pour l’Europe et la France de quitter les postures rhétoriques pour prendre réellement acte du changement qui s’opère car l’Europe, prise dans la fragmentation globale qui exacerbe les rivalités de voisinages sur notre continent, n’a pas encore trouvé un nouvel équilibre entre les intérêts nationaux qui reviennent en force et la nécessité d’un collectif à réinventer. C’était l’un des messages de Gérard Chaliand, intellectuel combattant, poète et aventurier, disparu fin août, à qui la FMES a rendu hommage (9). Sur ses vieux jours, ce grand expert des guérillas soulignait la fragilité de l’Occident qui, ayant perdu sa capacité à risquer sa vie pour des idées, pourrait disparaître. Le pire n’est toutefois jamais certain, à condition, d’une part de prendre conscience des menaces protéiformes que certains États du Sud entendent bien instrumentaliser pour nous fragiliser davantage, et d’autre part de prendre les mesures qui s’imposent pour les contrer courageusement, y compris celles perçues comme impopulaires. L’heure n’est plus aux complaintes, à l’aveuglement ou à la procrastination, mais aux décisions et à l’action. ♦
(1) Boitel Julien, « Quels pays s’engagent à reconnaître l’État de Palestine en septembre ? », Les Échos, 2 septembre 2025 (https://www.lesechos.fr/).
(2) « Gaza postwar plan envisions ‘voluntary’ relocation of entire population », The Washington Post, 2 septembre 2025 (https://www.washingtonpost.com/).
(3) Quotidien iranien Vatanz-e-Emrouz, 5 août 2025, rendant compte de la visite du ministre de la Défense iranien à Pékin le 25 juin 2025. Voir également : « Iran Receives 40 Chinese J-10C Fighter Jets, Declares It’s ‘Ready for War’ Amid Rising Tensions », LN24, 3 juillet 2025 (https://ln24international.com/).
(4) Langlois Alexander, « Will Syria and Israel Normalize Relations? », MSN, 30 août 2025 (https://www.msn.com/).
(5) « Lebanon, Israel agree to border talks under US mediation: What to know » Mediate.com, 11 mars 2025 (https://mediate.com/news/lebanon-israel-agree-to-border-talks-under-us-mediation-what-to-know/).
(6) Law Zoe, Balintec Vanessa, Timmons Heather, Johnson Nicole J., Yip Reagan et Bint Talal Rajaa, « US-Africa summit: Trump meets leaders of Gabon, Senegal and others », Reuters, 9 juillet 2025 (https://www.reuters.com/world/trump-holds-africa-summit-with-leaders-senegal-gabon-2025-07-09/).
(7) Chanson Romain, « RDC-Rwanda : ce que contient l’accord de paix signé sous l’égide de Donald Trump », Jeune Afrique, 28 juin 2025.
(8) « “Voie Trump pour la paix” : qu’est-ce que ce corridor que le Président américain veut bâtir à travers l’Arménie ? », Le Parisien, 9 août 2025 (https://www.leparisien.fr/).
(9) FMES, « In Memoriam », LinkedIn, août 2025 (https://fr.linkedin.com/).