Nouveau relent d’une guerre inter-islamique ou risque de « chiitisation » au Moyen-Orient, tels sont les termes employés aujourd’hui pour qualifier la situation qui prévaut en Irak. Le clivage sunnites-chiites s’inscrit dans une dimension conflictuelle dont l’essence bien que religieuse relève d’un enjeu mêlant à la fois histoire et politique. Cet article souhaite aborder l’opposition sunnites-chiites dans une perspective globale sans tomber dans la facilité de l’explication religieuse.
Sunnisme et chiisme : peut-on parler d'une opposition ?
Sunnis and Shias: are they really in opposition?
Today’s situation in Iraq is talked about in terms of a renewal of an inter-Islamic war, or the risk of Shia domination of the Middle East. The schism between Sunnis and Shias can certainly be viewed as a conflict which is being played out against a religious background, but there are also both historical and political issues at stake. This article puts the question of Sunni-Shia rivalry in a global perspective, while rejecting the overly simplistic view which concentrates on religious enmity.
Depuis la fin du régime de Saddam Hussein et le retour au pouvoir de la communauté chiite en Irak, une nouvelle grille de lecture du monde arabe a émergé pour beaucoup d’experts, et qui consiste à opposer « sunnisme » et « chiisme ». Cette opposition prend la forme en Irak d’un affrontement intercommunautaire qui voit s’opposer milices chiites aux groupes armés sunnites. L’idée que cet affrontement part d’une rivalité entre ces deux branches historiques de l’islam, bien que séduisante souffre de certaines faiblesses et ne résiste pas à l’analyse. Cette lutte aux relents religieux relève d’une problématique beaucoup plus complexe qu’il n’apparaît et repose sur trois enjeux. Premièrement cette fracture s’exprime dans un clivage séculaire qui a toujours opposé Arabes et Perses. Deuxièmement, la rivalité entre les communautés sunnites et chiites s’articule à travers une dimension politique dont la conflictualité intègre le champ religieux sans pour autant en être l’enjeu principal. La finalité de cet antagonisme entre Arabes et Perses a pour objet la domination du monde musulman et n’est pas là pour déterminer l’islamité du sunnisme par rapport au chiisme ou l’inverse. Il oppose avant tout des nations telles que l’Iran, chiite révolutionnaire, à l’Arabie Saoudite, sunnite wahhabite ; et dans une certaine mesure Al-Qaïda à l’Iran, notamment en Irak. L’enjeu principal reste le leadership du monde musulman sous couvert d’une lutte qui consiste à exacerber l’appartenance identitaire via la religion.
De l’affrontement idéologique à la lutte armée : nouvelle vision de l’affrontement chiite-sunnite
Un clivage ancré dans l’histoire
La lutte qui oppose sunnites et chiites relève avant tout de l’histoire, et du politique plutôt que d’une querelle idéologique. Au départ de cette division, l’assassinat du 4e calife Ali (1), et la prise du califat par le gouverneur de Damas, Mo’awiyya, qui fondera la dynastie des Omeyades. Cet événement est à l’origine de la grande scission de l’islam entre sunnites et chiites, et de la lutte de pouvoir qui s’ensuit au nom de la succession légitime du Prophète. Le chiisme en tant qu’acteur majeur apparaît réellement à partir du XVIe siècle (2) avec la constitution d’un Iran chiite au sein d’un empire arabo-musulman en pleine reconfiguration. Cet élément modifie l’espace arabe sunnite avec désormais un pôle chiite iranien se développant en ses marges et qui s’oppose à lui.
Ce qui oppose aujourd’hui chiisme et sunnisme n’est pas la légitimité islamique de ces deux courants, mais plutôt leur impact sur le champ politique arabe. L’affrontement actuel entre sunnites et chiites s’exprime à travers une dimension conflictuelle qui regroupe trois grands acteurs l’Iran, l’Arabie Saoudite et Al-Qaïda. D’un côté on a le chiisme (3) révolutionnaire, modèle qui consacre la théocratie en tant que système politique idéal pour les nations musulmanes. De l’autre côté, on a le modèle wahhabite, système de pensée religieux ultraconservateur qui prône le retour aux premières pratiques de l’islam et consacre le prince (4) comme garant des valeurs de la religion. Ces deux systèmes sont les héritiers naturels de la rivalité politico-historique qui oppose Arabes et Perses, ils ne reflètent pas un changement idéologique (5), mais la pérennisation de l’antagonisme arabo-perse. C’est l’aspect politique des doctrines chiites et sunnites qui prend sens dans cet affrontement, au-delà des différences de rites inhérentes à chacune de ces branches de l’islam.
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