L'auteur, ancien directeur adjoint des relations internationales du CEA, a été, au mois de juin dernier, conseiller technique régional pour le compte de l’OSCE pendant les élections législatives en Albanie. Nous avons estimé que l’excellent article qu’il a rédigé sur ce pays avait parfaitement sa place après les actes de notre colloque sur la crise bosniaque. Il s’agit en effet de pays voisins au sein des Balkans, et il y a bon nombre de similitudes entre la situation en Bosnie et celle que l’auteur a pu constater en Albanie.
Impressions d'Albanie
Au mois d’avril dernier, l’Albanie était le symbole du chaos. L’État ne contrôlait plus rien, les casernes, les armureries, les arsenaux avaient été pillés par la population en fureur, les prisons ouvertes, les délinquants de droit commun remis en liberté, le Sud du pays était en état de sécession, la presse parlait de nombreuses victimes et on craignait une famine. Ceux qui le pouvaient fuyaient à l’étranger, des incidents éclataient entre la marine italienne et des bateaux chargés de réfugiés. Quelques semaines plus tard, personne ne parlait plus de l’Albanie. Cela ne signifiait pas que l’on y vivait de façon agréable, mais que la presse ne pouvait plus y trouver le sujet d’articles à sensation.
Comment un pays peut-il passer en quelques mois du régime le plus stalinien, le plus autoritaire et le plus rigide, à une situation où l’État ne maîtrise plus rien, puis en quelques semaines, revenir à une forme plus habituelle d’organisation sociale ? Sur quoi le lien entre habitants d’un même pays est-il fondé ? Sur quoi reposent la légitimité et l’autorité de l’État ? Quel a été le rôle des pays européens et des organisations internationales dans le retour à une situation moins dramatique ? Quelle a été la part de la force de protection envoyée dans le pays ? L’évolution de l’Albanie de 1991 à 1997 est un inépuisable terrain d’étude sur l’organisation des sociétés dans des situations extrêmes, où le problème essentiel est la gestion de la peur ou plutôt celle de la peur que l’autre peut éprouver, dans un jeu dont le seul élément est la psychologie collective, où il n’existe presque plus de frontières entre l’action politique et l’action militaire. À toutes les questions posées, un séjour d’un mois dans le pays permet peut-être d’apporter une formulation un peu différente, mais pas l’amorce d’une réponse.
De la dictature marxiste à l’anarchie
D’abord satellite de l’URSS, puis n’ayant plus pour alliée, après sa rupture avec Moscou en 1960, que la Chine lointaine, l’Albanie a vécu jusqu’en 1985 sous la dictature stalinienne d’Enver Hodja, complètement coupée du reste du monde, dans une autarcie à peu près totale, aggravée d’une paranoïa obsessionnelle. Après 1978, alors que la Chine a pris ses distances pour se rapprocher de l’Occident et de la Yougoslavie, Hodja, pour faire face à une éventuelle agression extérieure, a fait construire dans ce pays de 3 millions d’habitants, 750 000 blockhaus, individuels, familiaux ou collectifs, dont il est impossible de se débarrasser, et qui défigureront un paysage magnifique pendant les décennies à venir.
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