Les missions de police internationale se multiplient. Le monde est-il en train de sortir de l'âge de la guerre ? La guerre implique une jungle, dans laquelle les États se trouvent en lutte permanente les uns contre les autres, le but de chacun étant la victoire, avec la conscience de sa précarité. La police requiert une forme de société, avec un contrat fondateur. Le policier garantit le respect des règles du jeu. L'objectif n'est plus la victoire mais la paix et la réconciliation. Pourquoi une telle évolution ? À l'échelle internationale, des sociétés, des communautés se constituent, les États participants partageant des intérêts essentiels et d'abord l'attachement prioritaire à une gestion transparente et pacifique des échanges de toutes sortes. Dans ces conditions, la conquête territoriale semble appartenir au passé. Désormais la richesse et la puissance ne viendraient plus du pillage mais du commerce et de la création.
Cette notion de police ne va pas sans illusions. La police n'est possible que si des conditions politiques précises sont satisfaites, la première étant un pacte, implicite ou explicite, entre les acteurs (en premier lieu, les États) impliqués. Des régions entières (Moyen-Orient, Afrique...) sont en quête de mécanismes de police, mais ceux-ci ne sauraient se matérialiser. Ils demandent un accord sur les frontières, sur la configuration étatique, une acceptation intime et réciproque des peuples, en bref un début de société. La guerre demeure une composante essentielle des relations entre États souverains ; aussi longtemps que l'État est fondé sur un territoire et qu'il garde le contrôle de la force légitime, la guerre restera possible.
L’État démocratique moderne se construit sur une stricte séparation entre police et armée. L’origine de cette préoccupation est fort bien expliquée par l’histoire : tout au long du XIXe siècle, les monarchies sur la défensive font appel à la troupe pour réprimer les rébellions révolutionnaires. Il faut donc sortir l’armée des affrontements internes, mais les républiques se révèlent pragmatiques. La IIIe République n’hésite pas à avoir recours aux soldats dans des situations extrêmes (en 1907, contre les viticulteurs, avec tout de même, pour effet, une mutinerie du 17e de ligne). Dans la nation démocratique classique, une frontière étanche doit exister entre l’intérieur et l’extérieur : à la police, ce qui est « sale », le maintien de l’ordre interne ; à l’armée, la mission noble de défendre la patrie contre l’agresseur extérieur. Or, aujourd’hui, dans plusieurs parties du monde (de l’ex-Yougoslavie au Timor-Oriental), ce qui a été rigoureusement séparé se rejoint à nouveau : les tâches militaires et policières s’entremêlent de plus en plus. Il s’agit moins de faire la guerre que de gérer des crises. Derrière ces situations, y a-t-il une évolution de fond ? Comment se caractérise-t-elle exactement ? Quelle est sa portée exacte ? La bonne vieille guerre est-elle vraiment révolue, toutes les tensions se réduisant en définitive à des problèmes de maintien de l’ordre ?
Une distinction fondamentale ne doit jamais être oubliée. Le domaine traditionnel des armées est celui de la guerre. Dans cet univers, tout est subordonné à la quête de la victoire, à la soumission de l’ennemi. Il peut y avoir des règles, mais elles sont incertaines, précaires, révocables à tout instant. La police suppose d’être sorti de la jungle, de la loi brute du plus fort et d’avoir accédé à une forme d’ordre. La notion de maintien de l’ordre implique qu’il y a quelque chose à préserver, un ordre certainement imparfait et injuste mais apportant tout de même une tranquillité, une sécurité. Alors que se passe-t-il pour que maintien de la paix et maintien de l’ordre se superposent au moins partiellement ?
Les métamorphoses de l’instabilité
L’instabilité ne disparaît jamais, elle se déplace et se métamorphose. Dans le champ des relations internationales, la stabilisation majeure — certes très relative — est celle des frontières. La quasi-totalité des espaces terrestres est partagée entre près de deux cents États souverains, très inégaux en taille, en population et en richesses. Ces États, ou au moins la majorité d’entre eux, sont d’accord pour considérer l’intégrité territoriale, l’inviolabilité des frontières comme des fondements de l’ordre mondial. Jamais les frontières, leur respect n’ont été aussi importants, tout ordre international requérant au départ une reconnaissance mutuelle et réelle des frontières établies. Dans cette perspective, il existe des traités internationaux, ébauches d’authentiques sociétés. La Charte des Nations unies est bien un contrat social à vocation planétaire. L’ensemble des grands accords européens (Alliance atlantique et ses prolongements ; Conseil de l’Europe et son complément, la Cour européenne des droits de l’homme ; Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe ; enfin, Union européenne) dessinent un pacte européen. De tels dispositifs marquent un passage de la jungle à la société.
Les métamorphoses de l’instabilité
Des communautés d’États
La victoire fuyante comme du sable entre les doigts
L’avenir est-il à la police internationale ?