Parmi les innombrables questions que soulève la tragédie du 11 septembre 2001, figure celle du sentiment qui guide les auteurs des attentats : la haine de l'Occident. L'univers des relations internationales est présenté comme un monde de calculs froids. Il n'en est rien, les émotions, les sentiments y pèsent très lourd ; ainsi la haine. Le choc de la modernité occidentale, en brisant toutes les barrières, en promettant à l'individu le droit au bonheur, conduit chacun à comparer sa situation à celle de l'autre, suscitant toutes sortes de frustrations. De même que la haine de la bourgeoisie fut un moteur historique dans l'Europe des XIXe et XXe siècles, la haine de l'Occident marque les rapports Nord-Sud. Celle-ci peut-elle acquérir le rôle politique central qu'eut celle-là dans l'Europe de la première moitié du XXe siècle ? Deux conditions doivent être réunies : cette haine doit disposer de machines politiques, en clair d'États, qui fassent d'elle le vecteur de projets (comme le furent l'Allemagne nazie ou le Japon impérial) ; cette haine doit être portée par le climat de l'Europe, et inspirer les relations inter-étatiques. Pour le moment, ces conditions ne sont pas réunies.
Politique et diplomatie - Haine et politique
La tragédie du 11 septembre 2001 soulève d’innombrables questions, chaque début de réponse risquant d’être très vite démenti par le cours des événements. L’une de ces questions s’inscrit dans la longue durée et donc autorise une réflexion qui ne soit pas trop vite remise en cause par la bousculade des faits : c’est celle de la haine de l’Occident, laquelle est bien au cœur des attaques contre le World Trade Center, le Pentagone et aussi contre la Maison-Blanche. Il est important de la cerner, d’en saisir les raisons profondes, les significations mais aussi d’appréhender comment, par quels canaux, elle entre dans le champ politique. Cette haine de l’Occident est bien l’un des révélateurs majeurs de la transformation des relations internationales : ces relations, longtemps réduites aux rapports inter-étatiques, sont désormais partout, incluant évidemment les entreprises, les organisations de toutes sortes et même les individus. Ainsi les rapports homme-femme sont-ils aussi un enjeu international.
Les relations internationales sont en général présentées comme le domaine d’intérêts purs, chaque État poursuivant le sien. Celui-ci n’est en rien une donnée objective, parfaitement cohérente et immuable ; c’est une construction subjective, fruit de tractations multiples. L’intérêt d’un État, c’est ce que ses dirigeants considèrent, à tort ou à raison, comme la meilleure politique pour cet État. L’intérêt de chacun, loin d’être un élément évident et incontestable, rationalise, organise plus ou moins les tensions, les contradictions de ce « chacun ». Intérêts, émotions et sentiments ne cessent de s’entremêler. La politique est modelée par les sentiments, chaque protagoniste (et d’abord les responsables suprêmes des États) ne défendant pas un intérêt objectif mais quelque chose qui a été construit. Comment comprendre Churchill, de Gaulle ou Staline si l’on ne connaît pas la représentation qu’ils se faisaient de leur pays, le rôle qu’ils se donnaient ?
Haine et modernité démocratique
La haine est un sentiment essentiel dans les rapports sociaux. Elle est un formidable ciment, les collectivités humaines trouvant dans un Autre à haïr le plus élémentaire vecteur d’unité. Surtout, depuis un peu plus de deux siècles, l’épanouissement de la modernité démocratique fait de la haine un terrible moteur politique. Dans le monde pré-démocratique, chacun occupe une place qui lui est donnée par Dieu ou par l’ordre des choses. Cette place aussi frustrante, aussi injuste soit-elle, il n’y a qu’à l’accepter puisque justement il est impossible d’en changer. Encore aujourd’hui l’Inde, avec les castes (officiellement abolies), semble imprégnée de cette philosophie pré-démocratique : chacun est d’une caste, c’est ainsi, l’intouchable n’a qu’à se résigner dans l’attente d’une autre vie qui le fera peut-être naître dans une meilleure position.
Il reste 84 % de l'article à lire
Plan de l'article
