De la prise de Bagdad (raids) à la bataille de Falloujah (swarming) ou à celle de Bassorah (siège), la guerre d’Irak a décliné tout le spectre des opérations en ville, et confirmé définitivement les intuitions de nombre d’observateurs quant au défi majeur que pose aux armées occidentales la pacification des zones urbaines. Revenant sur la friction naissante entre « transformation » et « adaptation », l’auteur s’attache ici à décrypter la réinvention doctrinale américaine de la guerre urbaine et ses répercussions sur la conduite stratégique des opérations de stabilisation en ville, notamment à travers l’intégration globale — dite interagences — des groupes parapublics, non-gouvernementaux et privés à l’action des forces régulières.
Globalisation stratégique et guerre urbaine
Strategic globalisation and urban warfare
From the fall of Baghdad (mobile operations) to the battle of Fallujah (swarming) or Basra (siege warfare) the war in Iraq has covered the full spectrum of urban operations, and confirms the opinion of many observers of the major threat which the pacification of urban areas poses to Western armies. Looking back on the growing friction between ‘transformation’ and ‘adaptation’, the author attempts here to explore the American doctrinal reinvention of urban warfare and its repercussions on the strategic conduct of urban stabilisation operations, especially by the comprehensive–termed interagency–integration of quasi-public non-governmental groups without access to regular forces.
« La métrostratégie a remplacé la géostratégie. Le lieu de la guerre moderne est progressivement devenu la cité »
Paul Virilio, La Ville panique
Témoins de la vitalité d’un courant resté relativement minoritaire jusqu’aux événements du 11 septembre 2001, les analyses de Robert R. Leonhard, ardent théoricien de la guerre urbaine, attestent du rapport crucial entre le phénomène de globalisation stratégique, dont l’action militaire américaine est le vecteur, et l’urbanisation de la guerre qui a cours depuis la fin de la bipolarité. Déplorant la lenteur et les réticences d’une partie de la hiérarchie militaire américaine à prendre en compte la nécessaire rupture qu’impose aux modes opératoires des forces terrestres la complexité du champ de bataille urbain, il défend la mise en place d’un modèle global d’intégration civilo-militaire — dit interagences — pour remédier à l’entropie des combats urbains et s’assurer le contrôle du territoire conquis. Ainsi l’insertion de ce groupe de forces interagences qui fait s’imbriquer organismes gouvernementaux, non-gouvernementaux, sociétés militaires privées et entreprises civiles dans le dispositif initial de la force interarmées, doit selon lui constituer le socle des futures opérations de l’armée américaine.
De la bataille décisive à la reconstruction
Dans un article prémonitoire paru en pleine invasion de l’Irak, en avril 2003 : « Le mauvais conseil de Sun Tzu » (1), R. Leonhard identifiait plusieurs domaines prioritaires devant faire l’objet d’une réévaluation doctrinale de fond. Il réclamait ainsi : la prise en compte, primordiale, du renseignement d’origine humaine ; la redéfinition du concept d’emploi des blindés vers une force d’infanterie mécanisée moyenne ; une réécriture cognitive des règles d’engagement en zone urbanisée, en fonction de l’emploi systématique des armes à létalité réduite ; la conception d’une robotique terrestre adaptable et simple à mettre en œuvre, destinée en particulier à une cartographie dynamique de l’espace de bataille urbain, loin des conceptions hypertrophiques du drone multifonctions ; une refonte tactique du combat urbain fondée sur l’assimilation de la maîtrise de la violence (décentralisation, transversalité et flexibilité du combat urbain). Il prédisait notamment, considérant « l’efficacité des opérations interarmées américaines », « qu’un adversaire intelligent ira dans les cités pour se protéger. Les opérations sont devenues tellement entrelacées de considérations globales, et les facteurs militaires tellement intégrés avec les facteurs diplomatiques, économiques et culturels, que la guerre de théâtre ne peut plus être dissociée de la grande stratégie ». « De manière similaire, poursuivait-il, le défi des opérations urbaines, servira à redéfinir le niveau tactique de la guerre ».
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