Asie - Cachemire : Islamabad joue avec le feu
Depuis le 9 mai, l’armée indienne, avec 30 000 hommes, appuyés par l’aviation à partir du 26 mai, tente de reconquérir une série de pics situés à environ 6 kilomètres du côté indien de la ligne de contrôle qui sépare les deux parties du Cachemire, occupés depuis plusieurs mois par quelques centaines de soldats pakistanais et des indépendantistes cachemiris renforcés de volontaires islamistes étrangers. C’est la plus sérieuse confrontation entre les deux pays depuis près de trente ans. Le front des combats sur la ligne de démarcation s’étend sur plus de cent vingt kilomètres. Dans la querelle indo-pakistanaise pour la souveraineté sur le Cachemire, le Pakistan bénéficiait généralement de la sympathie de l’opinion internationale. À l’origine de cette nouvelle crise, il perd ce crédit au profit de son adversaire et risque l’effondrement économique. Malgré les discours guerriers, on peut espérer que les deux nouvelles puissances nucléaires déclarées sauront jusqu’où ne pas aller trop loin.
Après la rencontre historique de Lahore, les 20 et 21 février 1999, entre les deux Premiers ministres, nous titrions notre chronique « Inde-Pakistan : dégel ou feu de paille ? » (1). Nous ne pensions pas alors que le temps du doute serait aussi bref. Même si Atal Behari Vajpayee avait enfin accepté de mettre le problème du Cachemire sur l’agenda des futures négociations bilatérales, la déclaration de Lahore rappelait que cette question devait être résolue sur la base de l’accord de Simla du 2 juillet 1972, c’est-à-dire sans médiation étrangère. Compte tenu du rapport de force entre les deux armées (entre un contre deux ou un contre trois selon les matériels), il est évident que sans un arbitrage international, l’Inde, quel que soit son gouvernement, ne cédera jamais ce territoire au Pakistan, pas plus qu’il ne laissera les Cachemiris décider de leur destin. Le lendemain de cette réunion, un porte-parole pakistanais indiqua que son pays n’avait pas renoncé à la médiation d’une tierce partie. Lorsqu’en mai 1998 les deux voisins avaient procédé à leurs essais nucléaires, le gouvernement d’Islamabad, soumis à des sanctions internationales, avait mis en avant que la principale cause de tension dans le sous-continent venait de la question du Cachemire, et d’appeler la communauté internationale à résoudre ce problème pour établir un environnement pacifique. Comprenant la nécessité de parité pour le Pakistan, la communauté lui avait rapidement pardonné ses essais nucléaires et avait levé les sanctions qui étranglaient sa fragile économie. Certains ont émis l’hypothèse selon laquelle les militaires pakistanais, irrités des concessions faites à Lahore, auraient monté cette opération à l’insu du Premier ministre qui aurait ensuite été obligé de suivre. Ces affirmations ont été niées par les militaires et des membres du gouvernement. En s’emparant d’une série de pitons, nettement du côté indien de la ligne de contrôle, les Pakistanais ont certainement voulu créer une crise grave pour internationaliser ce problème bilatéral en obligeant l’Onu ou quelques grandes puissances à intervenir. Pour montrer sa bonne volonté, Islamabad a proposé d’envoyer son ministre des Affaires étrangères à New Delhi qui, après quelques hésitations, a accepté. La visite a eu lieu le 12 juin, mais n’a abouti à rien. New Delhi exige, en préalable, le retrait des forces étrangères avant de reprendre le dialogue entre les deux capitales.
Vajpayee a le sentiment d’avoir été berné par son homologue Nawaz Sharif. En effet, c’est pendant que se déroulaient les entretiens de Lahore que les militants indépendantistes se sont infiltrés dans les positions indiennes des secteurs de Kargil et de Drass, situées entre 4 000 et 5 000 mètres d’altitude, abandonnées pendant l’hiver. Ils y ont construit des bunkers et fortifié des grottes sur les sommets et dans les anfractuosités, y entreposant une grande quantité d’armes et de munitions. Il est peu probable que de simples militants aient pu faire toutes ces installations défensives sans la logistique de l’armée pakistanaise. Une voie stratégique pour l’Inde, la route Kargil-Leh, qui sert à envoyer et relever les troupes indiennes dans la zone contestée du glacier Siachen, a été coupée. Depuis, des armes immatriculées dans les forces régulières et surtout des corps de militaires munis de plaques d’identité ont été montrés au public. Ils appartenaient à la Xe division pakistanaise. Les Indiens ont aussi produit la bande magnétique d’une conversation entre le commandant de l’armée de terre pakistanaise et son chef d’état-major général, le général Mohammad Aziz, qui ne laisse aucun doute sur la présence de troupes du côté indien. L’enregistrement, dont l’authenticité est niée par Islamabad, aurait été fourni par la CIA.
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