Devoir de vérité
Note préliminaire : Lire également la note de lecture du général Le Borgne concernant cet ouvrage, Défense Nationale, octobre 2003.
Avec une fougue juvénile et une amertume non dissimulée, le pionnier nucléaire qui apprécia tant le « versant ensoleillé » des débuts de la Ve République règle ses comptes avec les « tristes septennats » qui, le long du « versant sombre » d’un régime dévoyé, sont parvenus à « détruire de fond en comble les résultats de dix siècles d’efforts ». Sous une avalanche vengeresse de chiffres et d’arguments, il entend montrer que la « plus mafieuse » de nos Républiques, empoisonnée par le « virus Jean Monnet » (lui-même véhiculé par de brillants esprits comme un Raymond Aron « financé par l’Intelligence Service… puis rémunéré par la CIA ») est en train de transformer notre pays en vassal de Washington et de Berlin. En attendant, ayant vers le haut abandonné ses missions régaliennes, la France se retrouvera avec le statut d’un État américain, voire d’un canton suisse, réduite au rôle d’un « accueillant Disneyland » où les peuples innovateurs viendront se distraire, tandis que, vers le bas, notre archaïque décentralisation, « retour au siècle du cheval », transformera, sur le modèle de la « caricature corse », le territoire en archipel offrant des niches juteuses aux potentats locaux.
Pas plus qu’il ne mâche ses mots, Pierre-Marie Gallois n’hésite à citer les noms, même des plus hauts responsables de droite ou de gauche qui furent à ses yeux, et continuent d’être, des « dirigeants malfaisants », élus sur une image télévisée plus que sur un programme, empêtrés le cas échéant dans une « ridicule cohabitation » aux applications diplomatiques cocasses, tout en cherchant à exploiter un soi-disant domaine réservé par une interprétation abusive de la Constitution. Leur pouvoir réel, à force d’abdications successives multipliées par François Mitterrand, initiées par son prédécesseur et précipitées par son successeur, ne leur permet même plus de fixer le taux de la TVA dans la restauration. Leur mégalomanie se console par des folies architecturales qui enlaidissent la capitale, confiées à des artistes étrangers qui « n’auraient pas osé proposer chez eux leurs élucubrations ». Une occasion de réhabiliter la IVe, « modèle de vertu » par rapport à l’actuelle, qui sut corriger l’instabilité gouvernementale par l’action rigoureuse de grands commis intègres et efficaces.
Désinformés par une presse « servile par nature », nos concitoyens indifférents ou résignés s’accommodent du « doux déclin » décrit par Jean d’Ormesson. Quitte à ce que les jeunes les plus doués s’expatrient, ils s’habituent à être ficelés par les textes inintelligibles de la technocratie bruxelloise et placés en tête des pays illettrés du fait de la « faillite de l’Éducation nationale ». Ils se réfugient dans le sport où « les joueurs de foot remplacent les prix Nobel que le pays n’est plus capable de briguer ».
Le réquisitoire fortement documenté est divisé en six chapitres, terminés chacun par un paragraphe « remèdes » dont on ne s’étonnera pas qu’il soit systématiquement tourné vers l’abandon des pratiques actuelles et le retour à de saines conceptions. Il est complété par une série d’annexes couvrant près de la moitié de l’ouvrage, qui fournissent un éclairage mais n’amènent rien d’absolument nouveau. À part quelques anecdotes personnelles plutôt piquantes, l’auteur n’apporte d’ailleurs pas de véritables révélations. Il dresse un catalogue complet de reproches entendus d’autres sources critiques : l’absurdité de prétendre à la fois construire l’Europe et ne pas détruire la France (une souveraineté exercée en commun, quel « oxymoron » !) ; la passivité devant le phénomène de dénatalité, censé être corrigé par un apport massif d’immigrés aux mœurs peu compatibles avec les nôtres ; l’abandon à contretemps de la conscription alors même qu’on abaisse la garde du nucléaire… Il dénonce tout à la fois les dérives de la PAC et les délires de la « fameuse parité », le développement de l’insécurité, l’effondrement des piliers de notre appareil industriel, les illusions d’une grande politique arabe et des aventures africaines, après l’agression de notre vieille amie la Serbie « à laquelle la France a honteusement participé ».
Il ne nous appartient pas de porter un jugement sur le fond. Mais les accusations portées d’une plume acerbe, à la suite d’une préface tout aussi engagée et sévère de l’ambassadeur Albert Chambon, méritent d’être analysées pour que les uns y relèvent peut-être des outrances — par exemple lorsque notre décadence est imputée à un complot international ou que nos présidents successifs sont jugés « légers, hâbleurs, menteurs, démagogues, girouettes ou prévaricateurs » — et que d’autres trouvent ici, formulées avec agressivité, mention d’inquiétudes qui ont pu parfois les saisir ou d’incohérences qu’il leur est arrivé de soupçonner. ♦