Asie - Pakistan : le retour des militaires
Le 12 octobre 1999, deux heures après le limogeage de son chef, le général Pervez Musharraf, l’armée pakistanaise s’est emparée du pouvoir et a suspendu toutes les assemblées, tant nationales que provinciales. Alors que la communauté internationale condamnait ce coup d’État comme une atteinte à la démocratie, les Pakistanais ont massivement approuvé le retour des militaires. La classe politique qui a dirigé le pays depuis onze ans s’est montrée largement corrompue et autoritaire. La dictature civile de Nawaz Sharif sera-t-elle remplacée par une démocratie militaire ?
Le décès du général Zia ul-Haq, dans un mystérieux accident d’avion le 17 août 1988, avait ouvert la voie à la démocratie. La jeune Benazir Bhutto avait pu rentrer au pays et reprendre le flambeau du Parti du peuple pakistanais (PPP), fondé par son père Ali Bhutto, l’ancien Premier ministre depuis 1973, renversé par Zia le 5 juillet 1977, avant d’être pendu le 18 mars suivant. Ayant remporté les élections, Benazir Bhutto devint Premier ministre le 2 décembre 1988. Elle fut démise par le président Ghulam Ishak Khan, pour corruption et mauvaise gestion, le 6 août 1990. Ainsi commença une série d’alternances entre elle et son rival Nawaz Sharif, chef de la Ligue musulmane, tour à tour démis pour corruption avant la fin de leur mandat, Nawaz Sharif une première fois en avril 1993, puis Benazir Bhutto à nouveau le 5 novembre 1996 (1), par le président Ahmed Leghari, pourtant issu de son propre parti. Nawaz Sharif, revenu au pouvoir le 17 février 1997 à l’issue d’un raz de marée électoral lui assurant 134 des 217 sièges, est en état d’arrestation depuis le coup d’État militaire du 12 octobre 1999.
Profitant de sa large majorité au Parlement, Nawaz Sharif avait rapidement sombré dans une dérive autoritaire. Après s’être employé à écarter toute possibilité constitutionnelle d’une démission forcée et avoir réduit les pouvoirs du président de la République, il était entré en conflit avec le président de la Cour suprême (l’équivalent de notre Conseil constitutionnel) et avec le chef de l’État. L’armée avait alors, le 2 décembre 1997, arbitré ce conflit qui bloquait les institutions en donnant la faveur à Nawaz Sharif afin d’éviter un nouveau retour prématuré aux urnes (2). Profitant de son énorme majorité à l’Assemblée nationale, il avait également fait voter, le 9 octobre 1998, un quinzième amendement à la Constitution qui mettait la charia au-dessus de celle-ci. Cela ne lui avait pas apporté le soutien des islamistes, bien au contraire, car il s’octroyait l’interprétation des textes religieux. Le document est toujours bloqué au Sénat où la Ligue musulmane ne possède pas la majorité requise pour une modification de la Constitution. La réunion de Lahore, avec le Premier ministre indien Vajpayee, bien vue de la communauté internationale, a fait craindre aux Pakistanais qu’il sacrifiât la cause sacrée du Cachemire en échange de la détente avec l’Inde (3). Pour maintenir la pression sur cette dernière, les militaires, avec ou sans l’accord de Sharif, ont déclenché un nouveau conflit au Cachemire en mai 1999 (4). Leur retrait forcé des positions conquises côté indien, ordonné par Sharif sous la pression du président des États-Unis, a été perçu comme une humiliation nationale, pas seulement par les militaires. L’autoritarisme de Sharif, de plus en plus mal reçu, y compris dans son parti, les atteintes à la liberté de la presse et au droit de manifester, ainsi que la dégradation de la situation économique depuis son retour au pouvoir, ont été autant d’éléments qui ont conduit à une situation explosive qui s’est terminée par le coup d’État militaire.
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