Les récentes intrusions de drones russes en Pologne et Roumanie illustrent l’escalade voulue par Moscou. L’OTAN, affaiblie par le désengagement américain sous Trump, doit désormais compter sur ses propres forces face à une Russie déterminée. L’Europe, fragilisée par des divisions internes, se retrouve isolée, rappelant la guerre froide, mais sans la solidarité transatlantique d’autrefois.
Éditorial – L’Otan au pied du mur (T 1750)
Editorial —NATO with its back against the wall
The recent Russian drone intrusions in Poland and Romania illustrate the escalation Moscow is seeking. NATO, weakened by the American disengagement under Trump, must now rely on its own forces in the face of a determined Russia. Europe, weakened by internal divisions, finds itself isolated, reminiscent of the Cold War, but without the transatlantic solidarity of yesteryear.
Les pénétrations de drones russes sur les territoires polonais, puis roumain, la semaine dernière constituent l’énième épisode de la montée en tension voulue par Moscou. À côté de la guerre hybride menée contre les pays européens, la guerre « conventionnelle » est déjà une réalité sur le flanc est de l’Europe/UE/Otan. Et après presque neuf mois d’administration Trump, le constat est que l’Otan se retrouve bien « seule » face à la Russie.
Une Otan sans les États-Unis, même si son ambassadeur à Bruxelles ne cesse de proclamer la solidarité américaine et même si Marco Rubio, le Secrétaire d’État s’efforce de temporiser les positions de son patron, Donald Trump, qui, à part dire qu’il n’est pas content, agit peu et renvoie dos à dos Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine en évoquant la danse du Tango.
Moscou le sait très bien, car la vraie garantie au sein de l’Otan reste, certes, la présence américaine sur le sol européen, mais se concentre surtout dans la volonté du locataire de la Maison Blanche. Eisenhower, Kennedy, Reagan et George H. Bush surent le démontrer en leur temps lorsque les tensions avec Moscou furent paroxystiques. N’oublions pas le « Ich bin ein Berliner » de Kennedy ou encore l’engagement de Reagan lors de la crise des Euromissiles. On voit mal Donald Trump, et encore moins son vice-président J. D. Vance – très isolationniste –, venir à Kyiv soutenir l’Ukraine face à l’ennemi russe.
La réaction rapide de l’Otan la semaine dernière était, au minimum, nécessaire. Elle doit, désormais, s’inscrire dans le temps long, temps long parfaitement maîtrisé par le Kremlin et qui compte ainsi épuiser non seulement l’Ukraine mais aussi les pays européens. C’est bien le retour à la logique de la guerre froide d’une certaine façon, où les forces de l’Alliance montaient la garde le long du mur de fer, surveillant, en quelque sorte, un Désert des Tartares mais dont l’efficacité fut telle qu’elle dissuadât le Pacte de Varsovie d’agir directement contre l’Europe de l’Ouest, durant près d’un demi-siècle.
La différence avec cette période de l’histoire est désormais le quasi-découplage entre les États-Unis de Donald Trump et les alliés européens. À l’époque, la solidarité transatlantique était une réalité, y compris dans le fait que les armées européennes étaient équipées de matériels américains (avions F 104, F 5, F 4 Phantom, chars M 60, obusiers M 109…). Seule la France, sous l’impulsion du général de Gaulle, avait su construire sa quasi autonomie stratégique dans ce domaine. Aujourd’hui, la relation est pervertie avec la quasi imposition voulue par Donald Trump d’un monopole américain sur l’armement, hélas acté avec la question humiliante des droits de douane. Et désormais sans garantie aucune d’un engagement de Washington en cas de crise.
C’est ce qui se déroule en ce moment où la discrétion, voire le silence, de la Maison Blanche est accablant et oblige les Européens à resserrer les rangs très vite pour compter d’abord sur eux-mêmes, dans un contexte politique compliqué : instabilité en France, poussée des nationalismes pro-russes en Allemagne à la suite des progrès électoraux du parti d’extrême droite Alternativ für Deutschland (AFD), ambiguïté de la Hongrie et de la Slovaquie, impopularité du gouvernement travailliste britannique…
L’Otan, dans sa version européenne, et l’UE, de fait, se retrouvent dans une configuration d’extrême fragilité alors que Vladimir Poutine va poursuivre ses coups de boutoir pour déstabiliser le « Vieux Continent », sans oublier, bien sûr, l’Ukraine qu’il bombarde à longueur de nuits. Seule quasi-certitude, Donald Trump est mal parti pour gagner le Prix Nobel de la paix dans trois semaines, n’en déplaise à son ego. ♦