Politique et diplomatie - La Fédération européenne
Le 12 mai 2000, à la Humboldt-Universität de Berlin, Joschka Fischer, ministre allemand des Affaires étrangères, a prononcé un remarquable discours, proposant la création de la Fédération européenne. Le sujet n’est pas nouveau, et pourtant la déclaration du ministre allemand pourrait marquer un tournant. En politique, tout est affaire de temps : ce qui tombe dans le vide à un instant donné a un immense écho à un autre instant. Il y a plus surprenant encore : le pire des moments peut se révéler le plus pertinent. Ainsi la prise de position de Joschka Fischer. L’ambition fédéraliste pour l’Europe a rarement été à son plus faible niveau. Toutes les populations de l’Union européenne sont partagées entre « euro-enthousiastes » et « euro-sceptiques » ; ce partage, très variable d’un État à l’autre, n’en souligne pas moins les doutes de l’Européen moyen envers un processus dont il a la conviction qu’il est mené par des forces obscures — les technocrates — qui l’ignorent. Depuis le 1er janvier 1999, la dégradation continue de l’euro par rapport au dollar confirmerait l’incapacité de l’Union européenne à avoir une réelle énergie : celle-ci, se dotant d’une monnaie unique, s’épuise tout de suite.
Enfin les trois institutions porteuses de supranationalité piétinent : la Commission européenne, à laquelle le nouveau président, l’Italien Romano Prodi, devait donner un nouvel élan, échoue à asseoir son autorité (au début 2000, rumeurs sur la démission de Prodi) ; le Parlement européen, censé exprimer les peuples européens, demeure une machine lointaine, dont profitent 626 privilégiés, les députés européens ; la Cour de Justice de Luxembourg souffre à la fois d’encombrement — comme si l’Union européenne, d’instrument de coopération se transformait en système à produire des contentieux — et d’un doute de légitimité : comment vouloir être la cour suprême d’une fédération, alors que cette dernière demeure une virtualité ?
Cependant, d’une certaine manière, la Fédération européenne est faite. Personne ne s’en est aperçu ou n’a envie de le savoir ! Ce ne serait pas la première fois dans l’histoire des hommes que ceux-ci définissent a posteriori ce qu’ils ont réalisé : dans l’Europe classique, les rois, soucieux surtout d’agrandir leur domaine, savent-ils qu’ils bâtissent l’État moderne, d’où sortira le principe national ? Aujourd’hui, les États dit souverains savent-ils que, du fait de leur action même — qui, ici, ne saurait être trop louée —, ils ne sont plus que des points de passage entre des structures internationales chaotiques et une population sur un territoire ? Alors, où la Fédération européenne en est-elle ? Que lui manque-t-il pour exister pleinement ? À quels obstacles se heurte-t-elle ? Ceux-ci sont-ils décisifs ? Le saut fédéral, c’est-à-dire l’acceptation par les peuples de l’Union européenne, et par leurs gouvernements d’un destin fédéral, est-il possible ?
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