Politique et diplomatie - Les relations Nord-Sud
« Les relations Nord-Sud à la fin du XXe siècle », tel est le sous-titre, assez ambitieux, d’un ouvrage marquant, paru il y a quelques mois, sous le titre principal, plus aguichant mais moins explicite, de Caliban naufragé. Le Grand Dictionnaire encyclopédique nous rappelle que ce personnage de Shakespeare, toujours révolté mais soumis par la magie de Prospero, « est aussi une figure de l’indigène dépossédé et qui se montre inéducable ». Le lecteur trouve sans peine qu’il s’agit de l’incarnation du Sud ; Prospero, comme son nom le suggère, représente de son côté le Nord fascinant et comblé de dons. Quant à l’auteur, Pierre Moussa, il a été, avec Les Nations prolétaires puis d’autres livres, l’un des maîtres à penser d’une génération qui parlait de Tiers-Monde et pas encore de Sud.
Dès les premières lignes, ce Sud est défini. Il comprend les trois quarts de la population mondiale, avec l’Afrique, l’Asie — moins les pays pétroliers et quelques autres à l’est du continent —, une grande partie de l’Amérique latine, quelques peuples d’Océanie et d’autres de l’Europe de l’Est. C’est donc un critère purement économique qui a été retenu pour le distinguer du reste du monde, qu’il s’agisse du Nord ou de divers pays à situation intermédiaire. La barre est fixée à trois mille dollars de revenu par personne et par an. Financier de profession, Pierre Moussa sait pourtant mieux que tout autre — et souligne — combien sont fallacieuses les statistiques sur le produit national. Tricheries des gouvernements, autoconsommation, économie parallèle, distorsions entre cours du change et pouvoir d’achat, inégalité des besoins entre les différentes sociétés, sans parler des gaspillages du Nord, rendent aléatoire la mesure du décalage, quelle que soit l’évidence de celui-ci, entre Nord et Sud.
Point n’est besoin, à la vérité, de chiffres précis. Le Sud, on le connaît. Basse productivité agricole : un cultivateur nourrit quatre personnes en Inde, dix fois plus aux États-Unis. Faible industrialisation : le Sud fournit aujourd’hui dix-sept pour cent de la production manufacturière au lieu de soixante-treize en 1750 ; encore est-il question presque toujours de simple transformation. Pitoyable état sanitaire : sur mille naissances, on compte en Amérique du Nord dix décès à moins d’un an, treize en Europe, cinquante-quatre en Amérique latine, quatre-vingt-un en Asie et jusqu’à cent trois en Afrique. Éducation déficiente : neuf cents millions d’analphabètes dans le Sud, dont les deux tiers de sexe féminin. Archaïsme social : discriminations, autoritarisme, surnatalité se retrouvent partout.
Il reste 83 % de l'article à lire
Plan de l'article