Donald Trump a effectué son premier déplacement international dans les pays du Golfe. L'ambassadeur Bertrand Besancenot en tire les grandes lignes à retenir, entre gestion de crise et volonté d'établir un nouvel ordre régional dans la zone.
Chroniques du Moyen-Orient – Que retenir de la visite de Donald Trump dans le Golfe ? (T 1718)
© The White House, Public domain, via Wikimedia Commons
Middle East Chronicles —What should we learn from Donald Trump's visit to the Gulf?
Donald Trump made his first international trip to the Gulf States. Ambassador Bertrand Besancenot outlines the main points to remember, between crisis management and the desire to establish a new regional order in the area.
Entre les 13 et 15 mai 2025, le président Donal Trump a réalisé une tournée – à la tête d’une importante délégation d’hommes d’affaires – en Arabie saoudite, au Qatar et aux Émirats arabes unis (EAU). À Riyad, il a également participé à un sommet du Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCEAG) et a visité la ville historique de Diriyah, berceau de la dynastie des Saoud. Au Qatar, il s’est rendu sur la base d’Al-Udeid, la plus grande implantation militaire américaine au Moyen-Orient.
Partout, il a reçu un accueil royal, reflétant la satisfaction des monarchies pétrolières de recevoir un ami qui effectuait chez elles sa première visite à l’étranger (à part sa participation à Rome aux obsèques du pape François). Le président Trump n’a d’ailleurs pas masqué son plaisir d’être en terrain connu et apprécié. Il est vrai que les pays du Golfe ont toujours eu des relations plus faciles avec les présidents républicains, proches des milieux pétroliers. En outre, son message – respect des traditions locales, appréciation des réalisations de ces pays, relation personnelle avec les leaders de la région, promotion de la paix et des affaires, maintien de la protection américaine – correspond à l’attente de ses hôtes, qui recherchent la stabilité pour assurer le développement des projets économiques de leurs « Vision 2030 ».
Cette tournée a donc été (sans surprise) l’occasion d’annoncer de grands contrats et promesses d’investissement, tant dans les domaines civils que militaires. À Riyad ont été rendus publics 142 milliards de dollars de contrats militaires et de nombreux projets dans les secteurs de l’énergie – 34 accords avec la compagnie pétrolière Aramco pour 90 milliards de dollars –, des richesses minières, des transports, des infrastructures numériques, de l’intelligence artificielle, de la fintech, de la santé et de l’immobilier (avec le conglomérat Trump…), pour des montants excédant les 300 milliards de dollars. Le prince héritier saoudien a signé avec le Président Trump un accord de partenariat stratégique économique et a réitéré son intention d’investir au cours des dix prochaines années 600 milliards de dollars aux États-Unis, que le président Trump lui a demandé d’accroître jusqu’à 1 000 milliards…
Au Qatar, il a été question d’accords en matière d’armement et de la vente de 160 avions Boeing pour la somme de 200 milliards de dollars, ainsi que du « prêt » d’un avion présidentiel au locataire actuel de la Maison Blanche (ce qui a suscité une polémique aux États-Unis). Le président Trump a déclaré que l’ensemble des contrats avec le Qatar représentait 1 200 milliards de dollars sur dix ans. Aux EAU, le cheikh Mohammed ben Zayed a annoncé prévoir d’investir 1 400 milliards de dollars aux États-Unis, notamment dans les domaines de l’énergie, des technologies avancées et de l’intelligence artificielle.
À l’occasion de ses discours – notamment lors du grand Forum d’affaires à Riyad – le Président Trump a été très généreux en compliments envers ses hôtes, tous qualifiés de « grands amis » et d’« excellents dirigeants », et envers les réalisations « uniques » de ces pays.
Sur le plan politique, cette visite a été marquée par plusieurs déclarations. La plus importante concerne la levée des sanctions à l’égard de la Syrie, qui a été accueillie par une explosion d’applaudissements. Il est vrai que l’Arabie saoudite, mais aussi les autres pays du Golfe ainsi que la Turquie, militent en ce sens depuis l’arrivée au pouvoir d’Ahmad al Charaa, qui a eu droit à un entretien avec le Président Trump (en présence de Mohammed ben Salmane et en visioconférence avec le président Erdogan). Il s’agit d’une décision importante qui consacre la légitimation du nouveau pouvoir à Damas.
À propos de l’Iran, le locataire de la Maison Blanche a réitéré ses critiques habituelles sur le régime, mais il a aussi souligné qu’il espérait un succès rapide de la négociation engagée avec Téhéran. Il a ajouté que si elle échouait, il n’aurait pas d’autre choix que de renforcer la politique de « pression maximale » en matière de sanctions économiques, mais sans évoquer l’éventualité d’une action militaire. Il a aussi loué le rôle du Qatar pour faciliter un accord entre les États-Unis et l’Iran.
S’agissant du conflit israélo-palestinien, le président Trump s’est contenté de déclarer qu’il « rêv[ait] d’une normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël », en reconnaissant néanmoins que Riyad l’effectuerait « à son rythme ».
Cette tournée américaine dans le Golfe reflète le rôle économique et politique croissant des monarchies arabes pétrolières et la volonté de l’administration Trump de préserver – face à la concurrence chinoise – les relations privilégiées de Washington avec les capitales de cette région. Le président Trump considère cette zone comme une vraie success story, avec des dirigeants et une population jeunes, tournés vers les nouvelles technologies et les affaires – en contraste avec l’image traditionnelle du Moyen-Orient et ses querelles sans fin. Devant les perspectives offertes par les réformes économiques et les grands projets du Golfe, Trump souhaite clairement promouvoir les intérêts des compagnies américaines, et au passage, de sa famille… Il convient cependant de relever que la coopération nucléaire avec l’Arabie saoudite semble reportée, sans doute au résultat de la négociation en cours entre les États-Unis et l’Iran.
Sur le plan politique, le président américain n’a pas obtenu de geste saoudien sur la question de la normalisation avec Israël, dont il a compris – après avoir entendu à Riyad les critiques des dirigeants du CCEAG devant le carnage en cours à Gaza – qu’elle n’interviendrait pas sous le gouvernement de Netanyahou, fermé à toute concession aux Palestiniens. Le silence de Trump sur la situation dramatique à Gaza était assourdissant, alors que la chaîne satellitaire Al Jazeera montrait en même temps les frappes israéliennes sur l’enclave et les annonces mirobolantes de contrats… Il a juste rappelé qu’il voulait faire de Gaza une « zone de liberté » !
À ce titre, la presse de la région a souligné avec espoir la distanciation apparente du président Trump avec le Premier ministre israélien : pas de visite à Tel Aviv au cours de cette tournée au Moyen-Orient, dialogue direct des Américains avec les Houthis comme avec le Hamas et les Iraniens, consécration du pouvoir d’Ahmad al Charaa… autant de gestes peu appréciés par Benjamin Netanyahou, qui font espérer aux pays du Golfe que le président Trump – malgré son engagement ferme auprès d’Israël – ne se laissera pas entraîner dans la politique intransigeante de Benjamin Netanyahou, susceptible à leurs yeux de déstabiliser la région. L’éviction de Mike Waltz est perçue comme un signe en ce sens.
Il reste que les annonces de grands contrats – évalués par Trump à près de 4 000 milliards de dollars – font partie du scénario habituel des visites dans le Golfe, mais que les promesses ne sont pas toujours suivies d’effet… notamment en Arabie saoudite, dont les capacités financières sont actuellement plus contraintes qu’au Qatar et à Abou Dabi. Il est cependant clair que cette tournée de Trump marque un retour des États-Unis dans la région, que la réaffirmation de l’engagement américain à protéger ses alliés du Golfe est très appréciée par eux et que ces pays ne manqueront pas de faire des gestes concrets pour manifester leur satisfaction.
Donald Trump au Moyen-Orient : gestion de crise ou mise en place d’un nouvel ordre régional ?
Le voyage du président Trump en Arabie saoudite, au Qatar et aux EAU, du 13 au 15 mai, a marqué un moment charnière dans la politique américaine au Moyen-Orient et reflète un profond changement dans le paysage de la région. Il s’agissait de sa première tournée à l’étranger au cours de son second mandat, qui visait à obtenir des investissements massifs aux États-Unis et des contrats en matière d’armement, tout en proposant de nouvelles approches aux crises de longue date en Syrie, à Gaza et au Yémen. Celles-ci sont ancrées dans une vision pragmatique dans laquelle l’influence et les gains transactionnels sont considérés comme des voies vers la stabilité, plutôt que le changement de régime.
Pour les États-Unis, la visite a apparemment généré des gains majeurs : plus de 3 200 milliards de dollars annoncés d’engagements et d’investissement de la part des États du Golfe, y compris l’un des plus importants contrats d’aviation civile de l’histoire avec le Qatar, l’expansion de la base aérienne d’Al-Udeid et la consolidation de la présence militaire américaine dans le Golfe. L’administration Trump a mis l’accent sur une approche axée sur les deals, en se concentrant sur la dissuasion de l’Iran, l’application de cessez-le-feu et l’engagement avec les acteurs régionaux émergents – même les plus controversés, tel que le nouveau président syrien Ahmed al Charaa.
L’Arabie saoudite apparaît comme l’homme fort du monde arabe, orchestrant notamment la rencontre historique entre Trump et Chareh, qui a conduit Washington à lever les sanctions contre la Syrie. Riyad a également conclu des accords économiques et de défense record et s’est félicité d’une désescalade au Yémen, qui s’aligne sur son objectif de mettre fin à ce conflit prolongé. Le royaume s’affirme donc comme le moteur d’un nouvel ordre régional, capitalisant sur le déclin de l’influence iranienne.
Les EAU ont renforcé leur statut de centre technologique et financier, en promettant 1 400 milliards de dollars d’investissements aux États-Unis et en bénéficiant d’un assouplissement des restrictions à l’exportation sur les technologies avancées d’intelligence artificielle. Abou Dabi soutient globalement le programme régional de Washington tout en promouvant son image de phare de tolérance et de modernisation.
Le Qatar a profité de cette visite pour réaffirmer sa place d’allié stratégique. Il a joué un rôle clé dans les efforts de cessez-le-feu et de médiation des otages à Gaza, a scellé un accord aérien massif avec Boeing et s’est engagé à moderniser la base d’Al-Udeid. Sur le plan politique, le Qatar s’est positionné comme un médiateur de confiance entre toutes les parties, maintenant son autonomie tout en s’alignant sur un consensus plus large du Golfe.
Sur le front des questions régionales, la Syrie a occupé le devant de la scène. La rencontre inattendue entre Trump et al Charaa a marqué un tournant : les États-Unis ont annoncé la levée des sanctions contre Damas, signalant la fin de l’ère Assad. Al Charaa, un ancien militant devenu leader politique, s’est engagé à expulser les combattants étrangers, à unifier la Syrie et à poursuivre une éventuelle normalisation avec Israël. Cette politique, soutenue par les États-Unis, facilitée par le soutien saoudien et turc, a redéfini le dossier syrien et envoyé des ondes de choc à travers les alliances traditionnelles.
À Gaza, aucune percée politique n’a été réalisée. Au lieu de cela, l’accent s’est porté sur un cessez-le-feu humanitaire, des échanges de prisonniers et des efforts de reconstruction, menés par le Qatar et l’Égypte. Les propositions controversées de Trump visant à « réinstaller » la population de Gaza dans les pays arabes ont été rejetées catégoriquement par les États du Golfe, qui ont plutôt plaidé pour la reconstruction à Gaza sous la supervision de l’autorité palestinienne – bien que sans horizon politique clair à ce stade.
Le dossier iranien reflète un équilibre délicat : Trump a publiquement renforcé les sanctions tout en rouvrant discrètement les canaux diplomatiques, notamment par l’intermédiaire d’Oman, pour explorer un éventuel accord nucléaire. Un cessez-le-feu fantôme a été conclu au Yémen, les États-Unis interrompant leurs frappes aériennes contre les Houthis en échange de la fin des attaques en mer Rouge. Cette convergence des stratégies au Yémen et avec l’Iran a souligné un désir mutuel d’éviter un conflit à grande échelle, sans cependant concéder de terrain stratégique.
Dans le même temps, la visite de Donald Trump a accéléré la formation d’un nouvel ordre régional, ancré par l’Arabie saoudite, les EAU, le Qatar et la Turquie, avec le soutien des États-Unis. Cette coalition émergente a effectivement mis à l’écart l’Iran et, plus surprenant, Israël. Tel-Aviv était, en effet, remarquablement absent de toutes les réunions, et les ouvertures de Trump aux capitales arabes sans coordination avec le Premier ministre Netanyahou ont envoyé un message clair : les intérêts américains dans la région ne sont peut-être plus liés uniquement aux préférences d’Israël.
L’Iran, quant à lui, est confronté à un repli stratégique, après avoir perdu du terrain en Syrie, au Yémen et à Gaza. Tout en s’engageant dans une diplomatie en coulisses, Téhéran reste sous pression pour faire preuve de flexibilité sur ses politiques nucléaires et régionales – sans encore recevoir de garanties sur l’allègement des sanctions.
Toutefois, si la tournée de Trump dans le Golfe a généré des dividendes économiques et diplomatiques incontestables, elle n’a pas permis de résoudre des conflits profondément enracinés. Si la Syrie est peut-être sur une nouvelle voie sous al Charaa et que le Yémen a obtenu un cessez-le-feu fragile, le conflit israélo-palestinien reste politiquement stagnant. Ce qui a émergé, c’est une architecture du Moyen-Orient recalibrée, façonnée par l’affirmation du Golfe, les réalignements stratégiques et les contrats américains. Cependant, une question plus large demeure : ces arrangements sont-ils le fondement d’une paix durable ou sont-ils simplement un exercice sophistiqué de gestion de crise ? La première option serait souhaitable, mais dans la réalité, la seconde semble plus vraisemblable, même si le Président Trump affirme le contraire. ♦