Le Moyent-Orient connaît un nouveau théâtre de conflit. Depuis une semaine, les bombardements israéliens sur l'Iran et iraniens sur Israël recentrent, plus que jamais, l'actualité internationale dans cette région. De nombreuses questions accompagnent ces événements, de l'ouverture du conflit à sa résolution. L'ambassadeur Bertrand Besancenot donne ses premières impressions sur ce conflit qui risque de plonger le Moyen-Orient, l'Occident voire le monde entier dans l'incertitude sécuritaire, politique et économique.
Chroniques du Moyen-Orient – Premiers commentaires sur la guerre entre Israël et l’Iran (T 1722)
Middle East Chronicles —First comments on the war between Israel and Iran
The Middle East is experiencing a new theater of conflict. For the past week, Israeli bombings of Iran and Iranian bombings of Israel have refocused international news on this region more than ever. Many questions accompany these events, from the outbreak of the conflict to its resolution. Ambassador Bertrand Besancenot offers his initial impressions of this conflict, which threatens to plunge the Middle East, the West, and even the entire world into security, political, and economic uncertainty.
Le conflit n’est pas terminé et il est donc difficile de faire des prévisions sur son issue. La vraie question est la suivante : l’argument israélien du risque posé par le développement du programme nucléaire iranien (poursuite de l’enrichissement de l’uranium à des taux « non civils » et dissimulation de sites) est-il recevable ? Tout le monde en convient. Toutefois, l’opération militaire israélienne en cours est-elle la bonne réponse ? Quel est l’objectif de cette intervention ?
S’il s’agit d’annihiler les capacités nucléaires iraniennes, la plupart des experts estiment qu’il est peu probable qu’Israël y parvienne seul. Même si Banjamin Netanyahou parvient à entraîner les États-Unis – qui disposent des bombes lourdes pénétrantes – les bombardements ne réussiront qu’à retarder le programme iranien, car on ne peut pas détruire le savoir-faire. En revanche, cela pourrait conduire les autorités de Téhéran à opter définitivement pour l’arme nucléaire, comme moyen ultime de préserver le régime (comme en Corée du Nord).
Si l’objectif israélien est précisément de renverser le régime iranien – comme le laissent à penser la décapitation de la direction militaire iranienne et les appels répétés de Banjamin Netanyahou à un soulèvement populaire en Iran – il s’agit là d’un pari qui peut être sanglant et qui pourrait embraser la région du Moyen-Orient. En effet, personne ne doute de la capacité de nuisance de ce régime et il est clair que la plupart des gens en Iran (et ailleurs) se réjouissent de son affaiblissement. Est-on sûr, cependant, que les opérations militaires actuelles parviennent à susciter une révolution intérieure ? Il est vrai que la majorité de la population iranienne, notamment la jeunesse, s’oppose à ce régime oppressif, incapable d’assurer le développement du pays. Les Gardiens de la révolution ne se laisseront toutefois pas faire car ils ont trop à perdre. Le régime dispose encore apparemment de suffisamment de moyens pour frapper Israël et causer d’importants dégâts ailleurs, notamment dans le Golfe. Benjamin Netanyahou a-t-il suffisamment mesuré ces risques ?
En réalité, il semble bien que le Premier ministre israélien ait décidé cette opération peut-être pour préempter un éventuel deal irano-américain, mais surtout pour des raisons de politique intérieure : son gouvernement est en sursis (il est question d’élections anticipées) et le carnage à Gaza est de plus en plus mal toléré dans le monde, y compris en Israël. Il a donc saisi l’opportunité de l’impasse des négociations américano-iraniennes et de l’affaiblissement de Téhéran pour lui porter un coup décisif et redorer son blason à l’égard de son opinion publique, en tablant sur la mauvaise image générale du régime de Téhéran et sur le patriotisme des Israéliens. Cette opération dégrade néanmoins l’image internationale d’Israël ainsi que celle des pays occidentaux accusés de complaisance envers Israël et de pratiquer une politique du « deux poids deux mesures ».
Toutefois, le problème majeur est que les États-Unis sont les seuls acteurs capables de mettre un terme aux conflits du Moyen-Orient et de l’Ukraine. Or, le président Donald Trump donne le sentiment d’être instrumentalisé par Benjamin Netanyahou comme par Vladimir Poutine, deux dirigeants qui bafouent allègrement le droit international. C’est l’aspect le plus inquiétant, dans la mesure où, jusqu’ici, l’administration Trump n’a pas fait la preuve de sa capacité à imposer la paix, contrairement à ses objectifs déclarés. Il reste à espérer que Donald Trump ne se laissera pas entraîner par Benjamin Netanyahou dans une confrontation militaire avec l’Iran et qu’il sera possible de reprendre la négociation en position de force pour encadrer les programmes nucléaire et balistique de l’Iran. Ce n’est cependant pas acquis : est-ce que l’opération militaire israélienne parviendra à contraindre Téhéran d’accepter les propositions américaines ? Rien n’est certain. L’Iran optera-t-il en dernier recours pour une fuite en avant en internationalisant la crise, avec l’espoir de sauvegarder ainsi son régime ? C’est un risque d’embrasement au Moyen-Orient qui aurait des incidences fortes sur l’économie mondiale. Ou bien le régime – voire l’Iran – finira par se désagréger ? Beaucoup l’espèrent, mais est-ce réaliste ? Ne prendrait-on pas le risque d’un chaos sur le modèle irakien ou libyen après une intervention occidentale dont les conséquences n’avaient pas été prévues ?
À ce stade les choses ne sont pas claires, mais on voit les dangers d’une opération qui prouve, certes, la capacité militaire d’Israël, sans rassurer pour autant sur la rationalité de la politique de son gouvernement. ♦